Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Il est à Champfromier, un empilement d'un endroit reculé de la forêt de Champfromier qui a déjà fait couler beaucoup d'encre. Le Pré-inventaire du canton le reprend, avec une grande photo et un commentaire surprenant : "Amoncellements. Au nord de Hautes Crêtes, énigmatiques entassements de pierres parfaitement appareillées en tas à base ogivale" (p. 134). Après avoir observé de nombreux murgers de Champfromier, y compris dans de semblables lieux peu fréquentés (le Crétet), je suis d'avis qu'il ne s'agit que d'un vulgaire murger, le plus beau certes, et bien appareillé, mais simple tas de pierres d'une parcelle agricole épierrée par l'homme !
On accède généralement à ce lieu (GPS, WGS UTM : X=719,121 ; Y=5123,917), en réalité au lieu-dit Très-les-Etrès mais il est de tradition orale de dire Haute-Crête, en ayant parcouru le chemin forestier de la Biche durant plus d'une heure de marche. On traverse donc une immense parcelle d'anciens bois communaux de 343 hectares (d'ailleurs toujours propriété de la commune) sur laquelle aucun propriétaire particulier ne s'est donc jamais installé. Mais aux abords de Haute-Crête, et bien que la zone soit encore boisée et encore plus reculée, on commence à retrouver des clairières et surtout des parcelles privées. Il n'est donc pas si surprenant d'y découvrir cet amoncellement, dans les bois, quinze mètres à gauche d'un virage en épingle à droite du chemin prolongeant celui de la Biche et tracé assez récemment pour un usage forestier privé.
La base de cet amoncellement, en forme de coque de bâteau renversée, est grossièrement ovale et intègre, comme assez fréquemment, un bloc rocheux assez gros. Ce murger, car il s'agit bien d'un murger, est construit au plus haut d'une forte pente, avec un extérieur en pierres appareillées, dont aucune ou très peu ont été retaillées. Les bords sont pentus, rentrants fortement pour éviter un écroulement (environ 30° par rapport à la verticale). La partie haute du murger est actuellement comme une plateforme penchée en sens contraire de la pente du terrain, reprenant en plus petit l'ovale grossier de la base, et mesure environ 4 mètres de largeur et 7,20 mètres de longueur. Près de la route sa hauteur est d'environ 1,70 mètres tandis qu'à l'opposé elle atteint 3,90 mètres, ce qui, en prenant du recul, donne a l'amoncellement un aspect effectivement imposant. Ce murger se trouve sur le versant ouest de la colline (c'est le seul, tous les autres des alentours se trouvant dans le versant est). L'orientation du grand axe de l'ovale est vers la pente, donc aussi en direction approximative de l'ouest (280°). Un autre tout petit murger de pierres parallélépipédiques pourrait se trouver à proximité (ou proviendrait d'une démolition partielle).
Normalement un murger se trouve à proximité d'un bâtiment. Les environs ne montrent pas de ruines visibles, et il n'y a pas de bâtiment non plus représenté à cet endroit sur les plans napoléoniens de 1833, mais non loin en contrebas du murger, un emplacement rectangulaire sur une partie plane, semblant délimité par un remblai assez prononcé (1,50 mètres), pourrait rappeler l'emplacement d'une ancienne habitation, peut-être du temps des constructions en bois, et pourquoi pas d'un pionnier défricheur du nom de Mathieu. Les procès-verbaux de délimitations signalent en effet dans ces environs en 1830 la "charbonnière des Mathieu" et les plans napoléoniens de 1833 nomment "Crêt Mathieu" l'actuel mont dit Haute-Crête... (les Mathieu l'avaient acheté des Ducret en 1736).
Notons qu'en poursuivant le chemin qui s'oriente ensuite à l'est et domine alors la vallée de Chézery, celui-ci semble longé à gauche d'un muret ou crête qui démarrerait à une dizaine de mètres du murger et qui aurait délimité à l'ouest la grande parcelle de bois blanc et pâturage de Très-les-Etrès qui appartenait aux héritiers Mathieu demeurant à Pra-Bron en 1833.
Poursuivant notre trajet sur le chemin qui mène à ce premier murger, on termine un lacet qui tourne à presque 180° à cet endroit, et on descend en s'orientant d'abord à l'est. On remarquera que de nombreuses pierres anguleuses jonchent le sol et auraient aussi pu se trouver dans le murger précédent. Mais bientôt la géologie du lieu se modifie avec des pierres au sol éparses aux faces plus douces, plus arrondies. Le chemin tournera pour reprendre la direction du nord. On remarque bien vite sur la gauche un deuxième murger (précédent de très peu le quatrième, qui suivra) très différent du premier, très allongé (mesurant à la base environ 2 mètres sur 5 à 6 mètres) et orienté à l'est (90°). Celui-ci n'a que des pierres arrondies, sans parties plates, n'est pas appareillé et c'est donc tout naturellement qu'il s'écroule vers la pente...
Un troisième modeste murger se trouve sur la droite du chemin. Peu élevé, ses bords ont actuellement un angle d'environ 45°. La pente du terrain est importante. Les pierres qui se détacheraient du murger tomberaient de plusieurs centaines de mètres en direction de la Valserine...
Le quatrième murger fut en partie détruit lors du tracé du nouveau chemin. Il n'en reste que la partie gauche s'écroulant au bord du chemin. Son point le plus haut est à 3 ou 4 mètres au-dessus du chemin, mais à l'arrière il est peu élevé, et encore bien appareillé. A droite du chemin il ne reste plus guère de trace de ce murger qui avait donc une longueur de l'ordre de la dizaine de mètres. A noter que lors du percement de ce murger il n'y avait apparemment rien de particulier en son centre.
Le cinquième murger est ovale, petit mais encore parfaitement visible à quelques distances à droite du chemin. Bien appareillé mais constitué de pierres de faces pas spécialement plates. De loin il semble pointu mais il est plat au sommet avec une légère pente à l'opposé de celle du terrain. De largeur il mesure 2 mètres à la base et 90 centimètres au sommet, en longueur 5 mètres à la base et 2 mètres au sommet. Comme toujours, son orientation est celle de la pente, ici presque nord (20° est). D'autres ruines de murgers existent peut-être en poursuivant à gauche du chemin.
Ces amoncellements ne sont que des murgers adaptés au terrain, murgers dont on retrouve toutes les caractéristiques générales, et en particulier celle d'économiser le sol en concentrant les pierres sur la plus petite surface possible en jouant sur la hauteur. L'appareillage de certains n'est que nécessaire pour empêcher que tout s'écroule rapidement et soit à recommencer, ou pire, risque de blesser une personne se trouvant ou logeant en dessous. Les belles faces des pierres du plus beau des murgers sont semblables à celles que l'on trouve à l'état brut à proximité. Un peu plus loin, les pierres ont des faces plus douces ou arrondies. On dénombre dans les environs immédiats une demi-douzaine de murger, ce qui ne surprend jamais lorsque l'on se trouve près d'une ancienne exploitation agricole privée. Les propriétaires de ces terrains épierrés, vivaient à proximité, peut-être à quelques mètres sous le plus imposant des murgers (on en a un exemple évident au Crétet), ou bien vivaient non loin (Maison Brûlée, dite ensuite Sur les Prés, ou à Très les Etrés) où l'on sait que se trouvaient des fermes. Cette zone, située hors des bois communaux, n'était donc pas déserte. Non loin on trouvait aussi la Sapelette, Buclaloup et le Golet des Murs.
Plusieurs hypothèses semblent devoir être abandonnées. Que l'on sache, le murger qui a été éventré n'a pas révélé d'ossements en son centre (ce ne sont donc pas des tombes burgondes ou autres). Ces murgers ne sont pas alignés (au mieux, ils forment un angle dont un côté est perpendiculaire à la limite territoriale et l'autre parallèle). Ils ne sont pas situés à proximité de la limite avec l'ancienne paroisse de Chézey (qui se trouve à 350 mètres). Ils ne sont pas placés au point le plus haut du lieu. Leur taille (hormis la hauteur, compte tenu de l'appareillage) et leur masse ne battent pas les records, on en connaît un bien plus gros au Collet (14 mètres de longueur, 3 mètres de hauteur dont deux mètres appareillés). Ce ne sont donc pas des points repère très importants de limite territoriale.
Reste une ou deux particularités. L'un des murgers est entièrement appareillé, et sa principale qualité est d'avoir perduré par la qualité de son assemblage. Les plus gros murgers semblaient avoir une plateforme dont la pente douce à l'opposé de celle du terrain devait permettre de monter facilement en leurs sommets (voire de continuer à l'élever, méthodiquement...). L'épierrement suppose que les terrains environnants étaient des pâturages ou même des terres cultivables, en tous cas pas des forêts. Du sommet de ces murgers la vue à l'horizon devait donc être impressionnante, et inversement ces murgers devaient être vus de partout. Le contexte religieux de l'époque permet de penser qu'une croix pouvait avoir sa place sur la plus haute plateforme, pour protéger les lieux ou pour revendiquer une appartenance au prieuré de Nantua. Mais ce murger n'était pas à proximité de l'ancien très vieux chemin reliant la Combe d'Evuaz à Monnetier, lequel passait à l'ouest et au sud de Haute-Crête, et non au nord, où se trouve ce murger..
Publication inédite : Ghislain Lancel. Crédit photographique : Jean-François Terraz (Grande photo, 26/08/05) ; Ghislain Lancel (Autres photos, 30/05/11)
Première publication le 31 mai 2011. Dernière mise à jour de cette page, idem.