Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Visite régulière du 24 août 1717 (justificatif)

 

"[f° 311] Carte de visite de l’abbaye de Chésery

Nous, frère Arsène de Jougla, abbé de Tamié, vicaire général de l’Ordre de Cîteaux, en la province de Savoye, savoir faisons que, visitant [f° 312] le monastère de Chesery, de la filiation de Fontenet, en la ligne de Clairvaux, au diocèse de Genève, accompagné de Dom Jean Curton, notre religieux et secrétaire, nous avons trouvé, outre le prieur qui est religieux d’Aulps, six religieux profès dudit monastère et un convers, outre lesquels il y a trois autres absents, savoir : un qui est prieur à Hautecombe et deux qui résident en des abbayes de France.

Et après avoir entendu dans les scrutins lesdits religieux présents et avoir pris connaissance du spirituel et du temporel de ce monastère, nous y avons fait les ordonnances suivantes.

Le Bref du pape Alexandre VII donné en 1666 pour la réforme générale de notre Ordre, sera à l’avenir observé ponctuellement par toutes les personnes régulières de ce monastère, sous les peines de l’Ordre.

Et pour commencer par ce qui est prescrit touchant l’office divin, nous ordonnons, conformément à l’article 19 et au décret du chapitre général de 1667, que l’ on se lèvera pour les Matines à deux heures après minuit les jours de fêtes les plus solennels, et à trois (heures) les autres jours.

On continuera de faire les pauses comme on les fait grandes au milieu de chaque verset des psaumes de l’office divin, soit qu’on chante ou qu’on ne fasse simplement que psalmodier ; mais on prendra bien garde d’en faire aussi à la fin desdits versets, en sorte qu’un chœur ne commence pas que l’autre n’ait fini. On chantera rondement, sans trainer, mais pourtant sans précipitation ; on observera en tout exactement les cérémonies de l’ordre.

L’ on ne manquera point de faire chaque jour une demi-heure de méditationdans le chœur, et en communauté le matin entre l’office de Notre Dame et les Matines canoniques, et autant le soir après les vêpres.

Et dans le cours de l’année, chaque religieux fera la retraite spirituelle des dix jours. Le prieur aura soin qu’aucun ne s’en dispense et que chacun la fasse régulièrement tous les ans.

La lecture spirituelle , qui se fait en communauté immédiatement avant qu’on commence les Complies, pourra être continuée dans l’église pendant qu’on travaillera à rebâtir le cloitre ; mais lorsque ledit cloitre sera en état, on la fera dans une de ses ailes, selon qu’il est ordonné, ou du moins dans le chapitre, l’espace d’une petite demie heure environ ; après laquelle l’on entrera dans l’église pour chanter Complies, avec l’ordre et les cérémonies prescrites.

Tous seront très assidus aux offices divins et prompts à s’y rendre ; et personne ne s’en absentera, ni des autres exercices spirituels et régularités de la maison, sans des raisons pressantes et sans la permission du prieur à qui on sera obligé de s’accuser des contraventions ; et quand quelqu’un arrivera tard à l’office divin, il ira faire la satisfaction au degré du presbytère, d’où il ne se rendra à sa place dans le chœur qu’après que le supérieur lui en aura donné le signe en frappant un coup sur les formes. On fera de même la satisfaction au réfectoire quand on s’y rendra tard pour les repas.

Au sortir de Complies, chacun se retirera dans sa cellule, et un moment après on sonnera la retraite, après quoi personne n’en sortira plus que pour des nécessités pressantes.

Et depuis les Complies jusqu’après le Pretiosa du chapitre du jour suivant, t ous garderont inviolablement le silence en tous lieux , et en tout temps dans les réguliers, savoir : dans l’église, le dortoir, le cloitre, le réfectoire et le chauffoir lors qu’on en aura (a)ménagé un.

[f°313] Le prieur ne manquera point de tenir régulièrement le chapitre, pour instruire, reprendre et corriger les religieux lorsqu’il en sera besoin ; et de leur faire dire leurs coulpes le plus souvent qu’il pourra, au moins une fois la semaine, même les proclamer ou les faire proclamer, s’il est nécessaire, et leur imposer des pénitences.

Nous ordonnons aussi qu’on lise tous les jours au chapitre, après la lecture de la Règle, un article du susdit Bref d’Alexandre VII, afin qu’on s’en instruise bien et qu’on voit à quoi il oblige. On y lira aussi à haute voix, chaque samedi matin, les noms des officiers de la semaine suivante, qui seront inscrits sur une tablette, tant pour toutes les messes d’obligation de l’ordre dont on aura soin de s’acquitter fidèlement, que pour les autres offices de l’église et du cloitre. Le prieur ne manquera pas d’y faire des instructions à la communauté toutes les veilles des fêtes de sermon.

Quand quelqu’un, supérieur ou autre, sera indispensablement obligé de sortir du monastère ou de faire voyage, le cellérier lui fournira l’argent nécessaire pour les dépens ; et à son retour il rendra audit cellérier le reste qu’il n’aura pas dépensé, sans en rien retenir.

Nul religieux ne donnera ni ne recevra quoi que ce soit au monde, lettres, présents, dépôts ou autre chose sans la permission du prieur.

On continuera de recevoir régulièrement, comme on a fait jusqu’ici, les comptes du cellérier, et on sera plus exact qu’on a été de recevoir ceux du procureur ; et comme nous avons trouvé que lesdits comptes du procureur n’ont point été rendus et examinés depuis quelques années, et que d’ailleurs ces comptes ne sont pas tout à fait dans les formes, nous ordonnons au procureur de les y mettre incessamment, comme nous le lui avons expliqué, et audit prieur de les examiner et clôturer selon les règles et usages de l’Ordre, pour nous être ensuite représentés à notre première visite.

Les jours ouvriers , qui ne seront pas fêtes de sermons ou de deux messes, les religieux travailleront des mains, selon l’usage et les règlements de l’Ordre, le matin après Primes et l’après diner avant Vêpres, et cela au jardin ou ailleurs selon que le supérieur le leur ordonnera.

Comme la cour devant le monastère [actuelle Place de l'Eglise] est ouverte à toutes les personnes séculières de l’un et de l’autre sexe, à cause de l’église de paroisse qui y est, nous défendons très expressément à tous les religieux d’y aller sans une permission expresse, que le supérieur n’accordera pas aux jours de dimanche et de fête. Les officiers qui peuvent y avoir affaire éviteront d’y aller sans une véritable nécessité, surtout les jours de fête.

Nous renouvelons l’ordonnance ci-devant, faite par Mr le Révérend abbé de Clairvaux [en 1687 ?], laquelle a été négligée, qui est de remettre les chambres du dortoir de deux côtés, tant pour les portes, entrées et séparation que pour les cheminées dans le même état où elles étaient, avant qu’on eût joint deux chambres en une, et qu’on y eut fait des cheminées.

On ne souffrira plus à l’avenir, pour quelque considération que ce soit, que les fermiers retirent leur blé dans les chambres du dortoir, et nous ordonnons à Dom Prieur de leur faire vider incessamment et sans délai celles qu’ils occupent.

Tous, supérieurs, officiers et autres coucheront dans le dortoir, où l’on tiendra durant la nuit la lampe toujours allumée depuis les Complies.

Et chacun d’eux y couchera dans sa cellule, tout vêtu, sur une simple paillasse sans matelas et dans des draps de laine qu’on achètera le plus tôt qu’on pourra.

[f°314] Et ils n’useront tous à l’avenir que de chemises de serge, tant dehors que dedans le monastère, suivant l’article 29 du même Bref, en conséquence duquel nous leur défendons absolument l’usage de celles de toile, et ordonnons au cellérier de faire incessamment emploi des serges et étoffes nécessaires pour cela, en sorte que chacun ait un nombre suffisant de chemises de serge ; Dom Prieur tiendra main à cela.

Le Prieur aura toujours une clef pour pouvoir entrer quand il le voudra dans chaque cellule des religieux et les visiter ; mais nul d’entre eux n’entrera dans celle d’un autre, ni fera entrer personne en la sienne, domestique ou étranger, sans une extrême nécessité et sans la permission dudit Prieur. Nul encore ne se fermera dans sa chambre par derrière lors qu’il y sera dedans et il laissera en dehors la clef attachée à sa porte.

Nous défendons aux religieux, très étroitement, l’entrée de la cuisine, où ils n’iront que pour une véritable et pressante nécessité. Ils tiendront après le souper ou la collation leur conférence, dans le lieu que le Prieur leur déterminera, à laquelle ledit Prieur et officiers assisteront autant assidument qu’ils pourront, et celui-ci veillera qu’on ne s’y entretienne que de choses de piété et y fera proposer pour cet effet, à chaque religieux tour à tour, quelque sujet d’édification.

On gardera aussi inviolablement l’ abstinence de viande, conformément à l’article 29 dudit Bref, c’est-à-dire pendant tout l’Avent, la Septuagesime, Sexagesime, Quinquagesime, outre les lundis et mercredis du reste de l’année, et les autres temps que l’église défend d’en user ; de même aussi tous les jeunes de la Règle et de l’Ordre, outre ceux de l’Église. Et cela, non seulement dans le monastère et en communauté, mais aussi étant dehors.

On fera dans le réfectoire la lecturependant tout le repas, soit à diner soit à souper, sans la discontinuer pour quelque raison que ce soit.

Quand quelques personnes étrangères ou du voisinage, parents, amis ou autres, viendront dans le monastère, ils seront reçus par le Prieur ou par le religieux qui en aura la charge ; et nul des autres religieux ne les abordera et ne se joindra à eux sans la permission dudit Prieur, ni ne mangera ou boira avec eux, que dans les lieux du monastère destinés à cela et avec la même permission.

L’on recevra les hôtes avec toute l’honnêteté convenable, évitant sur tout les superfluités et les excès ; mais on ne leur servira jamais à manger en gras les jours qui sont d’abstinence pour la communauté dans toute l’enceinte du monastère et l’enclos régulier.

L’on tiendra toujours les portes du monastère et de l’enclos régulier fermées, et l’on n’en permettra point à aucune femme l’entrée, sous peine d’excommunication, ipso facto.

De même aussi nul religieux n’en sortira sans une permission expresse du supérieur.

Et si l’on permet des promenades hors de l’enclos, ce ne doit être que rarement et elles ne se feront point qu’en communauté et le supérieur à la tête ; [f°315] et l’on y gardera pour règle inviolable de ne point se séparer les uns des autres, de s’écarter toujours des grands chemins et des villages, sans y entrer ni dans aucune maison, et de n’y point boire ou manger. Nous défendons les particulières.

Personne, soit supérieur soit religieux, ne sortira de la province sans notre permission expresse et par écrit, et l’on observera sur ce point ce qui est ordonné par l’article 35 du Bref. Nous n’entendons pas, etc. [sic].

Le Prieur ne permettra pas à aucun religieux de sortir de son cloître, d’aller dans les villes et de faire voyage, même pour peu de jours, sans une nécessité indispensable et sans se faire accompagner d’un de ses confrères, comme il est ordonné par le Bref, hors que ce fut le cellérier sortant pour les fonctions de son emploi, à qui en ce cas on ne donneroit pas de compagnon, et qui cependant doit sortir le plus rarement qu’il pourra, même de l’enclos, du moins pour les affaires qui peuvent se traiter et se négocier dans le monastère.

Pour ce qui est d’ aller dire la messe, prêcher ou faire choses semblables dans les paroisses, villages ou châteaux voisins, on ne le permettra point aux religieux.

Et quand à ceux qui se trouveront par nécessité hors du cloître ou en voyage, ils y garderont également les jeunes et l’abstinence de l’Ordre, y seront vêtus selon leur état et feront voir par leur conversation et par toute leur conduite qu’ils sont religieux et qu’ils ne démentent point leur profession.

Le Prieur ne permettra pas aux personnes séculières de l’un et de l’autre sexe de passer les balustres qui séparent le chœur de la nef, pour quelque raison que ce soit [honorer les reliques de St-Roland], même pour aller communier, comme elles ont fait jusqu’ici au grand autel qui est dans le chœur ; il empêchera de même qu’on y entre, selon l’usage établi aux jours de certaines fêtes et processions [St-Roland], cet usage étant tout à fait contraire à la régularité et aux lois de l’Ordre. Il disposera les choses pour satisfaire à la dévotion des peuples, en sorte néanmoins que la régularité s’y trouve et que les religieux soient toujours libres et ne soient jamais troublés dans leur église. On tiendra pour cela très exactement les portes des balustres toujours fermées.

Le cellérier ou, en sa place, celui que le Prieur choisira, fera les dimanches après diner le catéchisme, ou exhortation, au frère convers et aux domestiques depuis la Toussaint jusqu’à Pâques.

Dom Prieur veillera soigneusement sur la conduite intérieure et extérieure de ses religieux et les portera à ne pas négliger la lecture spirituelle et la prière, et que chacun s’acquitte fidèlement de ses vœux et de tous les devoirs de son état ; et il tâchera lui-même de leur en montrer l’exemple en toutes choses, surtout dans l’observance des articles de notre présente carte de visite, qu’il aura soin de faire observer exactement.

Nous ordonnons que notre présente carte de visite soit lue dans le chapitre assemblé à chaque quatre temps de l’année, avec les décrets du dernier chapitre général, [f°316] que nous y joignons, et soit enfin exactement observée dans tous ses points, aussi bien que lesdits décrets, par toutes les personnes régulières de ce monastère, présentes et à venir, sous les peines de l’Ordre.

Fait dans ledit monastère de Chesery, et publié dans le chapitre d’icelui le 24 août 1717." [Fin de la transcription].

 

 

Source : AD73, SA 206, ff° 311-316.

Publication : Ghislain Lancel. Remerciements à Christian Regat, et pour son ouvrage, Tamié et les Cisterciens en Savoie : l'abbatiat d'Arsène de Jougla, 1707-1727 (1998).

Première publication, le 26 juin 2020. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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