Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Jules Brachet était né le 4 janvier 1860 à Hauteville (Ain), fils de cultivateur. Homme sans histoires, il était instituteur-adjoint à Champfromier recensé en début d'année 1891, demeurant comme ses collègues dans un logement de fonction de la récente mairie-école (inaugurée le 2 juin 1889).
Stupéfaction, la presse relate qu'il a disparu depuis le 4 mai 1891, par un petit encart paru dans son édition du 17 mai 1891, et on craint le pire !
De fait il n'est plus recensé par la suite à Champfromier, et son décès n'est pas signalé ni à Bellegarde, ni à Châtillon, ni à Confort, ni à Lancrans, ni non plus a Injoux à l'emplacement du futur barrage de Génissiat où le corps aurait pu dériver...
Son livret militaire (Matricule n° 663) le donne pour instituteur à Hauteville à l'âge de ses vingt ans en 1880, puis "dégagé de ses obligations militaires le 25 avril 1891, ayant satisfait aux obligations de son engagement décennal" ! Curieusement il semble rester vivant pour les services de l'armée puisqu'il est officiellement libéré du service militaire le 1er octobre 1906 ! Mais dans son livret, toutes les cases sont vides, aucune ne mentionne de changement de lieu d'habitation, ni aucun fait d'arme...
Sitôt ce haut de page publié, un lecteur assidu nous indiquait la piste sur le web d'un ouvrage universitaire mentionnant notre instituteur... Contacté, M. André D. Robert, Directeur de l'Ecole doctorale EPIC à très aimablement répondu. Voici les extraits de la publication (1) :
"De 1878 à 1915, sur l’ensemble du territoire national, d’après notre source , 462 enseignants de tous niveaux, publics et privés, (dont 347 instituteurs-trices) se sont rendus coupables d’actes répréhensibles ou délictueux, de plus ou moins haute gravité (mais pouvant aller jusqu’à l’homicide), ayant parfois entraîné des condamnations par les tribunaux correctionnels et les cours d’assises . Rapporté à l’effectif des enseignants du primaire, estimé à 150 000 (publics et privés) entre 1896 et 1914 , ce nombre représente effectivement un pourcentage infime de déviants du portait-type"
"Ce que nous disent les dossiers/Inconduites et abus de confiance : "Ces deux catégories ne révèlent rien qui puisse avoir valeur emblématique, significative administrativement ou politiquement. Ainsi Jules B.[rachet], instituteur titulaire, chargé d’école dans le public à Champfromier, se voit reprocher en 1891 son inconduite et sa mauvaise tenue due à sa fréquentation assidue des débits de boissons (même pendant les récréations). Il est même allé jusqu’à quitter sa classe, « pour aller se régaler d’absinthe dans un café voisin de l’école… », ce qui a enclenché la procédure. Dans un premier temps il a été l’objet de « paternelles remontrances », puis d’avertissements de plus en plus sévères, jusqu’à se voir infliger des déplacements à deux reprises. L’inspecteur primaire l’a plusieurs fois rencontré après huit heures du soir titubant dans les rues de Bellegarde, ailleurs il a même été « trouvé ivre mort au milieu d’un chemin [si bien] qu’on dut le porter dans une écurie pour ne pas le laisser écraser par les voitures ». Après un dernier blâme, il a quitté son poste sans prévenir. L’inspecteur conclut son rapport : « Cette mesure [révocation] serait un salutaire exemple pour les jeunes maîtres tentés de l’imiter »...
(1) "Jugements et peines à l’encontre des instituteurs et institutrices sanctionnés pour ‘fautes professionnelles’ par le Conseil départemental : l’exemple du département de l’Ain (1886-1913)", dans la revue Carrefours de l'éducation (publiée par Armand Colin) en novembre 2011, n° spécial hors série. (André D. Robert et Martine Meyer-Crance, université Lumière Lyon 2). Acheter la revue
Publication, Ghislain Lancel. Relevés : Marie-Claude Bordat (L'Abeille du Bugey du 17 mai 1891). Remerciements (compléments): M. André D. Robert (Université Lumière Lyon 2), et Martine Meyer-Crance (dépouillements). Référence d'archives : AD01, Série 18 T 3 Enseignement, affaires culturelles, sport (archives modernes 1791/1940) sous l’intitulé : « Peines disciplinaires – Révocations – Réprimandes - Condamnations - Suspension - Interdiction».
Première publication de cette page, le 13 mai 2015. Dernière mise à jour, 20 mai 2015.