Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Triangulation, méridienne et repères en 1833 (Inédit)

 

Peu avant la réalisation des plans de 1833, dits napoléoniens, il fut nécessaire de déterminer avec précision les contours de chaque commune, ce qui ne pouvait se faire sans avoir pour référence quelques points remarquables, connus par leurs coordonnées. Les archives du cadastre on conservé pour Champfromier ce plan de triangulation et la liste des signaux. La Révolution étant passée, le système métrique étant mis en usage et le méridien mesuré, il n'aurait pas du être difficile d'interpréter les coordonnées chiffrées portées en regard des signaux. Et pourtant il n'est pas si évident d'en découvrir le repère utilisé et son système de mesure...

Repère, système de mesure et plan du canevas (triangulation)

Pour Champfromier, on dispose du plan de triangulation (à l'échelle 1/25.000) et de la liste des 73 repères (chacun étant dit "signal", si toutefois il n'est pas le clocher de l'église, la cheminée de la maison de M. X, ou un sapin sec...). Chaque signal est positionné par deux chiffres, de toute évidence correspondant à nos longitude et latitude actuelles mais dans un système de mesure qui ne correspond pas à ceux de nos cartes IGN actuelles. Quel repère et quelles unités étaient-ils donc utilisés ? Les réponses ne sont pas immédiatement évidentes... La première colonne de chiffres, titrée Méridienne, comporte des nombres compris dans une fourchette allant de 109,3 à 5.944,4. A y regarder de plus près, et surtout en comparant avec le plan, on découvre que certains de ces nombres correspondent à des points situés à gauche de la ligne verticale dite Méridienne et qu'ils devaient donc être complétés d'un signe distinctif (aujourd'hui on leur mettrait un signe moins). Il s'agit donc de longitudes allant en réalité de -2.119,3 à +5.944,4. Pour la seconde colonne, dans un premier temps mystérieusement titrée "Per...", pas de soucis, ces nombres s'échelonnent entre 4.383,6 et 13.782,9 visiblement sans changer de signe.

Ces derniers nombres suggèrent que la ligne du zéro n'est pas très loin, à chercher au sud de Champfromier. Et là, tout s'explique ! Rappelons nous qu'en 1833 Champfromier était une commune du canton de Châtillon-en-Michaille, et que même si la récente mesure du méridien n'avaient pas encore été suivie d'un système mondial de coordonnées géodésiques, le système métrique était lui bien en vigueur en France.

La carte d'assemblage des plans napoléoniens de Châtillon-en-Michaille, le chef-lieu de canton à cette époque, donne une réponse aux questions posées sans contredit possible : la "Méridienne de Châtillon" et la "Perpendiculaire cantonale" s'y coupent à angle droit au niveau du clocher de l'église, qui est donc l'origine, le point de départ des coordonnées pour toute les communes de ce canton.

Les nombres indiqués en marge des feuilles de plans napoléoniens d'un canton sont tout simplement les éloignements exprimés en mètres par rapport au clocher de l'église du chef-lieu.

Le territoire de Champfromier se trouve donc (en incluant les balises nécessairement situées un peu à l'extérieur des contours) entre 4.383,6 et 13.782,9 mètres au nord du clocher de Châtillon-en-Michaille, et entre 2.119,3 mètres à l'ouest et 5.944,4 mètres à l'est de ce clocher. Le quadrillage des feuilles des plans napoléoniens, tracé qui n'est souvent qu'à peine esquissé en bordure de feuille, se réfère au clocher de Châtillon, constituant quand il est visible des carrés de 200 mètres de côté, de quoi permettre de situer facilement un site perdu au milieu de nulle part !

Il a cependant été observé que les planches de la commune de Champfromier ne comportent pas toutes de quadrillage, et que, malheureusement, certaines communes de l'Ain (en particulier celles dont les feuilles datent d'avant 1830) n'en ont aucun sur aucune des planches...

En ce qui concerne les feuilles de Champfromier, le clocher de l'église de Châtillon ayant pour coordonnées GSW84 UTM (kilométriques) X=716,3 km et Y=5113,7 km, il est donc possible, théoriquement, de faire correspondre aisément des emplacements sur les planches des plans napoléoniens et sur le terrain. Mais dans la pratique, l'erreur se révèle parfois assez importante (le point de départ ne semblant pas réellement le centre du chocher, mais peut-être une tour voisine provisoirement construite pour une meilleure visibilité...) Il est donc préférable d'étalonner l'origine pour l'ensemble du plan, voire pour chacune des feuilles de plan : les coordonnées relevées en Napoléon et GSW d'un emplacement assez central, facilement identifiable, comme une maison (si toutefois elle n'a pas été reconstruite à quelques centaines de mètres après 1833...), suffisent. La suite n'est plus qu'une simple formule mathématique à appliquer !

 


Détail du canevas (plan de triangulation) et de la limite communale pour la partie nord
Télécharger le plan complet en haute résolution

Liste des signaux du canevas

Le plan dit du canevas (de triangulation) est accompagné de la liste des 73 balises qui ont permis de tracer les feuilles de plan de Champfromier en 1833. Chaque signal est numéroté dans l'ordre croissant, suivi de sa désignation (aussi clairement que possible à l'époque...), puis du chiffre de sa Méridienne (autrement dit de sa distance Est ou Ouest en mètres par rapport au clocher de Châtillon-en-Michaille) et de sa Perpendiculaire (éloignement en mètres au Nord du clocher). La liste se termine par quatre signaux additifs non numérotés.

La liste des définitions des signaux est intéressante à divers niveaux. Le toponymiste y trouvera des lieux-dits inédits pour Champfromier, comme le Pré Laurent, celui des Ambrezalys (des myrtilles), la Combe Véloup, une nouvelle Roche de la Colombière et une nouvelle Roche à l'Aigle, un Creux Benoît, un lieu des Ecourtas dit aussi Plan de la Guay, sans compter un Cret de la Paresse dont on ne sait s'il est du patois ou une erreur d'écriture pour la Pérouse...

Les généalogistes à la recherche des ruines de l'habitation de leur ancêtre pourront aussi parfois y trouver quelques mentions inattendues comme "Cheminée de la maison de la Vve Genolin, lieu-dit Chatonay ou chez les Valet. Le toit de cette maison est réparé à neuf du côté du midi."

Et ceux qui ne cherchent rien pourront se contenter de sourire à la fragilité de repères tels que "Cret Merle, au matin du prunier", "Sapin sec marqué de la hache, situé sur les rochers au-dessus de P(ier)re-Longue", "Signal sur un vieu tronc de sapin, lieu-dit Sur l'Aujet", etc.

 

Quelques exemples. Seules les quatre premières colonnes (numéro, désignation, Méridienne, Perpendiculaire) figurent sur la liste des signaux de Champfromier. Pour la balise n° 58, le plan portant ce point à gauche de la méridienne, il faut donc lire -254,8, et non +254,8. La cinquième colonne reporte la mention lue sur le plan de triangulation. La dernière colonne est un additif, permettant de retrouver si possible le signal sur la feuille de plan napoléonien (Feuille de plan, numéro de la parcelle, notation du signal).

55 Signal dans la c(ommun)al des Ecourtas, soit Plan de la Guay 656,8 7133,8 Ecoustaz D6 (manque)
56 Signal sur le cret de l'Echat 413,1 5776,0 Cret de Léchat D3, n° D 1115 "56 Signal"
57 Signal sur un foyard dans le bois d'Eparchy 109,3 6264,4 Eparchy D6 (Manque aux Eparchy)
58 Truchet de Champfromier (-) 254,8 6994,4 Truchet Champfromier B5, ext. SE ("58"). En face de B 311

 

Retrouver ces signaux sur les plans napoléoniens

Le plan de triangulation porte au bas que "Je remettrai plus tard à Mr Félix les distances et les lettres indicatives des points du canevas, qui ne sont représentés par des numéros que provisoirement".


La balise 48

Après bien des heures passées à rechercher les 73 balises sur les 22 feuilles des plans napoléoniens, en s'aidant des chiffres du quadrillage quand ils existent, en les reconstituant dans le cas contraire en marge de reproductions des feuilles, il a été observé que finalement rares sont les balises qui ne sont pas indiquées (une dizaine, sur l'exemplaire des AD). Toutes sont symbolisées par un petit rond en pointillé, avec un point en son centre. Certaines sont au milieu de nulle part... d'autres sont à peine visibles sur une limite de parcelle. Le numéro manque assez souvent. Certains signaux figurent sur deux cartes, et dans ce cas une balise est à l'extérieur du plan de la feuille, sur l'une des planches. Quelques rares autres balises sont nouvelles. Des lettres figurent parfois avec des segments les reliant (semblant avoir servi à des mesures de distances, mais les documents manquent pour ces données).

 

Mis à part quelques solides et inamovibles repères, comme celui du clocher de l'église de Champfromier, aucun repère n'a été retrouvé physiquement sur place. Les repères géodésiques et plots altimétriques reportés sur les cartes IGN avaient ensuite pris le relais, et le GPS les rend caduques aujourd'hui...

Ghislain Lancel          

 

Remerciements : Mme Florence Beaume, M. Louis Michel (AD de l'Ain, Cadastre et correspondants), M. Jacques Ruty (usage des coordonnées Lambert).

Première publication, le 14 avril 2011. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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