Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

La Marquise (Visages de l'Ain, n° 11, sept. 1950)

 

   
Visages de L'Ain, Histoire, Vie artistique, Urbanisme, Folklore, Littérature, Tourisme (3trim. 1950)

Texte intégral : "Le Chalam et sa Légende. La Marquise à la Vierge d'or. Dans le creux de ces combes désertes des Monts Jura, à la hauteur de la seconde chaîne - celle que domine le Crêt de Chalam - une curieuse légende a pris naissance.

Profondément accréditée dans la région, pleine de mystère, la légende de la Marquise à la Vierge d’or circule sous le manteau.

Après bien des réticences, elle me fut contée - j'avais alors gagné la confiance du bourg - par un facteur, assez étrange d’ailleurs, né dans la commune, qui desservait toutes les fermes depuis plus de vingt ans. Ses parents avaient habité de nombreuses années l'une d’elles, abandonnée depuis à cause de son éloignement, perdue qu'elle était dans cette montagne inhospitalière des Closettes sur La Pesse.

Le "Marquisat", cette ferme-chalet au nom bien étrange pour la région, m'intrigua longtemps. Pour s'y rendre de Chézery, il fallait bien deux longues heures de marche. Après "Noirecombe", dépendance du village de Forens, j’atteignais au flanc de la montagne un bois de hêtres solitaire, puis, plus haut, une forêt de sapins noirs serrés les uns contre les autres. C’était enfin, à main gauche, la "Combe aux Loups" de sinistre mémoire, dont une claie fermait l’entrée du pâturage.

A deux cents mètres de là, par un chemin très rocailleux qui allait se rétrécissant, on aurait pu atteindre le goulet désert du "Nant Blanc", torrent écumeux que domine l'imposante borne frontière historique dite des "Trois Empires".

Dans cette "Combe aux Loups" redoutée, si sauvage et si sombre, resserrée au cœur des grands bois touffus, le tintement des clochettes au cou des vaches de l'alpage, arrivait péniblement à dissiper l'angoisse qui me gagnait à chaque incursion nouvelle dans ces lieux "maudits".

Du "Marquisat", il ne restait plus, vers 1920, que quelques pans de murs à demi écroulés, et une toiture effondrée se profilant en biais sur un morceau de ciel. Ces ruines protégeaient encore un grenier à foin, le fenil ou "solier" qui devait contenir la suprême réserve de "petit foin" pour le troupeau d’une ferme située plus bas. Ce maigre fourrage était descendu à dos d’homme, dans des espèces de filets en demi cercle, vers la fin des hivers rigoureux, prolongés parfois jusqu'à la fin mai.

Au-dessus du chalet, vers le sud-ouest, à la naissance de la combe, le chapeau de gendarme du Chalam, bien que peu élevé, se dressait en surplomb et toujours son apparition me causait une agréable satisfaction.

Perpendiculairement à l'axe du sommet et de la "Combe aux Loups", dans la direction est-ouest et à peu de distance, un ravin se creuse dirigeant ses eaux vers la combe d'Evuaz. Au fond de sa gorge étroite et sombre, bordée d’à-pics, un filet d'eau s'essaye à retrouver le cours de la Semine. C'est là qu’une vaste lande surélevée, la Combe des Huguenots, peu profonde, mais élargie et servant de col, fait communiquer la Combe d'Evuaz au val des Etrets, la vallée de la Semine à celle de la Valserine, lande déserte et fleurie de bruyères où le chasseur silencieux, mesurant ses pas ne pénètre jamais sans entendre le vol lourd et rasant du coq de bruyères, le "grand tétras" qui s'élève au-dessus des buissons de myrtilles.

C'est par là, assure la légende, que pour gagner la Suisse, à la faveur des bois et de leurs sentes désertes, une "marquise" montée à dos d'âne, emportant ses richesses : de l’or et des bijoux, de précieuses reliques - une vierge d’or - risqua l'aventure.

Poursuivie, comme tant d’autres en France, à l'époque révolutionnaire, elle empruntait, comme les Huguenots, traqués depuis la révocation de l’Edit de Nantes, ce passage à destination de l'étranger. Mais égarée sans doute, la noble dame vint frapper un soir à la porte du modeste chalet.

Avisé et roublard, son hôte improvisé flaira "la bonne affaire". Au cours de la nuit, tandis que la Marquise, exténuée de fatigue dormait profondément, il s'empara du trésor. Fasciné par l'or, l’homme forma le dessein de supprimer la voyageuse. Il déferra l’âne, le ferra de nouveau, en sens inverse pour écarter tout soupçon, puis, au petit jour, la marquise et son âne, accompagnés du perfide montagnard, reprirent la route. Après quelques détours, le guide les amena sournoisement au bord du précipice noyé de brume où ils furent projetés et abandonnés à leur sort.

C'est de puis ce temps là, m'assura-t-on, que l'endroit se nomme le "saut de l'âne".

Peu après, le fermier mourut, obsédé peut-être par les remords, mais la justice des hommes l'avait épargné.

Ses enfants, désormais riches, gagnèrent la vallée, mais un mauvais destin les y suivit : les uns après les autres, ils moururent, bien que jeunes, de maux étranges.

L’une des survivantes dont j'entendis parler aux villages de Chézery et de Forens, toujours à mots couverts, avait hérité d’un bras de la vierge d'or. La malheureuse dame M… atteinte, elle aussi d'une maladie de langueur mystérieuse, rendit son âme après bien des malheurs et des souffrances. Jamais elle n’avait consenti à consulter les médecins. Sa fin fut une délivrance dont personne ici ne s'étonna : la pauvre femme avait eu chez elle "un peu de la vierge d’or". Et chacun se signait au souvenir de la morte pour éloigner, sans doute, la hantise des maléfices attachés à son nom. E.B." [p. 37-38 et Planche].

 

 

C'est derrière ces montagnes, dans le noir des forêts de sapins, que se joua le drame de la marquise... Mais plus près de nous, et déjà du passé, cette photographie nous montre la Borne au Lions vers ou avant 1950 et un muret de délimitation ancestrale... Cette clôture qui se dirige vers le Crêt de Chalam, et qui sépare très nettement les deux communes de Chézery et de Champfromier (suivant un décrochement que l'on identifie encore parfaitement aujourd'hui sur une carte IGN), témoine des temps antagonistes où ces deux paroisses rivalisaient et marquaient leurs territoires au noms de leurs abbaye respectives de Chézery et de Nantua...

 

Remerciements : Jean-Luc Boucher (St-Germain-de-Joux).

Dernière mise à jour de cette page, le 22 janvier 2009.

 

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