Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Le charbon de bois à Chézery, en 1790

 

Un œil exercé discernera encore de nos jours dans les forêts de Chézery (Ain), des emplacements de charbonnières (et aussi de fours à chaux), et la trace des sentiers qui se créaient pour leur usage.


Charette de charbon de bois, à Champfromier, vers 1943.
(Photo prise dans les pâturages du Solliet, sous les bois des Culates)
Victor Ducret (patron de la scierie), repris la production de charbon de bois durant la Seconde Guerre Mondiale,
pour alimenter les gazogènes des véhicules modifiés par la pénurie d’essence.

Chézery consternée par la nouvelle réglementation en 1790

Fin décembre 1790, la municipalité de la Vallée de Chézery était consternée à l'idée que de nouvelles dispositions pour le commerce d'exportation (à Genève) risquait de mettre en péril bon nombre des habitants du lieu pour lesquelles les ressources étaient liées à la production de charbon de bois (propriétaires de parcelles de mauvais bois, charbonniers et voituriers) ...

 

Texte intégral, très instructif de l'époque

"Extrait des registres du greffe de la municipalité de Chezery.

Le nouveau tarif pour la perception des droits de lanation [sic], tant à la sortie qu’à l’entrée du royaume sur les marchandises qui entrent et sortent dudit royaume, de même que pour celles qui sont prohibées cette dernière [de sortie du Royaume], a mis la consternation dans les habitants de la Vallée de Chezery, faisant ci-devant partie du Bugey, qui est rénové au district de Gex, dans la crainte que les charbons de bois ne soient compris dans la classe des marchandises prohibées à la sortie du royaume, cette partie du commerce de charbon faisant subsister la plus grande partie des habitants de ladite Vallée de Chezery, le propriétaire par la vente de ses bois, les charbonniers pour la fabrication du charbon et les voituriers par le transport desdits charbons.

Les propriétaires, hors le charbon, ne pourraient retirer aucun parti de leur bois, la Vallée de Chezery, qui fait partie du Jura et partie de la Montagne de Chalame, deux montagnes inaccessibles par leur hauteur et rochers, qui ne produisent que des bois fayards rabougris, desquels il serait impossible d’en retirer aucun profit sans le réduire en charbon ; ces bois ne peuvent servir à autre usage, par la raison qu’ils sont petits et tordus, ne pouvant être autrement à cause du sol rocailleux où ils croissent.

Les charbonniers gagnent leur vie, ainsi que leurs femmes et enfants, en fabriquant ce charbon, les charbonniers en fondant (détruisant) les bois et les cuisant, les femmes et enfants en transportant, à travers les rochers, les bois fendus en (jusqu’à la) place charbonnière.

Les voituriers gagnent leur vie en achetant le charbon des propriétaires, dans les places charbonnières dont ils dépendent, dans des sacs à dos de cheval jusqu’à la route, où ils le mettent sur des chariots pour le conduire dans la ville la plus prochaine (proche) pour le vendre. Genève est la ville la plus prochaine, et (est) celle où les charbons se vendent à plus haut prix, et il (elle) n’est qu’à 6 lieues de distance. Lyon où ces voituriers pourraient trouver le débit de leur charbon, est distante de 20 lieues, (ce qui fait que) les frais de voiture pour se rendre à cette ville absorberaient la valeur des charbons. Il y a les villes de Nantua et Seysel [Seyssel], qui ne sont qu’à 5 lieues de distance, mais aussi ces villes ne font qu’une très petite consommation de charbon, n’ayant point de manufactures, et se trouvent à portée des (de leurs) bois. Ces mêmes voituriers nourrissent des chevaux pendant l’hiver ; ils s’en servent au printemps pour labourer les terres de ladite Vallée, qui ne peuvent l’être que par des chevaux à cause des pentes où les bœufs ne pourraient pas se tenir ; l’été et l’automne, ces chevaux sont occupés à porter et voiturer les charbons.

Ce jourd’hui, 13 décembre 1790, nous, Claude-Antoine Duraffourd maire, Roland Cary, François Mathieu, Guillaume Gros, Joseph Grenard et Philippe Duverney, officiers municipaux de la Vallée de Chezery, sur la réquisition de Sr Joseph Blanc procureur de la commune, et aux sollicitations réitérées faites par les habitants de ladite Vallée, avons ce jourd’hui convoqué le Conseil Général de la commune, qui sont Joseph Gros-Bignin, Joseph Gros-Siord, Jean-François Jacquinod, Jean-François Blanc, Jean Jacquinod-Cary, Catherin Duraffourd, Claude[-Joseph] Julliard, Joseph Julliard, Claude Benoit-Godet, Roland Fournier et Roland Coutier, notables, pour représenter à l’auguste Assemblée Nationale les motifs d’intérêt public expliqués en l’exposé ci-dessus ; et en même temps la prier de vouloir distraire du nouveau tarif des marchandises prohibées à la sortie du Royaume, les charbons de bois que la communauté de Chézery fabrique de ses bois, permettre la sortie à l’étranger en payant les mêmes droits que la ferme général percevait ci-devant, qui est de 18 sous de droit principal, et des [sic] sous par livre de chaque charretée. Si le second leur est refusé, une grande partie des habitants de ladite Vallée ne pourront plus subsister et seront dans l’impossibilité de pouvoir payer les impôts.

Que l’auguste Assemblée daigne octroyer l’effet de nos demandes, c’est dans cette attente que nous offrons nos vœux pour sa conservation.

Fait l’an et jour susdit, dans la chambre ordinaire, de nos assemblées. Signé sur le registre, Duraffourd maire, Mathieu, Duverney, Gros, Cary et Grenard, officiers municipaux ; Coutier, Julliard, Gros-Bignin, Jacquinod Cary, Blanc, notables ; Duraffourd secrétaire greffier.

[Signé : Par extrait, Duraffour secrétaire]".

 

Sources : AD01, 1Q.

Publication : Ghislain Lancel. Cliché : Jean-Louis Ducret (photo de son grand-père, voiturier). Remerciements : Michel Blanc (localisation du cliché).

Première publication le 28 novembre 2018. Dernière mise à jour, idem.

 

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