Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Tombe des penseurs libres (n° 21-23)

 

Quand le cimetière de Champfromier nous mène des penseurs libres à Waterloo !

 

Le long de la première partie du mur ouest du cimetière de Champfromier (n° 21-23), il est une tombe étonnante, recouverte d'un gazon sans aucune plaque ni inscription. Tout juste, étant très attentif, remarque-t-on une étoile sur chacun des chanfreins des petits côtés extérieurs de trois blocs de béton qui séparent l'espace funéraire de l'allée. C'est la tombe des penseurs libres, des oncles d'Eloi Ducrest, dit la rumeur (et pour une fois c'est vrai). Ils sont trois, avec sept femmes ! Cette fois la rumeur en est bien une, exagérée, déformée : trois femmes suffiront, de même qu'un ou deux frères...

 

Les oncles d’Eloi Ducrest [CI-6903] étaient les fils de Jean-Marie Ducret-Chevron [4573], branche Jancourt (du Bordaz), et de Marie-Agathe Martin, membre de plusieurs confréries religieuses de Champfromier. Dieu avait donné à Jean-Marie et Agathe six enfants, tous des garçon. Jean fut le père d'Eloi ; André semble mort en bas-âge ; César sera prêtre ; Martin resta célibataire ; Félix est décédé à Collonges ; Luc-Marie dit Luc, l'aîné, se maria trois fois et fut penseur libre.

Luc-Marie Ducrest [5643] est né le 4 décembre 1840 au Bordaz, et il y est recensé jusqu'en 1851. Luc fut postier à Paris (63 rue Dufour, St Germain, Paris 6ème) puis à Lyon (d'abord 17 rue Duhamel, Lyon 2ème, puis 29 rue de la Lanterne à Lyon 1er, chez Julienne Tournier, après leur mariage en 1868).

Il revint à Champfromier, dès 1885. Là, il fut montreur de souris-artistes et l'on possède encore son livret d'autorisation, délivé le 24 juin 1885 pour lui-même, un fils et son frère Félix, pour "la profession de Ménagerie de souris artistes". On peut ainsi suivre leur itinéraire à travers les villes de divers départements de la région, allant de Lyon à Grenoble, jusqu'en novembre 1886, et notamment à Bellegarde (Ain), "pour aujourd’hui 30 avril 1886 (et demain)", avec à chaque fois le cachet de la municipalité justifiant de leur entrée dans la ville. Cette activité fut de courte durée mais les anciens de Champfromier se souviennent encore de la grande roue que les souris faisaient tourner, laquelle resta longtemps dans un terrain vague de la rue des Burgondes...

Luc est recensé demeurant à l'ONU (celui de Champfromier !) en 1886, puis demeurant rue de la Forge (actuelle maison Paul Ducret) à partir du recensement de 1891, lieu où il fut alors maraîcher, ainsi qu'en témoignent encore divers aménagements.

La tradition orale lui attribue d'avoir été habillé en bleu-blanc-rouge lorsque, Républicain, il avait été candidat à la députation. On rapporte aussi que son cercueil était placé en attente au-dessus du lavoir au bas du jardin, et qu'il l'essayait chaque année pour vérifier qu'il rentrait toujours dedans ! Il est mort à Champfromier le 27 juin 1916.

Luc s'était marié trois fois. Il épousa Julie (Julienne) Tournier-Mermillon [CI-5423], branche Many, en 1868 à Lyon, puis en secondes noces (le 15 janvier 1895, au Poizat, Ain) Thérèse-Joseph DE VALERIOLA, née en 1833 de famille noble à Marbais en Belgique, fille de Napoléon-Joseph-Louis-Auguste De Valeriola et de Marie-Joseph Carpant, veuve Joseph BERTHET-BONDET du Poizat, ancien garde-républicain, décédée à Champfromier en 1900. Il épousa en troisièmes noces, le 30 mai 1900 (avec contrat de mariage), Joséphine Mathilde PAGET, née de parents inconnus à Lyon-Guillotière en 1849 et veuve de Jean-Roland DUCRET [CI-5492 (meunier)], décédée le 10/10/1902 à Champfromier.

Notons que le couple Carpant-Thirionet fut témoin de la bataille de Waterloo au moulin de BRY, ainsi que leurs enfants, et en particulier Marie-Joseph CARPANT, enfant en 1815 (future épouse De Valeriola, parents de Thérèse De Valeriola, épouse en secondes noces de Luc-Marie Ducret) ; elle fut interviewée peu avant sa mort par le New York Times pour témoigner de la bataille du Moulin de Bry et évoquer leur rencontre avec Napoléon, venu observer les lieux depuis leur moulin la veille de la funeste bataille ; puis de la famille donnant, la nuit venue, à boire aux soldats français gémissants... Elle mourut au Poizat, âgée de près de 90 ans, après avoir communiqué ses souvenirs de la Grande Histoire !

   

Revenons à nos penseurs libres. Eloi Ducrest, quincailler de Champfromier (on y vendait les clous à l'unité...), pétainiste, était un homme au carisme reconnu dans le village. Mais, de toute évidence, ses oncles n'avaient pas les mêmes idées que lui. Et serait-ce aussi pour s'en distinguer qu'Eloi avait fait modifier, légalement, son nom de Ducret en Ducrest ?

 

Publication : Ghislain Lancel. Remerciements à Annette Gambin et Françoise Coutier (Généalogie De Valeriola).

Première publication, le 19 octobre 2016. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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