Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Une plante invasive : la Bunias orientalis

Il était une fois un promeneur que sa convalescence après une opération chirurgicale obligeait à parcourir les chemins de Champfromier. Heureux du soleil revenu il humait l'air parfumé de nos chemins, admirait les multiples orchidées sauvages qui ont la bonne idée de répartir leur floraison sur une très longue période, s'émerveillait de la biodiversité des plantes et des couleurs, des odeurs et des parfums. Il était conscient du foisonnement floral qui l'environnait, des œillets aux couleurs intenses aux discrètes silènes en passant par les géraniums sauvages, sensible aussi à l'herbe, l'herbe toute simple, ondulant en vagues successives sous la brise locale...

Et puis tout d'un coup, alors qu'il s'avançait en pensant aux bons fromages que dans quelques temps le lait des vaches locales si bien nourries de cette nature généreuse produirait, tout à coup, plus aucune variété de fleurs, un jaune fade, uniforme et déprimant, une plante invasive, qui à elle seule entend faire disparaître toutes les autres et prendre leur place, la bunias orientalis...

 


La déprimante entrée de Champfromier (côté Montanges),
il n'y a plus aucune diversité florale...

Comme son nom l'indique, la Bunias orientalis, n'est pas de la région ! On rapporte que, malgré sa valeur nutritive très faible, elle est cultivée pour la nourriture des chevaux en proche Orient et en Europe du nord-est. Dans les années 60, un forestier d'origine italienne, achetant ses camions dans ces pays lointains et exploitant des bois dans notre région aurait ramené des graines de cette plante. Du Grand-Essert, elle aurait envahi Chézery, puis toute la vallée de la Valserine, Champfromier, et même Giron maintenant.

Les vaches n'aiment pas non plus cette plante invasive. Si la bunias est coupée avec les foins et donnée à manger à ces bovidés, les vaches font le tri et ne la mangent pas. La progression ne semble pas très rapide, mais elle s'impose, et n'est limitée que par les coupes des foins qui peuvent s'effectuer avant la montée à graines. Mais qu'une année la météorologie capricieuse ne permette pas de couper le foin suffisamment tôt, et les fruits de la plante se disperseraient partout. Le scénario catastrophe serait : disparition de l'herbe à manger, d'où disparition de l'élevage des vaches, disparition des agriculteurs et retour de la forêt à la place de nos joyeuses prairies.

Action civique d'arrachage, le 11 juin 2010 après-midi

Le rendez-vous est fixé au Bordaz, hameau de Champfromier accessible à partir de la route de Giron, à la station de pompage au bout du hameau, le vendredi 11 juin, de 14 heures à 16 heures 30. Il est conseillé de s'équiper de gants, éventuellement de protections des bras et des jambes contre les orties... Les plus convaincus pourront s'équiper d'une bèche à dents afin d'arracher la plante en profondeur. Nous commencerons par traiter le Bordaz, et si nous sommes suffisamment nombreux, les autres hameaux et le village. Des véhicules avec remorque, téléphones portables, triangles d'avertissement routiers peuvent être utiles.

Pour les parcelles cultivées, les trois derniers exploitants agricoles de Champfromier voient cette action d'un œil très favorable (à la réserve naturelle de ne pas trop piétiner les foins...) L'un d'eux fera d'ailleurs un test de traitement avec un produit chimique sélectif, sur une parcelle d'un hectare lui appartenant, mais après les foins. En effet le produit n'est efficace que si il est en quantité suffisante par rapport à la surface totale des feuilles de chaque plante, et sera donc testé peu de temps après la repousse, lorsque les plantes sont encore à plat, en rosette. L'heure sera choisie de manière à ne pas tuer les abeilles.

Pour en revenir à l'arrachage de la Bunias, accord est donc généreusement accordé par les exploitants de Champfromier.

Pour les parcelles privées, un contact sera adapté à chaque cas. Il est demandé que les chiens soient les plus discrets possible...

 

Il est naturellement possible de commencer dès maintenant et de poursuivre cette action d'arrachage à tout moment. Il est très facile de reconnaître la plante par sa fleur (quatre petit pétales jaunes en croix), il suffit d'en observer un exemplaire là où elle pullule, à proximité du rond-point du village, vers Montanges...

Qu'attendre de cette action ?

Il est bien évident que l'on n'attend pas une éradication définitive de la Bunias en une fois, sur tout le territoire de Champfromier ! Si chacun pouvait déjà prendre conscience de cette invasion jaune qui se veut remplacer notre magnifique biodiversité, et arracher les pieds qui poussent à côté de chez lui avant qu'ils ne montent à graines, ce serait déjà une étape. Là où elle est la moins représentée, à Communal, au Bordaz, il est intéressant de savoir si d'arracher les quelques rares pieds présent dès leur arrivée est très efficace. Un test comparatif avec produits chimiques sélectifs, permettra aussi de savoir si c'est un mal nécessaire, ou si un arrachage physique par quelques volontaires en un après-midi est suffisant.

Et pour ce qui n'aura pas été traité lors de cette action civique du 11 juin, il est toujours possible d'agir, tant que les graines de la plante ne commencent pas à se disperser, par arrachage, sinon en fauchant les pieds de cette invasive, bref, en lui coupant l'herbe sous le pied !

Compte-rendu de l'action civique d'arrachage de 11 juin 2010

Compte tenu de l'annonce au dernier moment, nous étions peu nombreux, une dizaine, mais tous les présents furent des convaincus très actifs. Pas besoin de leur dire où aller, leur œil affuté leur permettait de repérer un pied isolé à 100 mètres de distance et aucun n'a économisé sa peine pour fouiller en tout endroit, sans craindre les démangeaisons provoquées par la sueur pour ceux qui n'avaient pas les bras protégés, ni les orties, ni la couleuvre... Etaient présents des représentants des trois exploitations agricoles de Champfromier, Yoanne, un jeune stagiaire agricole, lui aussi très motivé et prêt à relater cette action dans son rapport de stage, Gilbert et son véhicule pour transporter les plantes et les brûler ensuite, enfin des volontaires de Champfromier et de Montanges, hommes et femmes.

Le Bordaz, peu infecté, a eu la primeur de l'arrachage collectif. En trois quarts d'heure, c'était fini. On a pu toutefois remarquer une forte concentration derrière l'une des dernières maisons du hameau (Taborin). La terre et la caillasse récemment remuées semblent être à l'origine de cette concentration, confirmant cette cause que l'on donne souvent pour être l'une de celles de la présence de cette invasive. J'ai pu également observer la présence de quelques pieds en contrebas, uniquement localisés dans l'ancien chemin, en cuvette, qui partait de cet endroit. Il est donc vraisemblable que les eaux de la fonte des neiges entrainent plus bas dans cette "goulotte" des graines qui peuvent attendre plusieurs années avant de germer. Visiblement de jeunes pieds sont aussi présents, mais il a été impossible de les arracher, tant ils font un tapis...

Le groupe s'est ensuite transporté à Monnetier. Il a éradiqué la présence de la plante dans tout le champ à droite depuis la route de Chézery jusqu'à la première partie de la côte de la Pierre (lieu-dit Ménéchar). La plante dispersée, dans un terrain plus sec, était plus difficile à arracher, mais les quantités rassemblées par meules au bord de la route furent impressionnantes ! La plante était parfois aussi plus avancée, déjà à graines (heureusement encore vertes), rendant beaucoup plus difficile le repérage de ces pieds sans fleurs.

L'action s'est poursuivie le lendemain au hameau de Communal (vers les Sanges de Montanges) par un groupe qui n'avait pu être présent le vendredi.

Malgré l'engouement des présents, il manquait de bras pour traiter toute la commune, en particulier le haut de la Côte de la Pierre (où l'on retrouve le même phénomène présumé d'écoulement de neige fondue dispersant les graines dans le lit du chemin), Conjocle, et surtout la sortie de Champfromier vers Montanges. Faute de mieux un mail a été adressé à la mairie, pour faire couper ces plantes afin au moins pour cette année qu'elles ne se démultiplient pas par leurs graines, dans la Côte de la Pierre et la sortie de Champfromier (une demande pour la journée du 11 juin fut sans suite).

Après la satisfaction de plus de 200 kg de plantes arrachées, l'après-midi s'est terminée à la Chandelette autour d'une bonne bière et d'un quatre-quarts aux noix. Les participants se quittèrent en arborant une mine réjouie, chacun remerciant l'autre. Plus tard les bunias arrachées furent brûlées au Bordaz.

 

On espère qu'à l'exemple de cette action, chacun arrachera la bunias en son jardin avant qu'elle ne monte en graine, puis donnera son aide pour une prochaine séance d'arrachage, il s'agit en effet d'un effort à produire de longue durée, la graine restant viable au sol plusieurs années. Les animateurs de ce site se félicitent, pour cette action comme pour d'autres, cette fois pour la biodiversité florale et le maintient de l'activité agricole, de s'intéresser à la sauvegarde du patrimoine avant qu'il ne soit trop tard...

 

Du 16 juin 2010 : une nouvelle initiative d'arrachage a été prise du côté de la Rue de l'église, avec la participation spontanée de voisins. Comme d'habitude, il n'y a plus que la municipalité, pourtant contactée à deux reprises, à rester muette, la marque du village... ?

Certains anciens de Champfromier ne s'émeuvent pas, confondant cette plante avec la ravenelle qu'ils ont toujours connue en ces lieux. La ravenelle a pourtant un fruit différent, en forme de haricot dressé (une silique), tandis que la bunias a un fruit ovoïde. La bunias est bien une plante invasive ; pour s'en convaincre il suffit de se rendre à Chézery derrière la gendarmerie, ou au rond-point de Champfromier en direction de Montanges !

Du 22 juin 2010. Une troisième séance a vu à nouveau plusieurs volontaires effectuer un arrachage, au niveau du rond-point en direction de Montanges, et près des maisons voisines de l'Impasse des Combes. Un camion entier a été rempli et le chargement en a été brûlé à Communal, sur un terrain privé. Evidemment il reste encore de la bunias en divers autres lieux (plus loin vers Montanges, au bout de l'Impasse des Combes, en haut de la Côte de la Pierre, à Conjocle, etc.) mais pour une première année, la participation a été tout à fait remarquable, et même inespérée ! Plusieurs particuliers ont aussi arraché la plante à proximité de chez eux, parfois même sans être sollicité, les actions d'arrachage ayant obtenu une assez large communication.

Merci à tous, en attendant l'année prochaine pour faire le bilan. Toutefois la plante ayant des graines viables plusieurs années, il est certain qu'il faudra reprendre l'arrachage, avec on l'espère une participation encore plus importante, peut-être en sollicitant l'ensemble des associations locales. Une réflexion est aussi en cours concernant des parcages de chevaux, qui s'en nourrissent dit-on en Europe centrale...

 

 

Crédit photographique : Ghislain Lancel (6/6/2010, 11/6/2010 et 22/6/2010).

Première parution le 7 juin 2010. Dernière mise à jour de cette page, le 23 juin 2010.

 

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