Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Cahier de doléances de Chézery

 

A Chézery, comme dans chaque communauté d'habitants de France, des cahiers furent rédigés le 11 mars 1789, pour être présentés à l'Assemblée des Trois États du Baillage de Belley.

 

Cahier de Doléances, plaintes et remontrances de la communauté de Chezery, pour être présenté aux États Provinciaux à Belley.

Nous, habitants de la Rivière, Forens, Mentiere et Chezery composant ladite communauté de Chezery, en vertu des lettres de Sa Majesté du 24 janvier 1789, et encore en vertu de l’ordonnance de Monsieur le Lieutenant Particulier du Baillage du Bugey à Belley du 26 février de la susdite année, avons rédigé le présent cahier comme il suit.

Article 1er. Dommages causés sur les terres, par les montagnes et par la rivière.
Notre paroisse est une vallée située entre deux chaines de montagne, d’une hauteur prodigieuse, l’une appelée le mont Jura est située au levant, l’autre nommée les montagnes de Chalame, est placée au couchant. Au milieu de ces deux chaines de montagne, est une rivière, ou plutôt un torrent très désastreux, qui dégrade et endommage considérablement les terres qui se trouvent sur les bords, ou si pour l’ordinaire, il ne les entraine pas, il les couvre de grosses pierres, gravier et cailloutage.

Article 2e. Territoire rétréci qui ne nourrit les habitants que pendant six mois
Le terrain de la communauté dudit Chezery est d’un très petit espace et par conséquent d’un modique revenu ; à peine y croit-il suffisamment de blé pour nourrir ses habitants pendant 6 mois environ de l’année, on y sème ordinairement que de l’orge et de l’avoine, tout le reste du terrain qui est d’une étendue immense, ne consiste qu’en champéages, broussailles, rochers et précipices.

Article 3e. Nombre des habitants, chemins difficiles
Le nombre des habitants de notre vallée se monte au moins à 2000 âmes ; pour fournir à la subsistance de tant d’individus pendant la moitié de l’année, nous sommes obligés de tirer les denrées du plus prochain marché, qui se tient à Nantua et dont nous sommes distants de 5 lieues. Pour y parvenir, nous n’avons que de très mauvais chemins de communication, qu’il est impossible que nous fassions et que nous entretenions, si nous ne sommes puissamment secourus, ou par la Province, ou par tous autres moyens qu’il plaira au Gouvernement nous indiquer.

Article 4e. Corvées
Nos chemins vicinaux seraient moins mauvais, ou plutôt moins affreux, sans les corvées des chemins royaux auxquelles nous sommes assujettis, et cela pendant plusieurs jours ; pour aller vaquer aux tâches qui nous sont imposées, nous sommes obligés au moins de faire 4 lieues de chemins.

Article 5e. [Dépourvue de sapins]
Quel qu’étendue que soit notre communauté, elle est entièrement dépourvue de bois sapin ; elle ne peut s’en procurer qu’à grands frais chez ses voisins, ainsi la construction de nos habitations nous devient très dispendieuse, et cela par le défaut des chemins de communication que nous ne pourrons jamais faire, étant abandonnés à nos propres forces. Il n’y a d’ailleurs aucun revenu de communauté dans notre vallée, pour subvenir aux différents besoins et accidents qui nous surviennent : nous avons sur notre rivière, ou mieux sur notre torrent, trois ponts dont l’entretien est très couteux et nous n’avons aucune ressource pour y remédier.

Article 6e. Mainmorte.

Doléances Chézery


Nous sommes français sans être francs, la taillabilité et la mainmorte nous privent de ce glorieux titre ; car nous sommes tous cerfs et mainmortables de la Royale abbaye de Chezery, ordre de Citaux, qui perçoit la dîme des grains et chanvre, partie de six la sixième [le grain dîmé à une gerbe sur six], et partie de onze la onzième [le chanvre à une sur onze], dans toute l’étendue de la paroisse ; Perçoit en outre une vache après la mort de chaque chef de famille, qui se trouve en avoir deux à son décès, et s’il n’en a qu’une, il est dû 7 florins genevois, et s’il n’en a point du tout, 3 florins et demi. Toutes ces redevances pourraient paraitre tolérables, quoi qu’intolérables, si par surcroit de malheurs la susdite abbaye n’exigeait encore les lods de vente au denier six.

Article 7e. Banalité
Nous sommes dans notre vallée sujets à une gênante banalité, qui est celle des moulins et cabarets qui dépendent de l’abbaye ; banalité si rigoureuse que nous n’avons pas la liberté d’aller moudre nos grains ailleurs, ni de lever des cabarets où ils seraient d’une nécessité indispensable : nous ne pouvons pas même construire des moulins [Vue 6– Page 5] pour la commodité des paroissiens qui sont à une trop grande distance des moulins banaux, car il faut au moins faire deux lieues de chemins pour se rendre aux susdits moulins.

Article 8e. Sel
Ce qui achève de mettre le comble à notre misère commune, c’est le haut prix du sel, qui est, pour nous et pour nos bestiaux, d’une nécessité indispensable ; nous le payons 18 sols 9 deniers le litron, tandis que la province de Gex ne le paye que 5 sols la livre, poids de 18 onces, et il serait bien à souhaiter pour nous, que la susdite Province n’eut jamais été exempte de gabelle, notre paroisse ne serait pas aujourd’hui presqu’entièrement ruinée par les différentes captures que les employés des Fermes y ont faites et continuent à y faire, soit légalement, soit illégalement ; nous disons illégalement parce qu’il arrive très fréquemment, que lesdits employés font des saisies et captures nulles, soit en prenant les colporteurs de faux-sel sur la franchise, soit en dressant des procès-verbaux qui sont la plupart du temps remplis de faux ; et si nos malheureux concitoyens veulent se plaindre, on dresse incontinent un verbal de rébellion contre eux : non contents de nous tourmenter nous-mêmes, lesdits employés nous vexent encore cruellement dans nos biens et dans nos habitations ; sont-ils en campagne, ils endommagent considérablement nos champs et nos prés par les différents sentiers et chemins qu’ils y pratiquent, sous le spécieux prétexte qu’ils vaquent à leurs emplois ; sont-ils dans nos habitations, ils renversent, cassent et brisent nos meubles. D’où peut venir un tel excès, disons-le franchement et librement ; il vient de l’impunité de la part des préposés.

Limites entre la vallée et le Pays de Gex
Il n’existe entre notre Vallée et le Pays de Gex aucune limite ; il serait digne de l’attention du Gouvernement d’y pourvoir pour éviter par ce moyen quantité de procès qui se font entre la Ferme et les paroisses limitrophes de la susdite Province ; vu donc, ci-dessus l’exposé de nos misères, nous sommes les plus malheureux des sujets du meilleur de tous les Rois.

Le sel marchand
Le sel, le sel qui nous est si nécessaire, nous coûte infiniment ; à peine la majeure partie d’entre nous en a-t-elle suffisamment pour ôter le goût insipide de l’eau dont elle fait sa soupe et ses autres aliments : nos bestiaux qui sont faits pour nous aider à vivre et à payer les charges royales, sont privés ainsi que nous du sel qui pourtant leur serait très utile ; car s’il était possible de leur en donner de temps en temps, ils s’en porteraient mieux, ils seraient moins sujets aux maladies et au dépérissement ; le produit que l’on retirerait de leur fruit serait plus considérable, et la nourriture qu’ils nous donneraient serait de meilleur goût et de meilleure qualité ;

[Conclusion]
Mais pour en venir à ces fins, il ne nous reste qu’à supplier avec le plus profond respect et la plus parfaite soumission Notre Auguste Souverain de vouloir bien prendre en considération le tableau de nos peines et de nos misères qui lui sera fidèlement exposé par la respectable Assemblée des Trois États du Baillage de Belley, et avons signé tous tant que nous sommes, les autres habitants n’ayant pu le faire pour être illettrés, à Chezery le 11 mars 1789.

[Signé : Blanc ; Mathieux ; Famy ; Gros ; Cary ; F. Julliard ; Moine ; … Blanc ; Mathieu ; Mermillion ; Coutier ?; Pointet ; Blanc ; Julliard ; R. Cartant ; Resprion?; J. Gros-Siord ; Jaquinod ; Claude-François Co… : Marquis ; Vualliat : Cusin ; Durafourd ; Mermillon ; Berthod ; Moine ; Verchere ; Cartant ; Jacquinod ; Blanc ; Julliard ; Roland Cary ; p.r.f.l. Bouffand ; Durafour ; H. Mathieu ; Jean-Rolend Blanc ; Duraffourd].

Le présent cahier a été coté et paraphé par nous Antoine Blanc, Châtelain de Chezery, depuis la page première jusqu’à la page huit, à Chezery le 11 mars 1789 [Signé : Blanc (notaire)].

 

Source : AD01, 52B32 (en ligne : site des AD 01/Archives numérisées/Pour les plus curieux/Archives du Diocèse De Belley-Ars/Cahiers de doléances/Commune à choisir)

Publication : Ghislain Lancel.

Première publication le 25 février 2020. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 
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