Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Tombe n° 84-85, Octave Tournier, syndicaliste engagé de la CGT

 

Appuyé sur le mur Est du cimetière de Champfromier (Ain), Octave Tournier (1888-1980) repose en paix !

 

 
Pierre tombale "Famille Tournier" au cimetière de Champfromier, avec une photo des noces d'or (en 1964)

Un pépé pour les enfants

Tous les anciens de Champfromier, et même les plus jeunes, ont le souvenir d'Octave Tournier, ancien maire honorifique à la fin de la Seconde guerre mondiale. Françoise Coutier est l'une de celles qui peuvent apporter leur témoignage : Octave TOURNIER était notre "Pépé TOURNIER", ainsi l’appelions-nous affectueusement, mes frères et moi, car il était le cousin germain de notre véritable grand-père, César Ducret, que nous n’avions jamais connu, décédé précocement en 1926, âgé de 53 ans.

Notre grand-mère Elisa HENRIOT, veuve de César Ducret, éleva donc en partie seule ses quatre enfants. Elle décéda elle aussi avant que nous eussions eu le temps de la connaître. Octave et Elisa, cousins par alliance, s’étaient beaucoup estimés. La vie leur avait apporté à chacun leur lot de chagrins.

Ce qui fait que nous avions malgré tout "un" pépé, le Pépé TOURNIER. Alors que nous étions tous quatre jeunes enfants, il s’inquiétait de tout le dur travail qui incombait à nos parents, Madeleine (la fille de son cousin) et René COUTIER. Ainsi, il venait prêter la main à l’arrachage des pommes de terre. Un jour que notre père lui proposait une reconnaissance pour son aide précieuse, je l’ai entendu le remercier par ces mots prononcés avec gentillesse et gravité : "Je n’enlèverai jamais un bout de pain de la bouche d’un enfant". Je n’avais que 7 ans, mais ces mots de sagesse sont restés gravés en moi. Brave et Bon Pépé TOURNIER, notre seul Pépé puisque le Pépé COUTIER était décédé lui aussi avant que l’on ne vienne au monde, au printemps 1947.

Ce fut chez Pépé et Mémé TOURNIER, qu'en période de Noël, nous regardâmes pour la première fois la télévision ! Toute la famille y ayant été invitée. Ce fut le "Lac des Cygnes" que je découvris, émerveillée. Pépé et Mémé TOURNIER étaient la gentillesse et la douceur incarnées. Ils habitaient alors au bord de la "Rue Neuve", en mitoyenneté avec la famille VALLET-GRENARD dont les fillettes étaient de notre âge.

A cette époque-là, nous, les enfants, ne savions pas ce qu’avaient vécu Octave et Marie Augustine. Nous ne savions pas que nous sortions juste d’une abominable guerre qui leur avait pris deux fils.

J’ai gardé un vieil article d’une publication locale qui évoquait le Pépé TOURNIER au moment des corsos fleuris du village. Cet article est illustré par le portrait fait de lui par Christian VALLET, l'un de nos peintres champfromérands, lequel côtoya toute son enfance, rue Neuve, le Pépé et la Mémé TOURNIER, dont ses parents étaient voisins.

Un syndicaliste engagé à la CGT

La vie d'Octave Tournier fut aussi celle d'un homme à l'engagement syndicaliste fort, reconnu, membre du bureau de la CGT. Poilu, blessé, son carnet militaire, rédigé chaque jour au crayon à papier, nous a été transmis, et c'est avec une grande émotion que nous pouvons le consulter. Homme attaché aux valeurs de la patrie il a participé activement à les défendre lors de la Seconde Guerre mondiale, et en paya un lourd tribu familial. Reprenons la synthèse de sa vie, publiée dans le Tome 3 des Cahiers du Patrimoine de Champfromier, celui des Poilus :

Octave Tournier reçut deux citations, celles de la Croix de Guerre et de la Médaille militaire. La première Guerre mondiale achevée, c'est en juin 1922, alors qu’il est sous-brigadier des douanes à St-Genis-Pouilly, qu'il fut reçu deuxième au concours pour le grade de brigadier. Comme on avait pu s’en apercevoir dans des articles de presse, avec les 30 francs dit versés à chaque soldat par la municipalité de Champfromier mais que lui n’avait jamais reçus (21/03/1918), il savait défendre ses intérêts, et surtout ceux des autres. Syndicaliste engagé, il est resté dans toutes les mémoires pour avoir contré Aristide Briand à la tribune de la Société des Nations à Genève (admission de l'Allemagne à la SDN, séance du 16 septembre 1926) ! Membre de la CGT à un haut niveau, cela lui avait valu de perdre son emploi (et sa fonction de conseiller municipal à Bellegarde...), avant toutefois d’être réintégré. Durant la seconde guerre mondiale, il fut un relai pour ceux qui voulaient entrer dans la résistance et il hébergera une épouse juive avec ses deux enfants. Octave et Augustine eurent trois enfants, une fille (épouse Bertinotti) et deux fils, ceux-ci étant tous deux morts dans la résistance, Charles (FFI) au camp de Bergen-Belsen (Neuengamme), et Marcel lors d’une mission dans les combats pour la libération de Lyon, le corps retrouvé calciné, brûlé par les Allemands. Faisant suite à Marius Chapuis, précédent maire dont il ne partageait pas vraiment les opinons..., Octave Tournier sera promu maire de Champfromier en novembre 1944, et il gèrera la fin de la Seconde guerre mondiale jusqu’aux élections de mai 1945. Né en 1888, Octave Tournier est décédé à Champfromier.

Mentions de son registre matricule, n° 507 (par Th. Tournier)

Octave Louis Félix, né à Champfromier (Ain) le 28.01.1888, cocher à St-Germain-de-Joux (en 1908)

*01.10.1909 : incorporé au 2° régiment de Dragons, cavalier 2° classe, matricule 597.
*24.09.1911 : envoyé dans la disponibilité (Certificat de bonne conduite).
*01.10.1911 : passé dans la réserve de l’armée active.
*01.07.1912 : classé dans l’affectation spéciale comme préposé des douanes.
*1914 : Décret de mobilisation générale.
*05.06.1915 : mis à la disposition de l’autorité militaire au 2° régiment des dragons (dépêche ministérielle du 20.04.1915).
*14.10.1917 : passe au 11° régiment des Dragons
*21.11.1917 : se trouvant dans la tranchée de 1ère ligne à Layetzen, fut atteint au péroné gauche par éclat d’obus.
*22.12.1917 : cité à l’ordre du 367e RI n°334 (a fait preuve des plus brillantes qualités militaire en accomplissant un métier d’agent de liaison sous un violent bombardement, blessé en cours de mission). Médaille militaire par décret du 16.02.1934.
*08.05.1918 : cité à l’ordre du régiment n°20 (agent de liaison a parfaitement assuré son service pendant l’attaque du 03 mai 1918 donnant à tous l’exemple du plus bel entrain, riant et plaisantant sans se soucier des barrages).
*02.04.1919 : congé illimité de démobilisation par le 7°régiment des cuirassiers (6° échelon n° 3535)
*01.06.1928 : demeure à Bellegarde.

Voir sa fiche matricule complète

Généalogie et autres compléments

Sa généalogie peut se retrouver dans les fichiers de PHC (Octave, n° 6905) qui remontent à Champfromier, pour ses ancêtres Tournier-Mermillon, jusque vers 1584, avec des notes personnalisées (archives notariales, etc.) pour presque chacun des individus. Lien vers la généalogie et le téléchargement gratuit des fichiers (Excel). Voir aussi, par Jean-Marie Rosenzweig, et aussi Généanet.

Les Moissons de la Mémoire, Champfromier (pp. 177-181).

PHC, Tome 3 des Cahiers du Patrimoine de Champfromier, les Poilus de Champfromier (Son carnet de Poilu et des photos inédites de la guerre dans la Somme, pp. 73-89).

 

Publication : Ghislain Lancel. Remerciements : Françoise Coutier, Thierry Tournier.

Première publication, le 30 novembre 2016. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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