Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Le Pont d'Enfer à réparer... (1781-1785)

 

En 1781, le vieux Pont d'Enfer de Champfromier, pont reconnu comme historique depuis de tragiques représailles dans les années 1630, avait besoin d'être réparé, de même que la route nécessitait un élargissement. Mais la commune n'ayant aucune ressource autre que de vendre ses sapins, et même que de revendre des sapins pour payer les frais des agents de la Maîtrise..., un cercle vicieux dans lequel la communauté se retrouva prisonnière durant cinq années... Une requête des habitants pour couper 3000 sapins devrait permettre de payer 954 livres de dettes aux officiers de la Maîtrise des forêts, les gages des gardes-forêts, et aussi de faire réparer leur pont et leurs chemins. Il semble bien que le très faible prix de vente de 2500 sapins n'ait permis que de payer les arriérés à la Maîtrise...

Une requête pour couper 3000 sapins en 1781

Datée de Paris, le 1er mai 1781, une lettre interne signée Debonnaire de Forget, signale à un confrère la requête des habitants de Champfromier demandant de disposer de 3000 pieds d’arbres sapins en jardinant dans le quart de réserve de leurs bois.

Une réponse est donnée au bas, datée de Dijon, le 10 mai 1781, avec mentions marginales de M. Prost de Nantua et M. de Brou, intendant de Bourgogne. Il y est demandé si les travaux de chemin et de pont sont absolument indispensables et, comme les habitants le disent, si le coût en serait de 6000 livres, l’âge des bois et l’estimation de la somme qui en serait produite.

Un pont tellement étroit que les cavailiers mettent pied à terre

Peu après, une autre lettre interne datée de Nantua le 10 juin 1781 est rédigée par ce même M. Prost, laquelle est probablement adressée à l'Intendant. L'auteur de la lettre soutien la requête des habitants, signale des dangers en plusieurs endroit du chemin de Champfromier, donne une description très peu engageante du Pont d'Enfer sans parapets, et rappelle enfin que la commune doit aussi payer ses dettes envers la Maîtrise, ses gardes-forêt et n'a d'autre ressource que celle de la vente de ses sapins.

« Monseigneur, le 20 mai dernier, je fis part aux syndics et habitants de Champfromier de la lettre dont vous m’avez honoré le 10 du même mois (10 mai 1781) sur la requête qu’ils ont présentée au conseil pour obtenir la permission de vendre 3000 arbres sapins dans la quart de réserve de leurs bois communaux.

Je leur demandai les éclaircissements qu’il était en leur pouvoir de me donner sur les dettes qu’ils allèguent dans leur requête. Connaissant moi-même les autres motifs qui les font agir, je prends la liberté de vous répondre, Monseigneur, que

[1°] l’élargissement d’un chemin dans le territoire de Champfromier est indispensable, et qu’en plusieurs parties on court des dangers ;

2° Que les habitants feront le plus grand bien en réparant leur pont construit sur une cavité immense entre deux rochers, il est tellement étroit que pour passer les cavaliers mettent pied à terre parce qu’il n’y a pas de vestige de parapets ;

3° Les habitants m’ont communiqué la copie qui leur a été signifiée le 6 novembre 1779 d’un exécutoire de 954 livres 12 sols donné le 13 novembre précédent [lire : 13 septembre 1779, d'après une autre source] aux officiers de la Maîtrise de Belley, par le Grand Maître du département. Deux lettres du garde général de la Maîtrise des 2 octobre et 18 décembre 1779, annoncent que les montants de l’exécutoire n’est point payé et que les habitants sont menacés de contraintes ;

4° Ils sont (en demeure) de payer les 200 livres montant des gages de leurs gardes forêts.

Au reste, Monseigneur, cette communauté est exactement sans ressources. Elle n’a pour subvenir à payer ses dettes et faire ses réparations que la vente qu’elle sollicite. Les arbres qui en feront l’objet sont de l’âge de 80 à 100 ans et l’on (estime) qu’ils seront au plus vendus 18 à 20 sols chacun.

La forêt est extraordinairement éloignée des rivières navigables, les arbres croissant dans un sol aride et sur des rochers. Les couper [peut] largement fournir aux besoins de la communauté. Je crois donc qu’elle peut obtenir la permission qu’elle réclame, à la charge d’employer le prix de la vente desdits biens, 1° à payer les 954 livres 13 sols qu’elle doit aux officiers de la Maîtrise et aux frais exécutoires ; 2° les gages des gardes-forêts ; 3° à faire réparer leur pont et leurs chemins.

Je suis avec le plus profond respect, Monseigneur, votre très humble et très obéissant serviteur [Signé : Prost].»

Cette requête soutenue, est reprise une semaine plus tard, dans une demande adressée de Dijon, le 16 juin 1781, à M. Joly de Fleury, Ministre d’Etat [Brouillon de lettre, non signé, vraisemblablement au nom de l'Intendant].

Les agents de la Maîtrise payés au détriment de la réparation du pont ?

Des arbres furent bien vendus, mais en 1784 seulement, 2500 pieds au lieu de 3000, et pour la très modeste somme de 1000 livres à un seul acheteur, soit 8 sols seulement par arbre (au lieu du prix estimé de 18 à 20 sols...) Finalement cette somme ne semble avoir été utilisée qu'à payer en 1785 les agents de la maîtrise, et non à réparer le Pont d'Enfer, ni à élargir "la route tendante à Genève"...

On relève en effet deux documents datés de Belley, le même jour 28 avril 1785, et signés de Jenin de Montanges, substitut à Belley. Dans le premier, il répond que les habitants ont obtenu en 1782 la permission de couper 3000 pieds d’arbres dans le canton de réserve pour le prix en être employé à la réparation d’un pont et l’élargissement de la route tendante à Genève. La vente et adjudication a été faite en 1784 de 2500 de ces arbres moyennant 1000 livres [soit 8 sols l’arbre !] payables à Noël entre les mains du Sr Campan. La communauté n’a d’autres ressources que dans cette somme ou d’en vendre 500 autres. Il convient d’autoriser les syndics à retirer cette somme des mains de M. Campan. Il avait été vérifié (le 12 mai 1785) que la communauté avait dans la Caisse de l’administration une somme de 1022 livres 5 sols 10 deniers et qu'il convenait de prendre sur cette caisse une ordonnance de 954 livres 12 sols, avec ordonnance de payement, mais déboutant des frais.

Le second document, une lettre adressée à Monseigneur (l’intendant), reprend les information précédentes, mais avec la précision que les 2500 arbres furent adjugés au Sr Guinet, confirmant qu’il y a lieu d’autoriser de retirer les 1000 livres pour payer celle de de 954 livres 12 sols demandée par les officiers, et une conclusion hardie « Je vois toujours avec peine que ces officiers fassent des frais de commandement aux communautés et qu’ils pourraient leur éviter s’ils s’adressaient à votre grandeur dès qu’ils ont obtenu des exécutoires de M. le Grand Maître.»

Pour le reste, de l'eau coula probablement sous le pont...

Un encart dans l'Abeille

Une abondante documentation historico-touristique de Champfromier a pris pour thème le Pont d'Enfer. Voici par exemple un encart publié par l'Abeille du Bugey. L'auteur insiste sur l'originalité, et l'effroi provoqué. Seules deux banquettes très basses (murets) vous retiennent quand on tente de voir l'eau s'écoule entre deux balmes noires dans un lit qui se trouve à 40 mètres sous ses pieds..., en 1889 [L'Abeille, du 16/06/1889].

Pont d'Enfer

 

 

Publication Ghislain Lancel, inédit      

Sources : AD01, C 404.

Première publication le 4 avril 2012. Dernière mise à jour de cette page, 9 avril 2012.

 

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