Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Le pont du Dragon, sur la Valserine (1890) [Inédit]

 

Les promeneurs reliant Champfromier et Chézery (Ain), n'ont pas manqué de franchir la Valserine en passant le vertigineux "Pont du Dragon". La clé de voûte de ce pont porte, côté aval, la mention "D. J. M. 1890" (Dujoux Jean-Marie, le J étant curieusement gravé ou corrigé). Cette mention nous rappelle que ce pont était privé, et qu'il fut donné à construire par la volonté d'Hippolyte Dujoux entre février et la fin août 1890. Il fut réalisé par les frères Grisard, entrepreneurs de Monnetier (hameau de Champfromier). Précédemment il ne devait exister là qu'une passerelle ou "planche" (passage sur quelques troncs d'arbres couchés là), c'est du moins ce que laisse penser le fait que, de part et d'autre, le chemin devait être élargi pour que le propriétaire puisse désormais y passer avec un tombereau à deux roues.

De fait, ce pont n'était pas encore mentionné sur les Plans Napoléoniens de 1833, que ce soit du côté de Champfromier (feuille C5), ou de celui Chézery (feuille E2), où se trouve l'emplacement du futur pont en pierre sur la Valserine.

 Dujoux Jean-Marie
Le pont, de nos jours dit du Dragon et la pierre datée 1890 D.J.M.

 

Le contrat de construction, qui ne figure pas dans les dépôts d'archives des notaires, puisqu'il fut passé sous seing privé, nous a aimablement été communiqué. En voici sa transcription intégrale, inédite.

 

"Entre les soussignés Grisard Marcel [CI-6237 de Champfromier] et Grisard François [CI-6292 de Champfromier] son frère, entrepreneurs demeurant à Monnetier, commune de Champfromier, d’une part ;

Et Dujoux Hippolyte [CI-12770 de Chézery, au nom de son père, Jean-Marie Dujoux CI-11261], cultivateur demeurant Sous-Roche, commune de Chézery, d’autre part ;

A été convenu ce qui suit :

Le sieur Dujoux donne le marché pour faire un pont sur la Gouille Noire, située sur la Valserine et [reliant] le chemin à droite et à gauche dudit pont, aux sieurs Grisard, qui acceptent aux conditions suivantes :

Les assises du pont devront avoir les mêmes dimensions que les moellons du cordon du pont, et prendront naissance à l’extrémité des deux rochers les plus avancés du côté nord de ladite Gouille Noire.

Ce pont sera construit sur 3 mètres 33 cm de largeur, y compris les banquettes et les deux cordons ; devront être faits en pierre de taille passées à la grosse boucharde, les moellons desdits cordons devront avoir 50 cm en queue, sur une hauteur de 40 (cm). Le reste du pont sera fait en maçonnerie, et le mortier sera composé de 2/3 de sable de rivière et 1/3 de ciment. La voûte du pont devra être faite en ciment, ainsi qu’un béton de 20 cm d’épaisseur, qui devra la recouvrir ; pour les deux remblais de chaque tête de pont, il sera fait des gradins dans le rocher, afin que les matériaux se supportent d’eux-mêmes et n’exercent une pesée sur la voûte.

Les banquettes du pont et du chemin devront être faites en maçonnerie et devront avoir 50 cm d’épaisseur à la base, 35 (cm) au sommet, sur une hauteur de 80 (cm) au-dessus de l’assiette du chemin. Elles devront commencer du côté de Champfromier, soit la rive droite de la Valserine, au premier rocher qui a été miné, et se continuer jusqu’au pont à droite du chemin allant sur Chézery ; ainsi [de même en partant côté Champfromier] qu’au contour du chemin à gauche, à partir du pont jusqu’au rocher et sur la rive gauche de la Valserine, soit du côté de Chézery. La banquette partira du pont et se continuera jusqu’à la naissance d’un mur en pierres sèches construit par les sieurs Grisard. Le dessus des banquettes sera recouvert en pierre brute d’une seule pièce en largeur et dépassant le bord extérieur du mur de 5 cm au minimum. Si une banquette est nécessaire à droite du chemin, à partir du pont en allant vers Chézery, les sieurs Grisard devront la faire.

Pour la maçonnerie du pont, ainsi que des banquettes, tous les vides existants entre les pierres seront garnis au mortier.

Les murs qui auront à soutenir un remblai devront être faits en maçonnerie.

Le pont sera à plein cintre, ou demi-circulaire ; la courbe du chemin, à droite et à gauche du pont, devra être faite sur une largeur suffisante pour que le propriétaire puisse convenablement passer avec un attelage muni d’un tombereau à deux roues, et le chemin, sur toute sa longueur devra avoir 2 mètres 40 cm de largeur, y compris la banquette. Il prendra naissance du côté de Chézery, à 50 mètres en avant de l’habitation du sieur Dujoux, et du côté de Champfromier, à l’avalanche de pierre existant à côté du rocher. Le chemin, sur toute la longueur désignée, sera nivelé par les sieurs Grisard ; et le gravelage reste à la charge du propriétaire ; la pente du chemin, à droite et à gauche du pont, ne devra pas dépasser 8 %.

Le présent marché est fait pour le prix de 3000 francs, payables de la manière suivante : le tiers lorsque la moitié du travail sera fait, et le reste du prix lorsque tout sera terminé et reçu par le sieur Dujoux.

Tout le travail sera terminé à la fin du mois d’août de la présente année ; et si à cette époque il n’est pas fini, il sera retenu sur le prix ci-dessus une somme de 10 francs par chaque jour de retard.

Le sieur Dujoux ne répond aucunement des accidents de personnes ou autres, tels que pertes d’outils pouvant survenir pendant son exécution.

Celui qui contredirait à cet engagement s’engage à payer tous les frais pouvant en résulter.

Fait et signé double, à Chézery le 15 février 1890 [Signé : Grisard Marcel ; Grisard].

 

[Le pont fut réalisé dans les délais du contrat, ainsi qu'en atteste la quittance du payement intégral, au bas de l'acte :]

Nous soussignés Grisard Marcel et mon frère François, après avoir exécuté le travail désigné sur la présente convention, reconnaissons en avoir reçu le prix, soit 3000 francs, du sieur Dujoux Hippolyte.

Chézery, le 2 août 1890 [Signé : Grisard Marcel]."

 

Pont du Dragon

La dénomination de Pont du Dragon ne tarda pas à s'imposer. Durant le temps de la fin de la Zone Franche, il fallait le traverser depuis Champfromier pour avoir accès à l'épicerie détaxée qui se trouvait de l'autre côté, territoire de Chézery. Les traces d'une guérite de douanier (côté Champfromier) rappellent encore cette époque.

Plusieurs cartes postales ont immortalisé ce "Pont du Dragon", dès 1904.

Hannezo estimait que la référence au dragon devait certainement rappeler quelque exploit de la Vuivre, ce reptile fabuleux, moitié volant, moitié terrestre, dont les hideuses poursuites ont longtemps défrayé les contes de veillées Jurassiennes, Bugistes et Bressannes, en 1921 [Hannezo, Chézery, p. 124]. Il y a aussi une autre hypothèse : Voir : La légende du Pont du Dragon !

 

Pont communal de Champfromier depuis 1997

Le Pont du Dragon fut racheté en 1997 par la municipalité de Champfromier, pour le prix de 1 franc symbolique, afin de le réparer.

 

Compléments :

Voir : une Balade au Pont du Dragon.

 

Publication : Ghislain Lancel. Source et remerciements : Archive privée (Claude Zarucchi). Photo : Ghislain Lancel (17/04/2008).

Première publication le 13 mars 2019. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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