Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
On ne sait pas grand chose sur Joseph Genolin [CI-1689], et pour cause, puisqu'en 1791 il avait déjà passé neuf années de sa vie aux galères à Brest , et qu'il s'apprêtait à en passer neuf autres dans les mêmes conditions... Interrogé au Tribunal du District de Bourg en Bresse, il répond alors être journalier demeurant à Champfromier en Bugey, y natif, âgé de 58 ans. D'après les âge et prénom, il s'agirait donc du fils et unique enfant d'une famille Genolin qui vivait à Sur le Mont, une grange située bien plus haut que le Druger, non loin des dangereux éboulis du Truchet.
Son crime, ses crimes, pour avoir été condamné deux fois aux galères, vous le découvrirez au cours de la lecture, ainsi que je l'ai découvert moi-même en déchiffrant aux archives la liasse de 5cm de documents relatant ces procédures, liasse classée en empilant à chaque fois au-dessus les nouvelles pièces du dossier...
Ils sont en fait trois prévenus. Joseph Genolin, lui, est accusé d'avoir pratiqué une ouverture dans un mur. On lui reproche surtout d'être un vagabond, un voleur, ne pouvant produire le papier justifiant qu'il a bien effectué ses neuf années de condamnation aux galères :
"Entre l’accusateur public près le Tribunal du District de Bourg, demandeur aux fins de jugement définitif d’une part, Jean-François Desbost, Joseph Genolin et Nicolas Pannentier, tous trois accusés, prisonniers, défenseurs, d’autre part,
Ouï le rapport [par le juge], lecture faite des pièces de la procédure, ouï l’accusateur public qui a conclu en ce qui concerne Joseph Genolin à ce que le déclarant véhémentement soupçonné de l’ouverture faite au mur de la veuve Granier et d’être le complice de l’assassinat entrepris sur la personne du nommé Daujac, aux temps, lieu et heure portés par la procédure, considérant qu’il a déjà été condamné en neuf ans de galères pour cause de vol, et qu’il ne justifie point d’un congé qui constate qu’il a pleinement exécuté son jugement, … le déclarant … et convaincu de vagabondage, il soit en conséquence condamné pour raison de ce, en neuf ans de galères, sans préjudice de l’exécution du jugement par lequel il avait déjà été condamné en neuf ans de galères ;
en ce qui concerne lesdits Desbost et Pannetier, à ce que ledit Desbost soit déclaré presque convaincu du vol de cheval à lui imputé dans la procédure (... évadé de prison n'ayant pas effectué ses 3 années de galères ...) ;
en ce qui concerne ledit Joseph Genolin, en le déclarant atteint et convaincu d'être repris de justice et mener une vie errante et vagabonde, le Tribunal le condamne à servir pendant 9 ans sur les galères, préalablement marqué sur l'épaule gauche des lettres GAL, ordonne en outre que la déposition du cinquième témoin de l'information du 9 décembre 1790 est et demeure comme non avenue, faute de récolement, quoique signée ainsi qu'il est constaté au procès-verbal de l'huissier Mathieu en date du 11 avril dernier, et qu'au surplus les effets déposés seront rendus à qui de droit. Fait et prononcé à l'audience publique, le 19 août 1791, séant messieurs Chesne, Chaland, Lescuyer juges, et Perrot suppléant [signatures]."
Par cet interrogatoire préalable à l'audience, on découvre l'état civil dudit Genolin et l'on apprend qu'il reviendrait de peigner le chanvre, que précédemment il avait été condamné aux galères à Brest, mais qu'il en a perdu son congé :
"Du 19 août 1791. Interrogatoire fait par le Tribunal du District de Bourg à l’accusé ci-après, qui a été amené à l’audience, […]
a dit se nommer Joseph Genolin, journalier demeurant à Champfromier en Bugey, y natif, âgé de 58 ans [né vers 1733 (CI-1689 né en novembre 1734)].
[…] à lui demandé, s’il n’a rien de plus à dire pour la justification que ce qui est porté en ses réponses aux interrogatoires à lui précédemment faits : a dit que non ;
Interrogé chez qui il avait couché la nuit du 17 novembre dernier [1790] : a dit avoir couché chez la veuve Berard, cabaretière à Lons-le-Saulnier.
Interrogé, si au contraire la même nuit, il s’est pu introduire dans la maison de Daujat à Domsure, avec Pannetier et Desbost : a répondu que non.
Interrogé, pourquoi dans son interrogatoire du 24 mars [1791] il a dit avoir couché chez la veuve Grenier et non chez la veuve Berard : répond que c’est par erreur qu’on a mis veuve Grenier, et qu’il en fit l’observation à M. Chaland.
[…] Interrogé, s’il n’était pas du nombre de ceux qui, le 19 novembre dernier, ont fait une effraction au mur de la boutique de la Dame Granier de Coligny : répond, et dit que non, que lorsqu’il a été arrêté, il s’en retournait dans son pays ;
Interrogé, ce qu’il a fait de ses outils de peigneur de chanvre : répond et dit qu’il les a vendu à un particulier qu’il ne connaît pas, de l’autre côté de Dole ;
A lui observé que sa réponse renferme contradiction avec celle produite par lui, fournie en la municipalité de Coligny, puisqu’il dit alors que son maître portait ses outils : répond et dit que c’est mal à propos qu’on lui a mis cette réponse dans l’interrogatoire fait à Coligny, puisqu’il a toujours dit qu’il les avait vendu ;
Interrogé, s’il n’a pas été condamné aux galères par sentence du Bailliage de Belley, confirmée par arrêt du Parlement : répond et dit que oui, il y a environ 10 ans, et qu’il fut conduit aux galères à Brest, où il est resté 9 ans, qu’il a perdu son congé.
[Relu, ne sait signer] [Signatures : Lescuyer rapporteur ; Revel ; Chaland ; Perrot ; Chicod]."
Le 27 mars 1791, un précédent interrogatoire avait été fait par Pierre-Georges Chaland, juge délégué, assisté de Marie-Alexis Gonet notre commis greffier, en présence dudit Genolin, amené à cet effet (donc déjà emprisonné), assisté de Me Revel, homme de bon conseil par lui choisi... On y apprend qu'il n'a pas été arrêté au même endroit que les deux autres condamnés. Il lui est donné un mois pour présenter son justificatif de sortie des galères. Il répondra ensuite qu'il n'a point eu de réponse à la lettre adressée à cet effet.
Voici les extraits significatifs de cet interrogatoire : Interrogé, sur ce qu’il faisait gisant (couché) contre le mur de l’écurie de la Dame Granier sur les 10 à 11 heures du soir, a répondu qu’il s’était endormi, qu’il venait de St-Amour, et retournait en Bugey, revenait d’y avoir peigné le chanvre, que s’il n’avait aucun outil avec lui c’est qu’il les avait vendus avant d’arriver à Lons-le-Saulnier, a dit qu’il voulait se rendre dans un cabaret pour passer la nuit, ayant encore 6 livres dans sa poche, qu’il aurait mieux fait d’y aller tout de suite, que ce n’est pas lui qui a fait l’effraction chez la Dame Granier, qu’il dormait et n’a pas entendu le bruit. Et sur ce que ses souliers ont de la poussière du bâtiment, il répond que la boue sèche des grandes routes est la même que celle de ces matériaux, que le 17 novembre il a couché chez la veuve Grenier à Lons-le-Saulnier, et qu’il a vendu 3 chemises, une culotte et une paire de guêtres dont il voulait se décharger, qu’il n’avait jamais fait route avec les nommés Desbost et Pannetier qui furent arrêtés à Colligny avec lui, que d’ailleurs il n’a pas été arrêté avec eux, qu’ils le furent dans la carrière, et ne les connaît pas, qu’il était repris de justice, mais qu’il ne reconnaissait pas le morceau de fer et le couteau à lui présentés (Signatures de Chaland, Revel et Gonet).
Du 31 mars 1791. "Vu la procédure commencée contre les nommés Desbost, Genolin et Pannetier, prisonniers, notamment les réponses personnelles dudit Genolin en date des 24 et 27 de ce mois [mars 1791], vu les réquisitions et conclusions de l’accusateur et du commissaire du Roi en datte des 27 et 31 dudit mois de mars, le Tribunal ordonne que Joseph Genolin justifiera dans le délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement de son congé des galères de Brest, et de la déclaration par lui faite d’un domicile fixe et certain qu’il a dit se choisir à l’effet de s’y occuper de quelque métier ou travail, pour subsister à la forme de l’arrêté IV de la déclaration du Roi du 3 août 1764, sous les peines prononcées par l’article V de ladite déclaration. Fait à Bourg, le 31 mars 1791".
C'est au fond de la liasse d'archivage que l'on apprend enfin les faits, que ledit Genolin se disait nommé Joseph Dubois, ce qui présume quand même qu'on ne l'avait peut-être pas vu à Brest ! Pour le reste on vous le laisse découvrir, de quoi on l'accuse maintenant, et pourquoi il avait été condamné précédemment à neuf années de galères...
"Des 22 et 23 novembre 1790. Extrait des minutes du greffe du Tribunal du District de Bourg.
A Monsieur, Monsieur le lieutenant général criminel au Bailliage de Bourg. Remontre le soussigné, faisant les fonctions, et Monsieur le procureur du roi, que par un procès-verbal de la municipalité de Colligny du 20 courant à lui adressé par ladite municipalité, avec les notes et une lettre du même jour, que le soussigné a pris à dénonciation, il appert :
1) que les nommés Joseph Dubois [Lire : Genolin !], Jean-François Desbort et Nicolas Pannetier ont été amenés aux prisons de cette ville par un piquet de la Garde nationale de cette ville, le 21 du courant, après avoir été arrêtés le 19 comme soupçonnés d’effraction extérieure par une ouverture faite dans la nuit du 19 au mur de la boutique de Jeanne-Claudine Pelot, veuve Granier, marchande à Coligny, par laquelle ouverture on pouvait déjà passer la main et voir le jour dans la boutique, que ladite Granier s’en étant aperçue en rentrant chez elle sur les 10 à 11 heures du soir par le moyen du déplacement d’une planche à tenir ces marchandises et des dégradations existantes au mur sur une longueur et largeur de 15 pouces (38 cm), elle avait appelé au secours ; que plusieurs personnes étant accourues, un quidam couché sur du bois, gisant aux environs, fut aperçu par le sieur Vitte qui alla le saisir et l’amena chez la Dame Granier, qui alla chercher le sieur Molard, procureur de la commune, lequel fit plusieurs questions à ce particulier, à qui il observe que ses mains et ses souliers étaient encore salis d’une poussière de muraille, en lui faisant remarquer qu’il pleuvait, et ce particulier a déclaré s’appeler Joseph Dubois ;
2) Que dans le même instant, deux particuliers furent aperçus sortant d’une carrière et furent arrêtés, conduits chez la veuve Granier, interrogés et gardés à vue, avec le premier ;
3) Qu’à Jean-Baptiste Janet et sa femme, habitants de Villeneuve, il fut volé sur la fin de mai 1788 par le nommé Jean-François Debort, l’un des trois particuliers, une somme de 600 livres qu’il alla cacher dans un buisson, dont il y a plainte par le procureur d’office de St-Amour, que néanmoins Janet et sa femme parvinrent à se faire rendre 19 louis moins 6 francs, et que ledit Desbort fit une obligation du surplus le 8 juin devant le notaire Gauderet ;
4) Que le même individu est soupçonné de vol de chevaux ;
5) Que l’un desdits trois particuliers, appelé Joseph Dubois est soupçonné d’être le nommé Joseph Genolin de Champfromier en Bugey, qui par sentence de l’élection de Belley a été accusé de vol nocturne avec fracture dans la boutique du sieur Goy, marchand à Châtillon de Michaille, et avoir été arrêté le 23 novembre 1781 par les employés ;
6) Que dans la nuit du mercredi 17 du courant, trois quidam s’introduisirent chez François Daujat, laboureur à Domsure, après avoir cassé deux panneaux de mur, tenant à la main, l’un du feu, l’autre un bâton dont il frappa cruellement Daujat et sa femme qui, ainsi que leur servante, crièrent au secours et à l’assassin, ce qui attira les voisins, et que pour lors les assassins prirent la fuite ;
7) Que Daujat, sa femme et leur servante, mandés à Coligny, ont reconnu le nommé Desbort et le nommé Pannetier pour être ceux qui avaient voulu les assassiner ; l’un d’eux avait une chemise de roulier ; il est de plus revenu au soussigné (à sa mémoire) que l’un des trois particuliers arrêtés s’était sauvé des prisons de cette ville il y a environ une année, et comme il importe d’acquérir la preuve de pareils délits pour les faire punir suivant la rigueur des lois, le soussigné requiert acte de la représentation des pièces ci-devant relatées, lesquelles seront en tant que de besoin paraphées par Monsieur le Lieutenant général criminel, et déposées rière le greffe, pour être jointes à la procédure […] Fait à Bourg, en l’Hôtel, le 22 novembre 1790, signé Duhamel.
Vu les pièces énoncées au réquisitoire ci-devant de Maître Duhamel, faisant fonction de Procureur du Roi, en date du jour d’hier, lui avons donné acte de la plainte qu’il forme contre les nommés Joseph Dubois, Jean-François Debort autrement dit Debeu, et Nicolas Pannetier Fait à Bourg, le 23 novembre 1790 [Signatures : Cotté, Chicod]."
Voilà, vous savez tout, 9 ans de galères pour un vol à Châtillon en 1781, et neuf autres années pour avoir dormi par terre près d'une boutique où avait été observé la présence d'un trou, sans aucun vol signalé, mais avec circonstances apparemment aggravantes que dans le même village de Colligny se trouvaient aussi au même moment deux malfrats au passé un peu plus sérieux... Alors au moins complice ? On ne le sait pas, pas plus que l'on ne retrouve ensuite la trace de ce Joseph Genolin de Champfromier, sauf pour la poursuite des procédures.
Des pièces du dossier nous apprennent en effet que le 14 juillet 1792, le commissaire du Roi au tribunal du district de Bourg requiert que lesdits Genolin emprisonné et Jean-François Dubost soient jugés à Nantua... [18L154].
Commentaire d'un lecteur : "Quelques siècles plus tôt, pour un vol de trois fois rien, c'est une condamnation à la pendaison par une quelconque justice seigneuriale qui aurait pu se produire .... ; au 19e siècle, on a plus eu les galères, mais le bagne, où parait-il, il suffisait de pas grand chose non plus pour s'y retrouver, et ce pour alimenter toute une économie qui gravitait autour, en renouvellant la main d'oeuvre qui mourrait vite - c'est du moins ce qui est ressorti de l'enquête qui a fini par conduire à la fermeture du bagne".
Publication inédite : Ghislain Lancel. Sources : AD01, 18L69 (Dossier n° 65), Tribunal du District de Bourg en Bresse et AD01, 18L154. Remerciements : Cédric Mottier (Commentaires).
Première parution 27 mars 2013. Dernière mise à jour de cette page, le 19 avril 2013 .