Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Les enchaples du faucheur

A la belle saison, une activité primordiale était de faucher les prairies afin d'emmagasiner le plus possible de foin pour que les bêtes puissent avoir une nourriture suffisante durant les longs hivers. Avant la Révolution, la surface des prairies s'exprimait d'ailleurs en seytives (soyture, seytorée), une unité qui désignait la superficie correspondant à la surface qu'un homme pouvait faucher en une journée ! On estime que c'était un peu plus d'un quart d'hectare.

enchaple, enclume et marteau
Lot n° 281. Enclume et marteau. Donation Jean-François Marguerat (Lancrans)
n° 62 Faux. Donation Denis Barbier et Hubert Gillardy (Lancrans)

Couper l'herbe use la faux, et celle-ci coupe alors de moins en moins bien. Pour éviter une fatigue inutile (même si l'on n'est pas Gironnais...), le faucheur aiguise donc sa faux très souvent, avec une pierre (à aiguiser) mouillée dans le "gonvi". Mais au bout d'une heure ou deux, moins parfois, le tranchant de la faux devient trop émoussé pour que la pierre puisse lui redonner son coupant. C'est le cas aussi quand on a "coupé" trop de cailloux et que la faux présente des traces de chocs. Il fait alors "rebattre" la faux.

Rebattre la faux, on dit ici enchapler, consiste à déplacer la matière de la lame à coup de marteaux pour amincir cette lame vers le fil, le côté tranchant, que l'on dit aussi l'enchaple. Il n'est évidemment pas question de revenir chez soi pour effectuer ce travail. Chaque faucheur emporte donc aussi avec lui une enclume portative et un marteau. L'enclume, traditionnellement forgée au village par le forgeron, est d'une forme immuable : d'un bout l'enclume proprement dite est constituée d'un fer plat taillé en biseau sur les deux faces avec un arrondi au sommet, et de l'autre bout un carré taillé en pointe permet à l'objet de s'enfoncer sur place dans la terre caillouteuse. Au centre une ouverture laisse passer deux fers plats enroulés sur eux-mêmes en colimaçon à chaque extrémité de manière à ce que la base de ces quatre colimaçons empêche l'outil de s'enfoncer trop profondément dans la terre.

Rebattre une faux est tout un art. Certains n'y arriveront jamais de leur vie, tapant à tort et à travers et obtenant une lame gondolée, sans rigidité... La théorie est pourtant facile : marteler à quelques millimètres du tranchant et se rapprocher de celui-ci de manière à repousser et amincir la matière jusqu'au tranchant, puis recommencer quelques centimètres plus loin jusqu'à ce que toute la lame soit amincie...

On enchaple assis sur le sol, la petite enclume fichée en terre entre les jambes, la faux reposant sur les genoux, par un battement régulier du marteau. L'enchaple est idéale lorsque l'ongle du pouce peut soulever le fil de la faux sur toute sa longueur.


Enchaples. Usage privé (Pierre Perrin, Giron)

Certains sont prudents ; dans l'herbe il est facile de ne plus retrouver ni enclume ni marteau. Il est donc préférable de les relier avec une cordelette, comme ci-dessus. Et le morceau de bois, alors, à quoi sert-il ? Non, ce n'est pas un pense-bête ou un porte-clés, mais un tampon en bois dur que l'on place entre l'enclume et le marteau afin que le marteau n'altère pas la précieuse partie rectiligne de l'enclume quand il faut taper avec force pour l'enfoncer dans un sol caillouteux ! Sur l'ensemble de droite, on voit d'ailleurs que la tête de l'enclume a fini par faire une encoche dans le morceau de bois. C'est ce nécessaire du faucheur, constitué de l'enclume, du marteau et du tampon que l'on nomme ici les enchaples.

 

Publication : Ghislain Lancel. Remerciements : Pierre Perrin. Crédit photographique : Ghislain Lancel (mars 2011).

Première parution, le 5 mars 2014. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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