Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Sel de contrebande, perquisition (1699)

 

Le 5 juin 1695, demeurant au Collet, Humberte Jullian avait fait son testament. Quatre jours plus tard, elle était vraisemblablement morte, d'une épidémie, et Claude Tournier-Tavernier son époux, dictait à son tour le sien dans de sa maison de la Peyne. Son sort fut certainement le même (en tous cas il était mort l'année suivante), laissant trois fils orphelins de leur père et de son épouse d'un premier lit.

La Peyne, la peine... Cette maison portait-elle malheur ? Pas tout à fait, puisque les trois fils, Martin [CI-139], François [9375] et Joseph [9382] se marieront bientôt. Toutefois survint une autre mésaventure, qui ne fut connue qu'un an plus tard, le 3 décembre 1699, lorsque Humbert Seigne-Martin, laboureur demeurant rière la paroisse de Champfromier, lieu-dit Au Collet, témoin bien involontaire, décide de soulager sa consience et d'aller se confier au notaire.

On remarquera que cette défense tardive n'arrive que deux mois après qu'un couple ait été condamné par le juge des gabelles : le 29 septembre 1699, les époux Cezart Curt [8546] et Claudine Marquis-Burdin [10347], empruntaient 120 livres "pour employer au payement de l’amende à laquelle ils ont été condamnés par le sieur Juge des Gabelles" [3E3891, f° 175v (29 septembre 1699)].

Chacun sait que sous l'ancien régime, l'achat du sel royal était obligatoire, c'était une sorte d'imposition, la gabelle. Naturellement, comme partout en France, le sel de contrebande, non taxé, circulait à Champfromier. Souvenons nous qu'en 1765 Martin Genolin sera condamné aux galères, (pour une présumée contrebande de sel, ou de tabac).

Revenons à nos trois frères, soupçonnés (ou dénoncés) de détenir du sel de contrebande. Arrivent au Collet huits gardes du roi. Perquisition. Papier embarqués, intimidation, coups, fabrication de fausses preuves, suspect embarqué au poste, rapport avec faux témoignage, etc. Heureusement nous ne sommes plus à cette époque..., non, c'était en 1699 !

 

Texte intégral :

[Début] Décharge faite par Joseph Seignie-Martin de Champfromier en faveur de Martin, François et Joseph Tornier frères dudit Champfromier.

Ce 3 décembre 1699, pardevant le notaire royal de St-Germain-de-Joux soussigné, a comparu Joseph [CI-312], fils de Humbert Seigne-Martin, laboureur demeurant rière la paroisse de Champfromier, lieu-dit Au Collet,

lequel a dit qu’il y a environ un an que deux brigades de gardes des fermes du Roy, au nombre de huit, vinrent dans sa maison audit Collet et lui firent commandement de la part du Roy de les accompagner pour leur servir de témoin dans la visite qu’ils voulaient faire chez quelques particuliers dudit Collet,

à quoi ayant obéi il alla avec lesdits gardes dans la maison où habitent Martin [CI-139], François [9375] et Joseph [9382] Tornier frères, audit lieu du Collet, dans laquelle lesdits gardes firent une exacte recherche et firent peser le sel ordinaire pris au Grenier (à sel) de Nantua dont ledit Martin Tornier représentant le billet (le reçu) duquel lesdits gardes se saisirent aussi bien que du sel qui fut pesé par ledit Seigne-Martin [Renvoi : il s’y en trouva six livres et demi, poids de Châtillon] ;

et dans laquelle maison n’ayant rien trouvé de défendu lesdits gardes demandèrent audit Martin Tornier s’il n’avait pas quelques autres maisons, à quoi leur ayant répondu qu’ils en avaient une autre audit Collet [une grange] dont il se servaient pour retirer ses foins et qu’il ne fermait point, dans laquelle lesdits gardes lui commandèrent de les conduire, ce qu’il fit, le comparant les accompagnant dans laditte maison, distante de la première d’un quart de lieue [de l'ordre de 500 mètres], dans laquelle se trouva et [f° 211] au dehors d’icelle lesdits François et Joseph Tornier frères chargeant du blé sur une lège [live, traineau] ; lesdits gardes cherchèrent tous ensemble dans ladite maison et firent décharger le blé qui était sur laditte lège, fouillèrent lesdits frères Tornier, et ne trouvèrent rien ;

cependant, sur la fin de ladite recherche trois desdits gardes sortirent dehors de ladite maison, au devant de laquelle est le Grand Chemin, les autres cinq gardes ; le comparant et les trois frères Tornier restèrent dans icelle environ demi-heure après que lesdits trois gardes furent sortis. Ils y revinrent portant dans leurs mains une beurrière qu’ils dirent être pleine de sel, sans que le comparant aie vu ledit sel, lequel non plus que ladite beurrière qu’ils n’entrèrent point dans ladite maison, dans laquelle il ne s’y trouvait aucun sel, ni conjecture qu’il y en eut été, non plus que (dans) ladite beurrière ;

néanmoins, ils prétendirent que ledit sel appartenait auxdits frères Tornier et voulaient obliger ledit Martin Tornier d’avouer qu’il était à eux, lequel s’en voulant défendre et le niant, ils lui donnèrent plusieurs coups de "battants", notamment le nommé Rey, l’un des brigadiers, et emmenèrent avec eux ledit Martin Tornier, emportèrent ladite beurrière et les six livres et demi de sel qu’ils avaient pris dans la première maison, avec le billet du Grenier de Nantua, ne sachant, [déclare] le comparant, ce qu’ils firent par la suite ;

mais comme il a appris que lesdits gardes ont mis dans le procès-verbal qu’ils ont fait que c’était lesdits frères Tornier qui avaient sorti laditte beurrière de leur maison, que la place d’icelle beurrière s’y était trouvée, et du sel, et plusieurs autres faits contre-vérités desquelles ils ont mis ledit Seigne-Martin comparant témoin, il a été conseillé pour la décharge de sa conscience de faire la présente déclaration, [f° 212] laquelle par serment qu’il a prêté es mains de je notaire, il a affirmé contenir vérité de ne s’être passé autre chose en sa présence dans la visite desdits gardes dans les maisons desdits Tornier, de tout quoi il a requis acte que je lui ai octroyé, audit St-Germain dans mon étude, en présence de Sr Claude Marion, chirurgien dudit St-Germain, et Charles Perrattin, habitant de St-Germain, témoins requis, ledit Sr Marion a signé et non ledit Perrottin, ni moins ledit comparant pour ne savoir, de ce enquis [Signatures : Marion ; Vionnet, notaire]. [Fin]

 

Voir aussi Coupables de crime de faux-saunage (1707/09) [Prochainement]

Source : AD01, 3E14278 (Me Vionnet, notaire à St-Germain de Joux), f° 210 du 3 décembre 1699. Relevé : Ghislain Lancel.

Première publication le 27 mars 2012. Dernière mise à jour de cette page, le 16  novembre 2014.

 

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