Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Edouard Bianchi (1888-1968), marbrier d'origine italienne est recensé à Champfromier dès 1946. Inhumé au cimetière de ce village (à gauche de l'allée centrale, près de l'entrée), sa famille (Sampietro, Gerardo) est toujours bien présente à Champfromier.
Edouard Bianchi fut tailleur de pierre. Il a réalisé de nombreuses décorations florales sur des dalles tombales en pierre du cimetière de Champfromier, des roses pour la sienne, une guirlande de feuilles de lierre pour celle Ducret-Henriot (tombe n° 70, contre le mur du fond).
Edouard Bianchi est né le 13 décembre 1888 à Viggiù (province de Varèse, Italie ; on prononce "vidjou"). Enfant d'une famille très pauvre, comme beaucoup d'autres à cette époque en cette région, sa scolarité est très courte et il commence très tôt un apprentissage de tailleur de pierre (marbre et autres calcaires), qui durera 7 années.
Son frère Pierre étant déjà tailleur en France, il le rejoint à l'âge de 17 ans, à Divonne-les-Bains, non loin de Genève dont les besoins en pierre de taille sont importants. A Divonne, son frère est déjà chef aux (anciennes) carrières du Mont Mussy (Voir la carrière où travaille Edouard). Edouard, tout en travaillant, y complètera sa formation en découvrant la taille du calcaire Comblanchien (carrières vers Dijon), idéal pour la sculpture des monuments funéraires. Le travail en France n'est que saisonnier. Les italiens rentrent chez eux l'hiver pour ne revenir qu'au moins de mars.
Bon pour le service, Edouard doit ensuite effectuer son service militaire en Italie, et il vient tout juste de le terminer lorsque la Première guerre mondiale éclate... Il passera ainsi sept années de sa vie aux armées...
Après la guerre, il se mariera dans son village natal, en 1924, avec Francesca Sampietro. Le couple viendra vivre à Divonne. Puis Edouard ira travailler dix ans chez M. Picard, marbrier à Bellegarde. Mais le couple ne peut avoir d'enfants ; ils en adoptent un, un bébé italien. C'est pourtant un drame pour eux après quelques années : ils apprennent que les parents du garçon veulent le récupérer et qu'ils doivent le rendre. Du coup la maison qu'il s'est construite lui-même à Bellegarde semble bien vide. Toutefois sa femme, Francesa Sampietro, a un frère qui vient d'avoir une quatrième fille, Andreina (Adrienne) et c'est la misère à Viggui. En juin 1935, Edouard propose aux Sampietro de prendre leur dernière-née des filles avec eux, en France. L'idée de la séparation est difficile, surtout pour la maman, mais Eufrasia la grand-mère y est très favorable "Au moins, ça en fera une qui mangera à sa faim !", et ils acceptent... Dès lors Adrienne, qui aura encore un frère (décédé jeune) et une autre sœur, sera la seule de la fratrie à profiter du bien-être de la France. Et quel effet cette relative aisance produira lorsqu'elle retrouvera avec de beaux habits ses cinq sœurs restées au pays...
Edouard va ensuite travailler une dizaine d'années chez un Bianchi, aussi tailleur de pierres, et par ailleurs petit-cousin !
Durant la seconde Guerre mondiale, le métier s'arrête. Edouard, qui avait eu l'occasion de bien connaître Félix Coudurier, cultivateur à Communal (hameau de Champfromier), est pris sous son aile lorsqu'il lui propose de venir habiter au Bordaz (autre hameau de Champfromier) une maison (ancienne maison Blanc, actuellement Manillier) dont le propriétaire, Félix Ducrest, est en Algérie. Dès lors ils feront de petits travaux chez les Coudurier : les foins et le jardin pour Edouard, la tenue de la maison et la cuisine pour Francesca. Félix y trouve aussi son compte, lui qui est encore célibataire et dont la sœur Marie est morte en 1940, laissant la maison sans femme. Durant la guerre chacun sait que s'il vient à la ferme, même s'il est lyonnais, il ne repartira jamais sans rien, au moins quelques œufs frais qu'on ira chercher au poulailler. Il accueille même les cousins Bianchi, Zino et Albino. Plus tard, Edouard remerciera Félix en lui gravant une scène de chasse sur le linteau de leur porte à Communal (maison paternelle du Clos).
Edouard aura ensuite son atelier à la maison Paul Garin (qui se trouvait près de MGI) et là il y entreposera ses outils et ses pierres, et il y préparera ses sculptures.
Après le Bordaz, la famille habitera l'ancienne maison Assumel (actuelle Mathieu Coutier, rue de la Chapelle) puis chez Ducret César (Immeuble Ducret-Gaucher, rue du Champ du Pont), et enfin au 793 rue des Burgondes (une maison en partie construite avec les démolitions de l'ancienne gare du tram de Champfromier). Francesca décèdera en 1954 et Edouard en 1968.
Et qu'est devenue la petite Adrienne ? D'abord, âgée de 14 ans, elle se rend à vélo dans les cimetières de Champfromier, Châtillon et Chézery pour aider son oncle à porter le ciment nécessaire à poser ses pierres tombales dans les cimetières. Il y avait aussi le cimetière de Montanges mais, celui-là, ne lui en parlez plus, pensez donc, monter les seaux de ciment et de cailloux sur un terrain aussi en pente... Et puis un jour, quelques années plus tard, un certain Stephano Vitali est venu à Champfromier, pour y construire la Salle des Fêtes. En arpentant les rues, il entend soudain, s'échappant d'une fenêtre ouverte, la voix claire d'une fille chantant en... italien ! Et là, c'est une belle histoire d'amour qui commençait...
Edouard a donc sculpté de nombreuses pierres tombales en calcaire, avec une prédilection pour les roses, les marguerites et les feuilles de lierre ou de chênes. Il a aussi réalisé l’hôtel de la Ste-Vierge de l’église de Champfromier, et en Suisse, avec son frère, la salle des fêtes de Gland, où ils furent invités pour l’inauguration. Un important éditeur de Lausanne, la famille Gonin, faisait aussi régulièrement appel à ses services, allant le chercher et le reconduire, pour enjoliver leur magnifique demeure privée à colonnes de style Renaissance, au Col de la Faucille. Dans le Pays de Gex et en Suisse, il a travaillé pour plusieurs entreprises, et nombre de bâtiments portent des pierres de taille anonymement taillées par un certain... Edouard Bianchi.
Publication : Ghislain Lancel. Remerciements et photo du Monument aux Morts de Châtillon : Adrienne Vitali, née Sampietro à Viggui.
Première publication, le 8 février 2017. Dernière mise à jour de cette page, idem.