Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Garde forêt, garde forestier

 

Garde forestier, ou plus exactement garde-forêt (des communaux boisés) sous l'Ancien-régime, fut une activité, plus qu'une profession. Néanmoins elle était rémunérée et fournissait un complément de ressources. Compte-tenu de l'étendue du territoire et de la forêt communale, et des nombreux délits, amplifiés par le fait qu'une partie du territoire était indivise avec Giron, cette activité, si on voulait s'y consacrer sans réserve, n'était pas de tout repos... Par contre les 5 à 6 pieds de neige qui recouvraient la forêt durant presque la moitié de l'année, laissaient du temps libre durant ces périodes...

Sous l'Ancien Régime, on ne devenait pas garde forêt en ayant réussi un diplôme témoignant d'une formation réussie sur la connaissance des résineux et des fayards ! Etonnamment la musculation ou la puissance vocale, pourtant probablement bien utiles en face de certains contrevenants, n'était pas non plus retenus, du moins dans la partie finale du recrutement. Non, ce qu'il fallait c'était d'être "de bonnes vie et mœurs" et, bien entendu, de "religion catholique apostolique et romaine" ! Toute une procédure présidait à l'obtention de cette fonction de garde. D'abord la communauté des paroissiens se réunissait, un dimanche, et les gardes forêts étaient proposés. Ensuite un procureur spécial se rendait devant un juge de la cour des terres de Nantua en cette ville (siège du seigneur de Champfromier), demandait aux nominés de prêter le serment en ce cas requis et ensuite les désignait officiellement. Parfois, comme en 1758, l'homologation nécessite même de remonter jusqu'à Monsieur l’Intendant de Bourgogne ! Dès 1764 on voit apparaître des demandes d'informations de vie et mœurs des candidats. En 1778, ils ne sont pas moins de quatre, notaires, laboureurs, à donner leurs avis (tous favorables) et l'on en sait même plus sur ces témoins diligentés (leur âge) que sur les futurs gardes eux-mêmes ! Naturellement toutes ces démarches entrainent à chaque fois des frais, de 2 à 4 livres, sommes réparties entre les rétributions des juges, procureurs et greffiers, et les extraits et papiers.

On compta souvent quatre à cinq gardes forêts, tant le territoire était grand, et les intimidations de ceux d'Echallon difficiles à contrer quand ils opéraient en groupe... Le garde forêt pouvait avoir une quarantaine d'années, et ne savait pas toujours signer, même s'il était parfois dit laboureur... Inutile de penser lui demander de rédiger un rapport ! Le salaire n'est mentionné dans les nominations, mais il est évoqué dans un autre acte (C404) pour les années 1777/78. Il était prévu pour chaque garde une rétribution annuelle de 5 sols par feu faisant (dans la communauté) et du tiers des amendes contre les délinquants. Mais l'Intendant refusera (peut-être à la suite de pressions de Privilégiés) et c'est ainsi qu'en 1778 la rétribution ne sera plus qu'un fixe de 36 livres de gages chaque année.

1719 : Suite aux dégradations dans la montagne de Nivies (limite de Giron...), cinq gardes-forestiers sont nommés et devront prêter le serment, dont des instructions (pour 20 ans). Ce sont "Henry [8847] fils de feu Philibert à Gaspard Bornet, Etienne Bornet-Marquoz [9812] et Pierre Ducrest [10096] blanchisseur, Etienne Tornier de Monestier [10701 ?], et Petit-Jean Ducrest [10020]". "Pour le payement desdits forestiers, le syndic de chaque année fera la cueillette de 2 sols, auxquels appartiendra en outre le tiers des amende". "A l’égard des bois sapins et de haute futaie , prendre et arrêter les bestiaux des particuliers qui seront trouvés dans ladite montagne en contravention, et iceux conduire dans la geôle de Montange où ils seront détenus jusqu’à ce qu’ils aient satisfaits au payement de l’amende de 10 livres, et s’il se trouve quelqu’un desdits habitants qui coupe et vende quelques bois sapins et fayards à des étrangers, le bétail qui le conduira sera de même retenu avec amende de 15 livres", et dans la réserve "20 livres d’amendes pour chaque pièce" ; et "ne pourra voiturer à chaque fois qu’une seule pièce de sapin jusqu’à ce qu’ils soient en dehors de ladite montagne, à peine de 10 livres d’amende" (...) " laquelle délibération ne pourra nuire ni préjudicier aux bancs de Chatanaz et Pré du Nant, et haie du Champ Berrot, et terres de travail, établis pour les petits vœux, et ne pourront de même lesdits habitants recueillir ni enlever aucune poire ni pomme sauvage dans les communaux qu’après la fête de St-Michel, à peine de 5 livres d’amendes" [3E3898d, f° 98].

 

Les archives de la Terre de Nantua conservent les papiers des nominations de garde forêt entre 1722 et 1788, et en particulier de Champfromier entre 1727 et 1778. Voici les noms connus et quelques extraits significatifs :

1727 : en supplément des gardes nommés en 1719 (en particulier à cause de ceux de Giron-Derrière), sont aussi désignés Joseph Tournier [CI-9392 ? (40 ans environ)] et Pierre Evrard [9065 ?]. Ils sont présentés par Henry Evrard [8910], laboureur de Champfromier, procureur spécial.

1749 : Henry Tournier [CI-704], Claude Tavernier-Perret [1101 ?] et Estienne Evrard [897 ?], tous trois laboureurs demeurant à Champfromier, et aussi François Goy-Michy [10582 ?], laboureur demeurant à Monnetier. Présentation par Joseph Truchet [ ?], laboureur demeurant à Champfromier, procureur spécial.

1751 : Pour info, signalons Joseph Truchet [ ?], laboureur demeurant à Champfromier, et François Demarest laboureur demeurant à Montanges, nommés gardes-chasse (et non gardes forêts) de la terre de Nantua.

1758 : Henry Tournier [704 (à nouveau)], Jean-Baptiste Bornet [1036], Joseph Tournier [10480] et Modeste Tournier [ ?]. Leur procureur est Joseph Tavernier. L'acte est reçu par Genolin notaire le 16 juillet, et est homologué par Monsieur l’Intendant de Bourgogne, par son ordonnance du 28 octobre.

1762 (en plus des deux autres) : L’assemblée du dimanche 11 juillet décide d'assister Henry Tournier [704 (mort le 27 octobre 1762)] et Jean Bornet [Jean-Baptiste ? 1036], établis ci-devant [deux des quatre nommés en 1758], par trois gardes forêts supplémentaires, Jean-Baptiste Ducrest [9453], Estienne Evrard [1384 ?] et Pierre-Joseph Tournier [1441]. Ils sont présentés par Jean-François Ducrest [1595].

1764 (en plus de trois autres) : Claude Cuderier (Coudurier) [1335 ?] demeurant à Communal, et de Jean-Baptiste Marquis [9461 ?], laboureur au même lieu. Tous deux savent signer, de manière rudimentaire. Ils sont présentés par Joseph Tavernier [?], syndic de la communauté de Champfromier. Suite à une demande d'information, deux témoins de Montanges disent chacun "qu’il sait qu’ils sont de bonne vie et mœurs et qu’ils professent la religion catholique apostolique et romaine". Le syndic justifie la demande : "et dit que pour conserver les bois dépendant de la communauté, il serait nécessaire qu’elle (la communauté) eut encore deux gardes forêts qui puissent soulager les trois que la communauté a déjà établis. La raison en est que leurs bois étant voisins de ceux de la communauté d’Echallon, ceux-ci y font des dégradations par attroupement [sic], de telle manière que bien souvent les gardes forêts n’osent pas s’exposer à faire leur visite, les bois sont très spacieux et les gardes forêts, ne demeurant pas tous au même endroit, dans le cours de leur visite ils sont toujours seuls".

1778 : François Juillant [1492], Pierre-Joseph Bornet [1949] et Rolland Ducret-Combet [1837], laboureurs demeurant à Champfromier. Ils savent signer. Leurs bonnes vies et mœurs seront attestées par quatre témoins (dont le notaire Genolin de Châtillon). On a vu par ailleurs qu'ils furent rétribués à 36 livres de gages chaque année, et non pour partie sur les amendes aux contrevenants, certainement des privilégiés qui étaient mis en cause... [AD01, C404].

 

Après la Révolution. Les gardes forestiers seront toujours aussi nécessaires, mais leurs nominations passeront désormais par le conseil municipal (voir les registres de délibération).

 

Source : 25B528 (Chemise des gardes forêts), C404. Voir aussi Affouage [Prochainement].

Publication : Ghislain Lancel (inédit)

 

Première publication le 4 juin 2014. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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