Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Une Huguenote en fuite... (1589)

 

La "Trêve de Dieu", pour une Huguenote, est une l'une des nombreuses histoires captivantes et historiques publiées par le Chanoine André Vuillermoz. Après la lecture de ce résumé, pourquoi ne pas en profiter pour lire, ou relire, le livre entier "Les Collines Mortuaires".

 

Résumé : Lors des guerres de religion entre catholiques et protestants le huguenot Messire de Lurbigny, brave et habile capitaine du roi de France Henri III tente de conquérir le pays de Gex sous domination hispano-savoyard. En 1589, parti du Grand-Saconnex, le voici dans Gex dont il occupe le château, propriété du baron de Pobel de la Pierre, gouverneur du baillage de Gex, qui a tout juste le temps de déguerpir. Le capitaine huguenot se jette vers le sud, se rend maître de Pouilly, Thoiry, puis jusqu'au Fort l'écluse. Il déloge une garnison savoyarde commandée par un capitaine Piémontais. Mais là prend fin son équipée victorieuse.

Une petite armée, composée de Savoyards et d'Espagnols, sous le commandement de Don Amé, gouverneur de Savoie et de Joachim de Rye marquis de Treffort, réoccupe la citadelle du Fort l'écluse puis reconquiert tous les villages environnants. Savoisiens et Espagnols s'emploient à dévaster tout le pays de Gex en représailles. Les dégâts sont considérables, feux de maisons, assassinats, viols, exécution du bétail et les récoltes seront volés.

Ce fut à ce moment-là, prise de panique, en cette effroyable détresse des habitants de Genève et du pays de Gex qu'une noble dame de l'entourage du capitaine de Lurbigny, la marquise Elisa de Vaugremont se détermina, non sans risque, à gagner l'autre versant du Jura pour se protéger.

Notre marquise quitta Gex dans l'hiver 1589/1590 à la faveur de la nuit et réussit, malgré la fatigue et le froid, à gagner, chevauchant une petite bourrique, le col de la Faucille, pour redescendre sur Mijoux, par un raide sentier ou sa monture, maintes fois trébucha. Il ne restait plus qu'à se laisser conduire le long de la Valserine. En traversant le village de Chézery, elle entendit les galops d'une troupe qui montait, avec une hâte peu rassurante, par le chemin de Confort. Sans perdre de temps à vouloir l'identifier, elle avisa le sentier, encombré de végétation, qui, sur la droite, dès la sortie du bourg, gagnait le flanc de la montagne, pour se hisser dans l'étranglement d'une gorge au niveau du hameau de Noirecombe [Chemin des Espagnols]. Téméraire entreprise sans doute ! Elle n'avait pas le choix ! Le détachement dont elle avait esquivé la rencontre, était conduit par un émissaire de Joachim de Rye. Autant dire que sans doute elle serait tombée entre les mains de cette bande de Savoyards et d'Espagnols dont on vient d'évoquer les cruelles exactions.

Alors qu'au trottinement de plus en plus hésitant de sa pauvre bourrique, portant bagages et réserve de vivres, elle s'élevait dans cette gorge, peu avenante, ou commençaient d'apparaître les premières neiges. Ce chemin était un lieu de passage pour les brigands de la région qui voulaient rejoindre Genève à la Franche-Comté. Notre marquise était loin de se douter qu'une autre menace se précisait sur ces arrières. Dans le baillage de Gex on avait eu vent de sa fuite, sur les indications d'un domestique catholique du baron Pobel de la Pierre. La marquise occupait une place éminente au conseil d'état de Genève et sa capture serait un trophée. Une petite escorte commandée par un lieutenant Espagnol, surnommé "Trompe la mort", se lança sans tarder aux trousses de la marquise. "Trompe la mort" découvrit des traces sur le chemin emprunté par la marquise, il entreprit donc de s'élancer à sa poursuite, accompagné de cinq ou six hommes.

Après une heure de marche la marquise dut se résigner de descendre de sa monture, qui boitait de plus en plus. Mais la pensée lui vient d'un coup, traversée d'angoisse, que les hommes dont elle avait perçu l'approche au galop de leurs chevaux à Chézery, avaient peut-être emprunté finalement le même chemin qu'elle. Elle reprit aussitôt la marche. Elle vit soudain une sorte de repli dans la pente avec un sentier. Elle marcha sur une centaine de mètre et se trouva sur le seuil d'une grotte. Elle tira profit de cette grotte pour se restaurer et se reposer. En dessous d'elle, "Trompe la mort" et ses hommes se rapprochaient inexorablement. Elle perçut le bruit rebondissant d'une pierre que l'un des Espagnols, sans le vouloir, avait expédiée dans le ravin. Elle eut la force de marcher plus vite dans cette pente hostile mais au moment où ses poursuivants se trouvaient sur le point de la rejoindre, par un raide couloir que l'on voit encore aujourd'hui, une formidable coulée de neige, en grondant, s'abattit sur les Espagnols, sans qu'ils n'aient rien pu faire pour l'éviter, les précipita au fond du ravin.

La marquise fut sauvée ce qu'elle prit pour un signe du ciel. Elle put rejoindre quelques jours plus tard le canton de Vaud.

 

Cette histoire rappelle que 200 ans plus tard en 1790, quasiment au même endroit [à la Combe d'Evuaz, Champfromier], une marquise moins chanceuse fuyant la Révolution Française, sera précipitée dans un ravin avec son âne par un habitant de la région afin de la voler.

 

 

Source : "Les Collines Mortuaires" par André Vuillermoz paru en 2001 aux éditions du Balcon." (pp. 154-160)

Publication : Ghislain Lancel. Remerciement : G. Noblet (le résumé).

Première publication le 6 novembre 2019. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 
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