Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Le Four de la Pelette
Lieu-dit ancestral, point de délimitation

 


Le four de la Pelette, aujourd'hui une aire pour les chamois...

Le Four de la Pelette, est un ancestral point de référence, aujourd'hui méconnu, qui entra dans la délimitation des abbayes et des souverainetés, et qui se trouve encore aujourd'hui sur la limite départementale entre Jura et Ain, et naturellement aussi sur la commune de Champfromier. Il se trouve à la jonction de cette commune avec Belleydoux à l'ouest et La Pesse au nord.

Un lieu cité dès 1158 entre St-Claude et Nantua

Le Four de la Pelette n'est identifié au Four de la Semine que depuis 1612, ce qui se fit lors des tractations préliminaires à la plantation des bornes frontières. On relève ce lieu, "furnum de la Semaina", dès 1158 comme étant un point de passage entre l'abbaye de St-Claude et Nantua [A. Vuillermoz, p. 137].

Un repaire de faux monnayeur

Plusieurs publications faisaient confusément mention de grotte au faux monnayeur (Raverat en 1867, qui cite celle de Montpellaz...) Cette rumeur est toutefois fondée, du moins si l'on en croit les députés de la Bourgogne qui, en 1612, mentionnait ce lieu, précisant : "une grotte ou s’estoit autrefois retiré un faux monnoyeur nommé Pellette, duquel elle a pris le nom de Fort ou Four de la Pellette" [AD21, C3527, page 224v°].

Une borne plantée en 1613, entre Bourgogne et France

Ce lieu ancestral, "Fourg de la Pelette, ou Four de la Semainia" est évidemment repris à la suite du traité d'Auxonne pour la délimitation entre les souverainetés de France et de Bourgogne en 1612. Les contestations entre les députés de la Bourgogne (et donc de l'abbaye de St-Claude) et ceux de la France (incluant le prieuré de Nantua) furent nombreuses (voir les Préliminaires) et donnèrent même lieu à la création d'une tibériade (un plan couleur numéroté en fausse perspective), où les lieux furent désignés, parfois en double comme ce fut le cas pour ce Four de la Pelette. Finalement ce fut l'emplacement n° 20, celui donné par l'abbaye de St-Claude, qui fut retenu [AD21, C3527 (très nombreuses citations)].


20. "Four de la Peleta, par les députez des Archiducs"
(18. Bief-Brun ; 19. Ruisseau de la Semine)
[AD21, B265 (extrait)]

 

On relève deux passages concernant cette borne dans le procès-verbal de plantation, l'un qui n'est que sa demande de plantation et qui fait logiquement suite à celle concernant les deux bornes intermédiaires de la Mya (Bornes 5 et 6 dans ce site), et la plantation réelle presque un an après, le 4 octobre 1614. On appréciera les détails quasi journalistiques, à savoir qu'après avoir mis pied à terre ils eurent beaucoup de peine à gravir les lieux jusqu'à cette roche, qu'elle est voûtée en forme de four et que la borne fut placée à deux pieds (60/70 cm) de la roche (du précipice), néanmoins couverte par la voûte.

"N° 20 [de la tibériade]. Sera en outre posée une borne joignant la roche qui est à la pointe de ladite ancrena du Bief Brun, apellé le Fourg de la Pelette, et est marquée en la carte sous le nombre 20, laquelle borne aura ses aspects tournez comme celle [de la Bune] cy-devant [p.°28 (539)] par nous posée en la Combe de la Semine ou des Vuaz à l’endroit où ledit Bief Brun se rend dans le ruisseau de ladite Semine, à savoir les armes de France du côté de midy, celles dudit Comté de Bourgogne du côté de septentrion, l’une des faces non armoyée regardant la susdite borne, et l’autre face le Pré Contant, autrement dit le Pré aux Seigneurs [Cernoises].

[...] Quoi fait [le samedi 4 octobre 1614, après avoir planté la borne du Pré Content (Cernoises)], tous les susnommez assistant avec nous avons suivy notre chemin par Sur la roche de Combe et Beauregard, tirant contre la roche apellée Four de la Pelette, au-dessous de laquelle étant arrivés avons tous mis pieds à terre et monté avec beaucoup de peine pour l’inaccessibilité du lieu jusqu’au pied de ladite roche voûtée en forme d’un four, et au milieu et au milieu d’icelle avons fait planter une autre pierre marquée comme la précédente des armoiries de France et de Bourgogne, éloignée d’environ deux pieds de ladite roche, demeurant néanmoins couverte de la voûte d’icelle, lesquelles armoyries regardent, sçavoir celles de France du côté de midy, et celle de Bourgogne du côté de septentrion, et les deux faces de ladite pierre non armoriées regardant directement, l’une contre l’encrena du Bief Brun du côté du levant, et l’autre contre ledit Prey Contant, autrement Prey aux Seigneurs, du côté de couchant" [AD21, C3527, p. 27v°-28 et 36v° du procès-verbal (p. 538v°-539 et 547v° de la pagination réelle au crayon)].

 

Cette borne est aujourd'hui disparue. Il est évident que, se trouvant à moins d'un mètre d'un relief en très forte pente, des animaux comme des chamois, ou des habitants voisins des lieux, adolescents joueurs ou adultes mal intentionnés, ont pu faire basculer cette borne au bas de ce précipice de plusieurs dizaines de mètres. Curieusement les publications de M. Janin (Bulletin... en 1924) et de G. Burdet (Un coin du Haut-Jura, en 1925), ne consacrent que deux petites lignes à cette borne, et seulement à propos de la demande de sa plantation. Gustave Burdet ajoute toutefois dans une note que cette borne "a été cassée ; on vient d'en retrouver les morceaux dans un mur en pierres sèches (recherches de M. Mareschalat, instituteur à la Combe d'Evuaz)". En 1927, Michel Janin reprendra cette information, avec quelques précisions : "Un fragment de la borne du Fourg de la Pellatte... a été retrouvé, tout près de son ancien emplacement... Cette borne avait la forme d'un parallélépipède droit ; les côtés de la base mesuraient 0m25. Ce fragment porte encore sur l'une des faces la moitié supérieure de l'écusson en creux et du lion de la Franche-Comté".

Point de départ de la délimitation de la nouvelle commune de Champfromier en 1830

En préliminaire à la réalisation des plans Napoléoniens de 1833, où ce lieu se situera au nord-ouest de la feuille A1 au point de jonction des communes de Champfromier, de Belleydoux et des Bouchoux, il fut procédé en 1830 à la délimitation du territoire. Le procès-verbal de l'article premier commence en ce lieu : "Partant du four de la Pelleta....". Et si la feuille de plan jointe ne le cite pas, par contre on le retrouve bien au sixième et dernier plan, revenant au point de départ : "Four de la Pelleta", avec la précision "où se trouve une cavité".

 


La Borne de la Semine est mentionnée, et le Four de la Pelleta, mais pas sa borne...
(Art. 6 Délimitation entre Champfromier et Belleydoux, en 1830)

Si le Four de la Pelette est bien indiqué, toutefois la borne, elle, n'est schématisée ni sur la feuille A1 des plans napoléoniens ni sur les deux plans 1er et 6e de la délimitation communale (traditionnellement un carré, et non un rond comme ci-dessus). On peut donc penser que cette borne manquait déjà en 1830...

Remerciements : Archives de Côte d'Or (Numérisation du plan). — Michel Janin, dans Bull. de la Société des Naturalistes de l'Ain, Etablissement de la Frontière entre la Bresse Bressane et la Franche Comté, n° 41 de 1927, notes page 100. Crédit photographique : Ghislain Lancel (08/08/2011).

Première publication le 19 mars 2011. Dernière mise à jour de cette page, le 15 juillet 2011.

 

 


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