Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
En 1658, la Volferine ne portait pas encore ce nom, on l'appelait alors l'Aleyvroz. Et plus tard, on l'appellera le nant du Pont d'Enfer. Un nant est un ruisseau, une petite rivière, qui n'est jamais à sec. Celui-ci fournissait même suffisamment d'énergie hydraulique qu'il permettait de faire tourner deux moulins, le Moulin du Pont d'Enfer, qui portait ce nom depuis les bien connues représailles de l'époque des picorées (vers 1640), et le Moulin d'Amont. Ce dernier se trouvait, comme son nom l'indique en amont du précédent, au lieu actuellement dit Moulin-Dernier (appellation qui est d'ailleurs probablement une déformation de Moulin-Derrière, dont le sens est presque identique). A l'époque ce nant et ces moulins se trouvaient dans la paroisse – on ne parle pas encore de territoire communal –, ils étaient donc situés "rière la parroisse de Champfromier" !
L'acte inédit retrouvé récemment, apporte une information étonnante : c'est par les femmes que les moulins furent acquis par les Ducret, moulins qui auparavant appartenaient au sieur Mermety de Montanges.
Au début de l'année 1658, les deux moulins de l'actuelle Volferine appartenaient au Sieur Henry Mermety de Montanges, seigneur de Montarfier (un fief de l'actuelle commune de Virignin, au sud de Belley, Ain). C'est certainement ce Mermet qui possédait aussi le château de Montanges et qui, , fils de Louis, était en 1650 le président du grenier à sel de Nantua.
Par ailleurs, à cette époque c'est aussi un Mermety qui était curé de Champfromier, en la personne de Me Pierre Mermety, très probablement affilié à ce Henry Mermety de Montanges. A cette date notre curé était sur place depuis déjà... une quarantaine d'années. Très influent, il se trouvait à la tête d'un nouvel et vaste archiprêtré dont Champfromier était le chef-lieu. Naturellement, dans ces conditions, la dévotion religieuse faisait de grand progrès à Champfromier. Parallèlement, connaissant toutes les familles de la région, le curé préparait de grands mariages et même se risquait-il à intervenir dans des transactions immobilières...
Nous y voila ! Des filles Mathieu, Bernardaz et Claudinaz Mathieu, possédaient des biens aux Bouchoux. Elles avaient été respectivement épousées par les frères Roland [9951] et Petit-Claude [8110], enfants d’Estienne Ducrest dit des Sanges, de Monestier, deux frères épousant très probablement deux sœurs. Celles-ci disposaient des biens provenant de leur patrimoine, "situés rière le Comté de Bourgogne", terre et seigneurie des Bochoux [Bouchoux], aux lieux dict aux Nerbiers et au Berboy. On présume que les Ducret furent bientôt intéressés par les moulins se trouvant à proximité du lieu de leur habitation, et qu'ils sollicitèrent le sieur Mermet d'échanger ses moulins avec les biens de leurs épouses, probablement avec l'intermède du curé de Champfromier... L'affaire prend forme et un acte sous seing privé est donc rédigé le 21 juillet 1658, afin d'officialiser l'échange, sous réserve de connaître les droits seigneuriaux et pour les Ducret d'obtenir l'assentiment de leurs femmes, et attendant que le contrat soit passé devant le notaire.
Deux mois plus tard, le 15 septembre 1658, l'acte est officialisé devant Me Delaville, notaire de Montanges, lequel était déjà présent lors de l'acte privé. Les termes du contrat sont repris, avec la précision que les échangeurs payeront et se rembourseront mutuellement les réparations à faire, aux moulins et à leurs "instruments" pour l'un, aux maisons et bâtiments sis aux Nerbiers et au Berboy pour les autres. Naturellement est témoin le "révérend Mr Pierre Mermety, curé dudict lieu", ainsi que "Claudy, filz de Jean Mange, dudict Champfromier, et encore Louys Ranquin de Chézery". Signent "ledict sieur Mermety de Montarfier, ledict Roland Ducrest, avec lui ledict Sr Mermety curé, non ledict Petit-Claude". Et pour bien marquer l'empreinte du curé, l'acte est passé à Champfromier, devant la cure... [Mss 29 (Copie signée Delaville)].
Du Moulin-Dernier, il ne reste plus guère aujourd'hui que son souvenir par la présence du lieu-dit de ce nom. Quant au Moulin du Pont d'Enfer, on peut encore en voir l'arrière de l'habitation, il suffit de se pencher lorsque l'on passe sur le Pont d'Enfer pour en distinguer les murailles et une fenêtre, sous le niveau de la route actuelle !
L'épilogue de cette acquisition des moulins n'avait vu son épilogue qu'en 1695 : Jacques, meunier, fils et héritier de feu Roland, avait alors promis de payer auxdits Mermety, l'important reliquat d'une somme de 400 livres, plus les lourds intérêts accumulés [3E 14277, f° 48 de 1695]. Claudinaz Mathieu, veuve de Claude Ducrest, meunier, est décédée à Champfromier en 1703, n'ayant apparemment eu pour postérité que des filles.
Remerciement. Manuscrit 29, collection privée Dr Jean-Luc Boucher.
Première publication, le 22 août 2009. Dernière mise à jour de cette page, le 19/12/2011.