Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Martin Genolin aux galères en 1765

Comment faire pour se marier en 1765 quand on est une femme ? Il faut être majeure, c'est à dire avoir plus de 25 ans. Sinon, il faut l'autorisation de son père, à condition qu'il soit vivant et qu'il puisse venir donner son consentement... Seulement voilà, Andréanne Genolin n'est pas majeure, elle n'a que 22 ans (née le 10 juillet 1742, CI-1965), et son père est enchaîné, aux galères ! Et de plus le prétendant est le domestique du curé (du moins le fut-il du précédent, l'abbé Humbert), il faut que l'union prévue ne soit entachée d'aucune irrégularité !

En 1765 l'abbé Jean-Antoine Genolin n'est prêtre de Champfromier que depuis un an. Peu au fait, il demande donc la procédure à suivre pour que sa paroissienne puisse contracter mariage. Le chanoine Viviand, d'Anncy (lettre du 20 janvier 1765) lui répond qu'elle doit se procurer au moins une assemblée de parents, devant le juge du district. Cette lettre est toujours insérée dans le registre paroissial du lieu, suivie de la transcription intégrale du greffe. Cette délibération du juge nous informe sur les situations professionnelles des proches de la candidate au mariage et ses multiples liens familiaux. On y apprendra aussi que l'assemblée de ses six parents ne pense pas que l'on puisse trouver un meilleur parti pour épouser Andréanne, et que le mariage prévu est à son avantage.

 

Extrait des Minutes du Greffe de la Justice des Terres de Nantua [9 février 1765]. "L’an mil sept cent soixante cinq et le neuf du mois de février en l'hôtel à Nantua et par devant nous Jean-Claude Andrea, Sieur DUVOISTE avocat à la Cour, Juge civil et criminel des Terres de Nantua, est comparüe Andréanne [CI-1965], fille de Martin GENOLIN [981] et de Claudine DUCRET journaliers de Champfromier, laquelle nous a déclarée qu'il s'est présenté à elle un partis pour le mariage mais comm'elle est encore mineure de vingt cinq ans et son père malheureusement dans les chesnes au Service des Galères, sans qu'elle scache positivement où il est actuellement ny même s'il est vivant, elle avoit esté conseillée de faire paroitre devant nous, Claude Joseph BERROD, laboureur de Montange son beau frère [époux de Marie-Françoise], Claude TAVERNIER, maréchal de Champfromier son parrain [!], François BORNET, laboureur de Champfromier son cousin paternel au troisième degré, Antoine DUCRET [1022] son oncle maternel, munier à Champfromier, François DUCRET [10669], drapier drapant en cette ville [Nantua] son cousin tant paternel que maternel et Claude-François DUCRET [1876] son cousin germain aussy munier à Champfromier, à tous lesquels nous avons ordonné de se consilier entr’eux sur le mariage projeté de laditte Andréanne GENOLIN, pour dire au plus prest de leurs consiances s'ils estiment que le mariage dont il s’agit soit à l'avantage de leur parente et s'ils doutent qu'elle puisse en trouver un plus convenable, pour que leurs déclarations unanime ou séparée puisse supléer au consentement qu’elle ne peut avoir de son père, et pour y parvenir nous avons pris le serment des six susdits parents par lequel ils ont promis de réfléchir au plus prest de leurs consiances sur l’avis qu'ils doivent donner, et après une mure réflexion ils sont unanimement convenû que le mariage qui se présente pour leur parente est à son avantage sans qu'elle puisse bonnement espérer un plus avantageux partis, et sont convenû entr'eux que Claude TAVERNIER son parrain se présentera pour les cinq autres pour aller faire consentir et authoriser laditte Andréanne GENOLIN à recevoir la Bénédiction nuptiale, conjointement avec Claudine DUCRET sa mère. De tout quoy ils nous ont requis acte et qu'il nous plaise recevoir leurs déclarations et consentements pour supléer à celluy de son père dans les circonstances où elle se trouve ; interpellés de signer, nous ont tous déclaré qu'il sont illiterés à l'exception de Francois DUCRET qui a signé "Ducret" .

Sur quoy nous Juge susdit avons donné acte à laditte Andréanne GENOLIN de ses réquisitions et déclarations, qu'el1e fait cette part de Claude TAVERNIER son parrain pour son curateur, et de l'acceptation qu’il fait de cette charge, avons pareillement donné acte aux six parents cette part assemblé de leurs déclarations que le partis qui se présente pour laditte GENOLIN est le plus avantageux qu'elle eut peut espérer et en conséquence ordonné que le consentement desdits parents suplairat à celluy de Martin GENOLIN père de laditte Andréanne GENOLIN dans les circonstances de son absence, et pour le temps qu'elle durera, comm'encore que Claude TAVERNIER son parrain et cette part curateur suffira pour l’authoriser à recevoir la Bénédiction nuptiale concurrament avec sa mère, lequel TAVERNIER n'a signé pour les raisons que dessus.

Nous, l’ayant fait avec notre greffier. Signé Andrea DUVOISTE et DOMANGE greffier.

Insinué à Nantua lesdits an et jour, Reçu vingt-six sols. Signé, Solier."

 

Le mariage aura lieu sans attendre, trois jours plus tard..., le 12 février 1765 (le quatrième, après trois autres bénédictions nuptiales le même jour), sans occulter que le père a été condamné aux galères.

 

Reste une question ! Qu'avait donc fait de répréhensible ce Martin Genolin pour justifier de se retrouver aux galères ! Probablement, comme le plus souvent à l'époque, était-il un important contrebandier (de sel, ou de tabac), ou peut-être encore était-il un protestant, mais là c'est peu probable vu le nombre impressionnant de prêtres catholiques issus des familles Genolin ! Signalons aussi que les galères avaient été officiellement abolies par ordonnance du 27 septembre 1748, les incorporant à la marine royale ; dès lors les forçats se retrouvaient condamnés aux travaux forcés (peine souvent plus pénible encore), et/ou étaient internés dans les prisons cotières ou dans des navires hors service, notamment à Toulon.

Pour autres exemples de condamnation aux galères, citons Joseph MERMET (né vers 1717, ou 1713), fils de Claude Jacques et de Marguerite Mermet, laboureur natif de Champfromier [sic] au diocèse d’Annecy en Savoie. Agé de 27 ans. Soldat dans la vieille Marine, capitaine Ferrand. Marqué Galérien. Condamné à Valence par jugement de M. Levet commissaire du conseil, le 14 mai 1740 pour contrebande de tabac avec attroupement, mais sans arme, à 5 années de galères. Est mort à son poste sur la galère "HARDIE" armée à Toulon, le 28 août 1744. En tout c'est presque une dizaine de Mermet nés aux Bouchoux qui furent aussi envoyés aux galères ou au bagne pour des motifs divers (récidive de faux saulnage, contrebande de tabac, vols sur les grands chemins, mise en circulation de fausse monnaie, banqueroute frauduleuse, etc.) entre 1718 et 1838 [Site Mermet, qui donne pour source un fascicule qui concernait les bagnards jurassiens].

 

Publication : Ghislain Lancel. Sources : Registres paroissiaux 1764/65 (Web BMS 1764/65, pages 7-11, pour la lettre insérée et la copie du greffe, et page 13 pour le mariage). Remerciements : Laurent Chassot (Besançon), Marie-Odile GAY (Mermet).

Première parution 24 septembre 2008. Dernière mise à jour de cette page, le 12 mars 2013.

 

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