Patrimoine et Histoire de Champfromier
Par Ghislain Lancel

Moulin dit Moulin-Thomas (Forens)

 

Le Moulin-Thomas n'est plus qu'une ruine qui se trouvait sur la commune de Forens (alors séparée de celle de Chézzery). De nos jours, l'accès en est facilité par la mise en place en 2003 d'une superbe passerelle sur la Valserine, à l'initiative de l'Amicale des Sentiers Chézerands.

Moulin-Thomas

Les moulins étant banaux avant la Révolution et appartenant donc tous à l'abbaye, Louis-Thomas Gros-Siord [CI-3283 (1752-1827], apparaît comme le fondateur du nouveau moulin sur la Valserine, lieu-dit qui sera immortalisé par son prénom, le Moulin-Thomas. En 1806 (le 13 novembre, par-devant Me Blanc), déjà meunier et bien actif, on le voit transiger, moyennant 100 francs, avec les époux Joseph Berrod demeurant la Combe d'Evuaz à Champfromier, et Françoise MATHIEU sa femme, propriétaires de parcelles voisines, pour avoir établi "dès longtemps" sur leurs fonds trois chemins pour aller à son moulin, depuis l'abbaye le long de la rivière, depuis le hameau de La Rivière en suivant (aussi) la Valserine, et encore depuis Rosset ; et cet accord vaut à perpétuité à condition que "les chemin seront maintenus dans la même grandeur qu'ils sont actuellement" [Arch. privées].

Il est présumé que les premiers enfants de la fratrie sont nés comme leur père au Fond des Prés à Forens. Mais en 1796, une fille Claudine naît déjà au "Moulin du Rocher (le Rocher Derrière de Noirecombe)". Son frère cadet, Joseph-Marie Gros-Siord dit Joseph [CI-9777 (1798-1886)] dernier né des 11 enfants (dont 5 morts en bas-âge) prendra la relève de son père, en tant que meunier (et cultivateur), propriétaire à Forens, et son épouse en 1ères noces, Antoinette Benoît-Godet, étant dite aussi meunière. En 1846, meunier au "Pont-Thomas", Joseph emprunte 2000 francs, avec pour caution sa femme en secondes noces et trois enfants de son premier lit. D'autres transactions des années 1847 et 1848 le disent toujours meunier au "Pont-Thomas" [Arch. privées].

L'état des sections de Forens en 1833 confirme que Joseph Gros-Siord est propriétaire du Moulin Thomas et des environs, un lieu-dit alors dénommé le "Rocher Derrière". Il possède les parcelles B 531-542, comprenant un grand bois de presque 5 hectares (B531) voisinant celui communal, de petites terres, une usine de 20 m² (B536), un moulin de 190 m² (B537), une maison de 60 m² (B538) et un jardin de 120 m² (B539). La feuille de plan B2 du cadastre, bien que manquant de détails, montre bien l'ensemble des constructions avec un canal de dérivation prenant l'eau en aval dans la Valserine et la rendant immédiatement par un coude après le moulin, ainsi que deux tronçons de chemin se réunissant au bout du jardin avant de franchir la Valserine par une passerelle. A noter que "l'usine" (terme ancien désignant une scierie), ne semble pas alimentée par le canal !

Moulin Thomas au cadastre

Parmi les enfants Joseph Gros-Siord dit Joseph [CI-9777], quatre fils auront des activités dans de meunier ou scieur : Antoine Camille, meunier au "Pont-Thomas" en 1846, puis scieur, charpentier à Saint-Jean-de-Gonville, Jean Marie Eugène dit Eugène sera meunier à Noirecombe/Moulin-Thomas, puis cultivateur à Chézery, Michel Olivier dit Olivier [11366 (1830-1893)] sera meunier à Forens, scieur en 1886, décédé célibataire en 1893 au Moulin Thomas, et Jean Marie Alphonse dit Jean [11597 (1834-1884), meunier à Forens, décédé en 1884 au Moulin Thomas. Leur sœur Marie-Jeanne est décédée célibataire en 1885 au Moulin Thomas. Il apparaît donc que cette famille Grossiord réside dans la maison d'habitation du Moulin Thomas au moins jusqu'en 1893.

Moulin Thomas

Plan (sans date) des propriétés de Louis Thomas Grossiord

 

Les inondations du 2 novembre 1859 ruinent les espoirs du nouvel exploitant

Toutefois lorsque cette crue de 1859 est survenue, l'ancienne usine (scierie) avait été rénovée par un nouvel exploitant, Jules Grosfilley [CI-10964 du Fichier des baptêmes de Chézery (1822/1905)], le moulin semblant resté l'apanage des Grossiord. Une lettre adressée le 25 avril 1860 à l'Inspecteur des Eaux et Forêts de Nantua par Jules Grosfilley, propriétaire et marchand de bois demeurant à Chézery, en témoigne, ayant l'honneur d'exposer : "que d'après les inondations du premier novembre dernier (1859) par la rivière la Valserine, qui a causé d'aussi grands ravages sur ses 2 rives, a emporté en partie les scieries à bois qu'il avait fait rétablir à grand frais, au lieu le Pont Thomas, sur la commune de Forens, le pont y conduisant (ayant eu) ses deux culées entièrement enlevées et les emplacements tellement ravinés qu'il n'y a plus aucun espoir de chercher à les y rétablir.

"Dans cette position (circonstance) des plus exceptionnelles et des plus embarrassantes, comme (puisque) ayant une très grande quantité de bois acheté sur les communes de Forens et de Lélex, pour fournir et faire honneur à ses nombreux engagements, il est dans la triste nécessité d'établir ailleurs ses scieries, (afin) que par la suite il n'y est plus à craindre un désastre comme celui qu'il vient d'éprouver.

"A ce sujet, une demande a été faite le 6 novembre 1859 à Monsieur le sous-préfet de Nantua, dont la solution (réponse) ne doit pas tarder à venir. D'après un avis formel et très favorable qui lui est parvenu, cette demande était (fut) formulée pour être autorisé à établir une scierie à bois, soit hydraulique, à proximité du pont neuf de Noire Combe (rive droite de la Valserine, territoire de la commune de Forens) [L'Avenière], (mais) sur sa demande n'ayant pas mentionné la distance kilométrique des bois communaux, pensant qu'il y avait la distance voulue par la loi ; aujourd'hui d'après les informations prises, approximativement son éloignement ne serait qu'à une distance d'environ 1500 mètres du bois communal dit canton de Lébély, territoire de la commune de Forens.

"En conséquence (…) Chézery le 25 avril 1860 [Signé : Grosfilley (dans un grand paraphe de forme ovale)]".

Jules reconstruiera cependant en 1861 une nouvelle scierie à 2 ouvertures fiscales en ce lieu (parcelle B 531 de Forens, feuille B2), mais bien vite fiscalement démolie, en 1863 [Propriétés bâties et non bâties de Forens, case 112 (vue 143/277)]

Ce lieu fut abandonné par Jules, et vendu avant 1918.

Début des années 1900

Après les inondations de 1859, il est certain que l'habitation continue d'être occupée. En 1897, une Marie Elisa Blanc [11441] décède au Moulin-Thomas, et en 1906 c'est un Raymond Robert MATHIEU [14293] qui y voit le jour.

Par contre, on sait peu de choses sur les divers locaux industriels du lieu désormais dit le Moulin-Thomas, sauf que la crue de 1910 est ravageuse. Fin 1918, le propriétaire unique avait fait place à M. Lacroix, pour le moulin, et M. Grenard, pour la scierie.

Moulin-Thomas Moulin Thomas
La scierie du Moulin-Thomas (rive droite) très peu de temps avant la crue de 1910, et (extrait de CP) après la crue avec une passerelle posée au bas de la culée restante

 

Projet d'une nouvelle usine électrique (1918/1919)

A la fin de la première Guerre mondiale, alors que les Grosfilley avaient eu le monopole de la production électrique pour Chézery et Forens (avec l'usine de L'Avenière), un projet concurrent voit le jour. En effet, d'Arlod (Ain), le 12 octobre 1918, Charles Lacroix, ingénieur mobilisé aux Ateliers de Constructions, adresse une lettre au préfet de l'Ain, par laquelle on apprend que le 9 courant il a adressé une demande pour la remise en état de la prise d'eau au barrage du Moulin-Thomas (emporté par les crues), qu'il vient de racheter (titres actuellement à l'enregistrement et au bureau des hypothèques), et que le moulin sera équipé pour produire de l'énergie électrique, afin d'abord de faire fonctionner une scierie mécanique à venir à Chézery, et le surplus pour l'éclairage et la force-motrice ! La concurrence est citée : "L'usine, située sur la Valserine, immédiatement (la plus proche) en aval du barrage à reconstruire, est l'usine électrique de Mr. Grosfillex à Chézery ; il y a également la scierie de Mr. Grenard César (aussi propriétaire au Moulin-Thomas), qui peut se servir de l'eau qui passe dans mon usine". Les travaux sont estimé à une durée de deux mois, à exécuter pendant les basses eaux.

Le rapport du subdivisionnaire du Service hydraulique, de 5 pages, interviendra quelques temps plus tard, de Bourg, le 9 janvier 1919, après visite des lieux le 18 novembre 1918. "Le barrage dont il s'agit était constitué en partie par un îlot emporté qui a complétement disparu (...) Ce barrage actionnait le moulin et la scierie Thomas, le tout abandonné depuis que le chemin et le pont qui desservait l'usine ont été aussi emportés par les crues de la Valserine. Cette usine, quoi que très ancienne, n'a pas d'existence légale ; elle n'est pas réglementée. Elle appartenait autrefois à un propriétaire unique. Aujourd'hui, elle est possédée, partie par M. Lacroix, pétitionnaire, pour le moulin, partie par M. Grenard, pour la scierie (…) Messieurs les maires de Chézery et de Forens ont émis des avis très favorables à l'exécution du projet (…) La Valserine actionne diverses usines électrique, moulin ou scieries, la plus rapprochée en aval étant l'usine Grosfiley, éclairage électrique, à 2 km environ du barrage projeté. L'ancien chemin de grande communication numéro 16, qui était établi sur la berge gauche de la Valserine, a été emporté par les crues (…) Le niveau de la retenue a été fixé à 2m70 au-dessus du fond du lit (…) Le pétitionnaire se propose d'établir son canal d'amenée sur le terrain communal rive gauche et de franchir la rivière sur une passerelle-aqueduc fixe (...) Le dossier est remis aux mairies" [Arch. privées].

Le 16 janvier l'Ingégnieur en Chef adoptait les résolutions. Toutefois le projet restera sans suite. De nos jours, il ne reste plus que des ruines de bâtiments et quelques aménagements métalliques.

 

Publication : Ghislain Lancel. Photo : Ghislain Lancel (5 novembre 2018). Remerciements (documents privés et cartes postales) : Michel Blanc.

 

Première publication, le 17 mai 2023. Dernière mise à jour, idem.

 
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