Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Traiter une femme de Putain ! (en 1729)

 

Quand on est syndic de Monnetier et que l'on traite de "Putain" la femme de son voisin qui est l'un des plus gros contributeurs de la taille en 1730, il faut s'attendre à ce que cette insulte n'en reste pas là, il en coûte 9 livres !

En effet, après avoir traité de "Putain", Marie Grisard [9622], épouse de Joseph [8993] Henry-Bandy, les faits remontant au 24 septembre 1729, au lieu du Rochais, territoire dudit Monestier, en présence de plusieurs personnes, et pour en finir les procès en la justice de Nantua, Henry [9052] et Estienne [10495] Ducrest père et fils, sont contraints d'accepter un "traité" passé devant le notaire :

"(...) en réparation d’injures proférées par lesdits Ducrest père et fils contre l’honneur et réputation d’honnête Marie Grisard [9622], sa femme, ont traité comme suit, à savoir que lesdits Ducrest déclarent que, témérairement et calomnieusement, ils ont traité ladite Marie Grisard de putain le jour 24e septembre de l’année dernière [1729] au lieu du Rochais, territoire dudit Monestier, en présence de plusieurs personnes qui étaient audit lieu, desquelles injures iceux Ducrest père et fils en demandent humblement pardon à ladite Marie Grisard, la tenant pour femme d’honneur et de bonne réputation, et exempte desdites injures avec promesse de ne jamais récidiver par la suite, et consentent que ladite Marie Grisard se prévale de la présente déclaration, moyennant quoi ledit Joseph Henry-Bandy se désiste de l’assignation qu’il a fait donner et le procès éteint, ayant lesdits Ducrest père et fils (qui ont) payé 9 livres audit Joseph pour tous frais, dépens et dommages".

Au moment des faits, Marie Grisard était l'épouse en secondes noces de Joseph, depuis près de 30 ans, et elle lui avait donné 8 enfants (en plus des trois autres du premier lit). Notons que toutes furent des filles, et que le seul fils qui n'est pas mort en bas-âge fut prêtre. Riche propriétaire, l'un des plus imposés de la paroisse (24 livres de taille en 1730, le prix d'une belle vache) Joseph avait reposé ses espoirs de postérité sur Jean Genolin, son gendre, un Genolin Pochy de la branche d'Aillion (Savoie) habitué des procédures en justice.

De toute évidence, les relations avec lesdits Ducret n'étaient pas bonnes. En plus ils étaient voisins à Monnetier (peut-être dans la partie amont de la grande grange des Charrières). Le traité aborde donc deux autres griefs, l'un étant qu'ils récupèraient l'eau (de pluie) et la renvoyaient ensuite chez leur voisin en entraînant leur matras (fumier). L'autre, pire encore, et là c'est le gendre qui s'en charge, est que le fils ait profité de sa fonction de syndic de l'année 1730 pour ne pas s'imposer en confectionnant le rôle de taille ! (Ce que l'on observe effectivement au rôle de 1730) :

"Et outre ce que dessus, a été convenu que lorsque lesdits Ducrest père et fils détournerons l’eau qui descend par la charrière publique dudit village de Monnetier dans la torne, soit gouille, qu’ils font au bas de leur place de matras, qu’ils ne pourront par la suite faire sortir l’eau de ladite torne sur la place de matras dudit Joseph Henry Bandy, mais seront tenus de faire la sortie de l’eau du côté du grand chemin, sans que ladite eau puisse préjudicier ni entraîner le matras dudit Henry Bandy ;

Et pour terminer le procès que ledit Jean Genolin a intenté auxdits Henry et Estienne Ducrest père et fils, syndics en la présente année du village de Monestier, par-devant les présidents élus en l’élection de Bugey pour les condamner à refaire les rôles de la taille ordinaire et capitation de ladite paroisse de Champfromier, par rapport à ce qu’iceux Ducrest père et fils s’étaient déchargés au-delà de la décharge qu’ils y avaient l’année présente, a été convenu qu’ils feront faire leurs cotes l’année prochaine, sur le pied des rôles de l’année dernière, et se rechargeront que ce qui se trouverait avoir été déchargé, tant en leurs cotes qu’en celle des biens tenant de Claude Tissot, à la décharge de la communauté, et moyennant quoi ledit Genolin se désiste de l’assignation qu’il a fait donner le 3 juin dernier, et ont lesdits Ducrest père et fils payé 16 livres audit Genolin pour tous frais faits en conséquence dudit procès."

Nul doute que ces affaires avaient dû connaître un grand retentissement dans les chaumières puisque, outre les deux témoins réglementaires présents, tous deux de Monnetier, l'acte avait été passé par le notaire de Montanges dans la taverne d' Henry Genolin, hôte audit lieu de Monnetier !

 

 

Publication : Ghislain Lancel. Source : [3 E17445a, f° 166] (11 juin 1730).

Première publication le 9 septembre 2014. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

<< Retour : Autrefois, accueil