Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Robert Dromard perpétue avec amour et compétence le métier de tavaillonneur dans la région du Jura (39370 Les Bouchoux). Les tavaillons sont ces fines planchettes de bois, de mélèze ou d'épicéa, qui couvraient traditionnellement les murs exposés à la pluie, et même les toitures des bâtiments.
Si l'on ne veut pas qu'un tavaillon devienne un "peigne" (dont les dents se creuseront bien vite si les poussées annuelles furent trop rapides) et surtout pour éviter que les champignons n'attaquent le bois une fois sec, R. Dromard doit acquérir des épicéas de haute qualité (bien supérieure à celle recherchée par les ébénistes) et les couper au bon moment. Dans la pratique, cette coupe ne peut s'effectuer qu'un seul et unique jour par an, naturellement à la sève descendante avant l'hiver, mais aussi à la lune décroissante et descendante (ces deux notions ne sont pas synonymes et la conjonction est rare) ! En une journée, il s'approvisionnera donc pour toute l'année, se réservant la taille pour l'hiver et la pose en été. Pas question donc de rater son coup lors de la coupe des arbres, d'avoir un tronc qui se fend ou se casse en tombant, où qui chute en un endroit inaccessible ! Il s'entoure donc des meilleurs bûcherons. François Mussillon, franc-comtois d'origine, est l'un de ceux là. Ils opèrent principalement en Forêt du Massacre et, comme en ce jour de conjonction du 24 octobre 2008 où nous l'avons rencontré, en forêt de Champfromier (parcelle A).
Le travail du bûcheron commence avant l'abattage, en choisissant l'emplacement précis où l'arbre devra tomber, sans abîmer les autres conifères de l'entourage, et en appréhendant le mieux possible les risques du métier : tronc qui ricoche en tombant, qui recule sur sa souche, dont le centre de gravité le fera tourner, etc. Naturellement il a au préalable vérifié la coupe parfaite de sa tronçonneuse et approché ses accessoires, comme des coins en plastique qui forceront l'arbre à tomber à l'endroit désiré.
Commence ensuite la coupe proprement dite. Avec une tronçonneuse, qui ne semblerait pourtant qu'un instrument d'amateur (50 cm) mais avec laquelle ce professionnel peut couper des arbres dont la base mesure jusqu'à 1,20 mètres..., il entaille le tronc dans la direction de la chute par une coupe horizontale en un demi-disque, coupe s'enfonçant presque jusqu'au cœur de l'arbre. Puis il effectue une seconde coupe, au-dessus de la première, mais oblique, de manière à dégager un coin de bois qu'il expulse d'un rapide coup de pied. Ensuite, du côté opposé, mais 2 ou 3 cm plus haut, il termine d'entailler le contour du tronc par une coupe horizontale provisoirement peu profonde.
Une étape intermédiaire est en effet de supprimer la base tronconique du tronc pour la rendre cylindrique, ce qu'il obtient rapidement par quelques coupes verticales.
Il reprend ensuite la coupe à l’horizontale du demi-disque opposé à la direction de la chute, en tournant autour d’un point fixe. Peu avant que l'arbre ne tombe, il enfonce à la cognée un coin de plastique dans la saignée. La fente s'ouvre ainsi un peu plus, faisant levier sur l'arbre et permettant à la tronçonneuse de terminer la coupe sans se coincer. C'est déjà fini, l'arbre bascule et l'énorme masse s'écroule en un instant tandis que le bûcheron s'écarte au plus vite.
Même si c'est la dix millième fois que le bûcheron abat un arbre, il a le sourire, celui d'une opération parfaitement maîtrisée. Bravo, le tronc est tombé exactement où l’expérimenté bûcheron jurassien l’avait voulu, sans casser ni abîmer aucun autre arbre.
C'est le moment de penser à ce qui aurait pu se passer, on devient songeur... Même en étant très prudent, le métier est à risque. François Mussillon lui-même a eu la chance de n’avoir que quelques cotes cassées voici deux ans. Mais la semaine précédant notre rencontre, un garde forestier de l’ONF avait trouvé la mort lors de travaux forestiers.
Après le débardage, une seconde vie attend l'épicéa. Selon sa noblesse, il deviendra bois de charpente ou de lutherie. Pour cette fois, il sera métamorphosé en tavaillons qui agrémenteront les murs d'habitations traditionnelles de la région.
Remerciements : Serge Mermet, Garde forestier ONF ; Robert Dromart, tavaillonneur ; François Mussillon, bûcheron. Crédits photographique : G. Lancel (Chez Robert Dromard, le 13/11/05, en Forêt de Champfromier, le 24/10/08).
Dernière mise à jour de cette page, le 27 octobre 2008.