Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Télécharger le fichier sous Excel des actes BMS réfractaires (G. Lancel, 6 novembre 2021). Les 137 actes nouveaux concernant Champfromier ont été intégrés au fichier général NMD.
En 2013, les archives de la cure de Champfromier ont été entreposées au dépôt du Diocèse (Bourg), puis transférées aux Archives départementales (Bourg), où elles sont enfin désormais librement consultables. Dès leur arrivée au diocèse, Ghislain Lancel, président de PHC, a commencé à photographier ces archives, et en particulier toutes les feuilles volantes d'actes de baptêmes, mariage ou sépulture que l'on regroupera ici sous le terme débordant "d'actes réfractaires". La synthèse et la confection des fichiers Excel des BMS, documents tous inédits, sont maintenant achevés et consultables sur ce site, ainsi que les photos de ces actes, sur demande (janvier 2016).
Ces actes inédits ne sont évidemment pas signalés dans l’inventaire imprimé de la sous-série 110J des Archives départementales de l'Ain, (Registres des baptêmes, mariages et sépultures tenus par les prêtres réfractaires de l'Ain, 1790-1801), publié en 1999. Même indirectement, Champfromier n'est jamais mentionné dans cet inventaire. La publication de ces relevés inédits comble une lacune qui perdura durant plus de deux siècles. Une étude approfondie sur la paroisse de Champfromier a révélé que 63 actes de baptêmes, 38 mariages et 36 actes de sépultures sont totalement inédits (par rapports aux actes des registres civils). Et plus d'une trentaine d'autres paroisses sont concernées, dont plusieurs dans les départements du Jura et de ceux de la Savoie.
Avant de se séparer, l'Assemblée législative du 20 septembre 1792 avait institué la laïcisation et l'état civil dans la France entière. En conformité à ce choix, dès le premier janvier 1793 à Champfromier, le registre des Baptêmes, Mariages et Sépultures de 1778-1792, tenu comme tous les autres depuis des siècles par les prêtres successifs de Champfromier, est abandonné et est remplacé par trois registres d'Etat civil (Naissances, Mariages et Décès). Chacun des actes de ces trois registres est dès lors signé "Ducret officier public" (Joseph Ducret). A signaler que cette charge devait s'effectuer moyennant rémunération.
C'est cette date du 1er janvier 1793 que l'on retient pour clore les anciens registres paroissiaux et débuter les nouveaux registres de catholicité, tenus parallèlement à ceux de l'état civil. Néanmoins les actes des prêtres réfractaires ont une place à part. On sait qu'à Champfromier, et en particulier la grange de Chaté, fut un "nid" de prêtres réfractaires. Signalons d'ailleurs, qu'il nous en reste, le lieu-dit "Creux du Nid" voisin de Chaté, passage en creux caché à la vue depuis de la route entre Montanges et l'entrée de Champfromier, passage par lequel les allées et venues se faisaient discrètement. Les actes que nous allons étudier font donc partie de ceux dits de catholicité, mais par leur esprit et la multiplicité des paroisses voisines représentées, du moins pour les premières années, ils sont incontestablement des "actes réfractaires".
Un total de 542 photos, pour autant de pages portant des mentions, prises dans l'ordre où elles étaient alors entreposées au diocèse, couvre 1618 actes (sans compter les doublons), soit 1021 actes de baptêmes de Champfromier et ses environs (Chézery, Vanchy, Ardon, etc.), 288 mariages (Champfromier, Lancrans, Châtillon, etc.) et 309 sépultures (essentiellement de Champfromier). Les années couvertes sont 1794-1814 (plus 2 actes de 1788 et 1793, et deux autres actes confus d’années antérieures).
Précisons que les actes rédigés à partir d'octobre 1803 par Colliex prêtre, et plus encore ceux du curé Augier, ne sont intégrés aux réfractaires que parce qu'ils proviennent du même lot inédit. Mais ce sont des actes de catholicité, comme ceux que l'on trouve pour Champfromier sous la cote 111 J 116 (actes du 15 octobre 1803 à 1849), et dont ils sont des doubles (mais aucune des deux séries n'est complète).
Résumons ce lot de plus de 1600 actes, sous la forme adoptée par l'inventaire 110 J (AD01) :
Type d'actes : BMS (1618 actes, plus les doublons).
Années : 1794-1814 (plus 1 acte en 1788 et un acte en 1793).
Paroisses citées dans l'Ain (et nombres de mentions, parfois distinctes suivant les parents ou les époux) : Champfromier (664B+151M+286S) ; Ardon y compris Châtillon en Michaille, Tacon et Vouvray (61B+25M) ; Arlod (1M) ; Belleydoux (14B+3M+1S) ; Billiat, y compris Davanod (1B+4M) ; Chaney (1M) ; Chézery y compris Menthières (130B+41M+5S) ; Collonges (1M) ; Confort (12B+2M) ; Craz (1M) ; Echallon (12B+3M+1S) ; Farges (1M) ; Giron (15B+2M) ; Hotonne (1M) ; Lalleyriat (1M) ; Lancrans, y compris La Mulaz (58B+28M+1S) ; Léaz, y compris Grésin (3M) ; Lélex (33B+6M) ; Martignat, y compris Apremont (1M) ; Montanges (20B+12M+8S) ; Montréal, diocèse de St-Claude (1M) ; Musinens (1B+3M) ; Ochiaz (1B+1M) ; Pont d'Ain, diocèse de Lyon (1M) ; Ruffieux (1M) ; St-Germain-de-Joux (7M) ; Thoiry, département du Léman (1M) ; Vanchy (3B+3M) ; Ville (2M) et quelques autres, indéterminés.
Paroisses d'autres départements : (39) Bellecombe (1M) ; (39) Bouchoux (2M+6S) ; (39) Choux (2M) ; (39) Moussières, diocèse de Besançon (1M+1S) ; (39) St-Sauveur (1M) ; (74) Vulbens (1M) ; (73) Yenne en Savoie, diocèse de Chambery (2M, hommes demeurant à Châtillon).
Prêtres cités et nombre d'actes par type : Julliand
(prêtre catholique, prêtre missionnaire, prêtre, 84B+43M) ;
Bornet (prêtre, 287B+100M+14S) ; Joseph Genolin (curé d'Echallon,
chef de mission, 109B+32M+7M) ; J.M. Jantet (prêtre, 3B) ; F.
Colliex (prêtre, 4B+2M+22S), Guichard (prêtre, 1B). L'abbé Martin
Juilland, né à Champfromier en 1768 [CI-2886], fut arrêté en
septembre 1797, déporté à l'Ile de Ré (6e convoi),
s'évada, fut poursuivi et décéda le 14 septembre 1801
(inhumé à Chézery). Jean-Marie Bornet est
aussi né à Champfromier [CI-2532, mort en 1802]. Notons que François Colliex,
réfractaire emprisonné et évadé durant la Révolution, œuvra
occasionnellement à Champfromier pour suppléer l'abbé Julliand,
et sera nommé prêtre de cette paroisse en 1803.
A
partir de 1803 : F. Colliex (prêtre, 224B+50M+173S) ; Augier (curé, 217B+33M) ; Marestand (1B) ; Jean-Baptiste Tavaillard (3B) ; Montanier (1B) ; Genolin (curé de Brénod, 1B) ; Goux (vicaire, 4B).
Particularités : deux baptêmes de cloches de Champfromier.
On connait plusieurs lieux à Champfromier où les prêtres réfractaires célébraient la messe et procédaient en secret aux baptêmes et mariages. La grange de Chatey (située à la limite territoriale à 500 mètres à gauche de la route d'accès à Champfromier, en venant de Montanges) est le lieu le plus connu. Cette grange, une ruine de nos jours, était au centre d'un vaste pâturage, dissimulé aux regards malveillants par des bois. Il en reste d'ailleurs le lieu-dit "Le Creux du Nid", autrement dit, le nid des réfractaires, longeant la route derrière un talus protecteur où l'on pouvait aller et venir en toute discrétion. Cette grange, était habitée par les Humbert, une famille très pieuse connue pour avoir donné de nombreux enfants à la Religion. Dans son ouvrage sur l'Histoire de Champfromier, l'abbé Genolin, consacre un chapitre entier à l'histoire de cette "Grange de Châté" (ch. XX, page 149). Les famille Genolin, Ducret, Tournier, Julian, et pas seulement celles-ci, donnèrent aussi de nombreux prêtres à Dieu (voir du même auteur, les Gloires de Champfromier, ch. XXVIII, p. 229).
Il est évident que plusieurs familles de Champfromier hébergèrent des prêtres réfractaires recherchés, où les aidèrent à quitter le pays en les faisant guider par des sentiers cachés, bien connus ici par une autre tradition, la contrebande avec la Zone Franche. La magnifique pierre christique gravée au sol à Buclaloup semble témoigner de messes cachées en plein air (mais on n'en a toutefois aucune certitude). Dès lors il n'est pas surprenant que viennent d'être retrouvés des centaines d'actes de baptêmes réfractaires. Néanmoins leur nombre impressionne : 563 entre 1794 et 1802. Plus encore c'est la variété des paroisses d'où provenaient les parents et les mariés, et la liste des prêtres, qui atteste que Champfromier, rattaché à la mission de Michaille, était un grand centre de la pratique réfractaire, un nid de réfractaires ! Et la Révolution passée, Nicolas Ducret, maire de Champfromier de 1811 à 1830, n'aura de cesse que de louer la Royauté et de restaurer toutes les conditions d'une bonne pratique religieuse (reconstruction de l'église, achat de deux cloches, etc.)
L'abondance des actes réfractaires signifie-t-elle une revendication ouverte à la pratique de la religion par les paroissiens ? Il ne le semble pas, si l'on compare les actes civils et religieux. On a vu que près de 140 actes de BMS manquent au civil, mais pour d'autres, en particulier pour les baptêmes, il peut s'écouler jusqu'à 7 ans avant que l'aîné de toute une fratrie soit baptisé avec ses autres frères et sœurs ! Inversement, on baptisera souvent un enfant dès le jour de sa naissance et, s'il survit, on le déclarera une semaine après au civil. Les prénoms font massivement référence à Marie, y compris en second prénom des garçons. A Champfromier; entre 1807 et 1810, seuls quatre enfants de la Combe d'Evuaz et de Monnetier, ont leurs parents qui adopteront (timidement) la mode postrévolutionnaire et auront un de leurs prénoms qui soit Napoléon, – toutefois un seul en premier prénom –, et il n'y en aura plus ensuite d'autres jusqu'en 1858. Inversement bien des prénoms Marie enregistrées aux actes religieux disparaissent en second prénom au civil... Ces nuances d'attitudes envers les autorités civiles et les prêtres sont plus nettement en faveur des premiers en ce qui concerne les mariages. L'union religieuse, qui plus généralement suit et non précède l'acte civil, peut n'avoir lieu devant le prêtre que plusieurs années plus tard. La laïcité l'emporte-t-elle déjà ? Peut-être. N'oublions toutefois pas, en ce qui concerne les garçons, qu'un mariage attesté civilement, pouvait parfois être une raison pour ne pas être incorporé.
Baptêmes. Les données des dossiers ci-joints seront évidemment à prendre avec des réserves. Quand on peut comparer, entre les versions civiles et religieuses d'un même acte, on note parfois des différences assez sensibles. Les prénoms ne sont pas toujours rigoureusement les mêmes, ou il peut en manquer un, ou encore ils sont inversés. Marie-Françoise n’est plus que Françoise au civil. Josette pour le prêtre devient Josephte au civil, Ignace n'est autre qu'Agnès. Une Françoise voit son acte avec des accords au masculin, et c'est bien un garçon au civil. De deux jumelles, il n'y en a plus qu’une à naître au civil. Concernant les dates, on l'a dit, elles peuvent être très éloignées de la vérité. Jeanne Françoise, fille naturelle d’Albine Ducret, est née le 13 septembre 1801, au civil, mais le prêtre le savait déjà depuis six mois, ayant baptisé l'enfant le 21 mars de la même année, jour de sa naissance ! Deux versions d'un même acte permettent de corriger des bourdes de rédaction. Marie Agnès n'est pas une Marie d'un nouveau patronyme, mais Agnès Genolin ! Dans plusieurs cas, Chevron, est à lire Ducret-Chevron. Les baptêmes réfractaires permettent d'accroître le nombre des enfants nés à Champfromier. Avant de relever ces actes, 25 personnes avaient été reconstituées, suite à leur signalement dans des actes notariés. Ils ont été retrouvés et le nombre de nouveaux enfants a même été porté à 63 à la lecture de ces actes réfractaires ! Signalons encore, à l'actif de ces prêtres réfractaires d'avoir souvent porté le précieux lieu-dit de la grange où naquirent ces enfants (ce qui manque souvent, au civil). Signalons encore dans ces liasses, mais c'est plus tardif, les actes de baptême de deux cloches (en 1810 et 1811).
Mariages. On en compte 38 nouveaux à Champfromier, dont un acte de remariage devant un vrai curé : "pour dire que s'étant présentés par-devant le citoyen Collomb, intrus dans la paroisse de Champfromier, dans le courant de février 1793", ils souhaitent contracter un nouveau mariage... Pour les années 1799-1800 (an VII-IX) on relève désormais 21 actes passés dans la paroisse de Champfromier, au lieu d’un seul, précédemment ! C’est avec les mariages que l’on ressentirait le mieux l’esprit laïc insufflé par la Révolution. Si certains actes sont célébrés devant le prêtre la veille de l’acte civil, dans la grande majorité des cas, ce ne sera que dans les jours suivants, parfois des années après, jusqu’à six ans ! Michel Bornet se marie au civil en janvier 1793 et au religieux en juin 1797. Le mariage religieux de Bernard Collet a lieu 6 ans après le civil. Les actes religieux offrent l’avantage de bien mieux préciser les cas de consanguinité. Signalons un rare acte d’interdiction pour consanguinité (alors qu'un enfant est déjà né...). Les pseudonymes sont parfois utilisés : les Combet sont des Ducret-Combet. Pour l'anecdote (sauf peut-être pour la consanguinité), signalons, mais dans les actes tardifs, trois frères Juilland mariés le même jour 16 juin 1813, avec deux de ces mariés ayant épousé une fille Juilland, de parents différents mais néanmoins avec des dispenses de consanguinité au 4e degré.
Sépultures. Les différences sont plus étonnantes avec les décès qu’avec les naissances : Andréanne Bornet, Joseph Coutier, Jean-François Tournier dit la Reine, et Joseph Julian sont morts au moins un mois plus tard au civil qu'au jour de leur sépulture par le prêtre ! Le record est pour Jean-François Bornet, formellement identifié par la présence de deux fils, décédé le 20 avril 1796, âgé de 68 ans, dans l'un des deux actes réfractaires (70 ans dans la copie), mais au civil, c'est le 7 juin âgé de 72 ans qu'il trépasse... Les âges au décès sont, de manière habituelle, très approximatifs. Jeanne Bornet est morte âgée de 26 ans au civil, mais de 30 ans aux Réfractaires ! Joseph Collet est mort âgé de 60 ans aux réfractaires, 75 ans au civil, en réalité 68 ans ! Même pour des individus plus jeunes, de semblables approximations s'observent aussi, comme Julienne Ducret décédée âgée de 26 ans au civil, et de seulement 20 ans aux réfractaires. Malgré ces imprécisions, l'on apprécie de découvrir ainsi 34 nouveaux décès à Champfromier (y compris le Sieur André Genolin, en réalité natif de Montanges, et plus deux décès d’habitants d'Echallon et de Lancrans), dont une transcription du décès de Martin Juilland, prêtre réfractaire. L'acte qui avait probablement bouleversé tous les paroissiens de Champfromier est celui de Martin Julian, enfant du pays [CI-2886], dit prêtre missionnaire de Chézery, décédé le 14 septembre 1801 à l'âge de 33 ans, inhumé le surlendemain, acte rédigé par Joseph Genolin, curé d'Echallon (chef de mission), en présence de Me Jean-Marie Bornet, missionnaire à Champfromier et recteur de Lélex, Me Marestand missionnaire à Léaz et Me Joseph Bettend, missionnaire à Vouvray. L'acte ne dit mot sur les supplices que ce prêtre réfractaire avait encouru : arrêté, emprisonné à Genève puis envoyé à l'Ile de Ré garrotté en charrette, libéré à la fin du Directoire, assassiné à coups de pierres près de Lélex alors qu'il allait porter les sacrements à un mourant [Cf. Hist. de Champfromier, pp. 161-163].
Terminons en revenant à certains mariages résumant bien le flou qui avait accompagné la prise de conscience de savoir qui était l'autorité légale lors des déclarations des naissances. Ne sont pas rares les jeunes gens qui, au jour de vouloir se marier, découvrent qu'ils ne sont pas nés ! Il faut donc procéder à un coûteux acte de notoriété, en la présence d'anciens de la famille ou du village ! Plus de deux cents ans plus tard, le dépouillement des actes réfractaires permet d'affirmer, du moins dans certains cas, que leur existence sur terre était pourtant bien attestée, avec un acte de baptême comportant les noms des parrain et marraine, mais aussi et surtout les noms de leurs parents, et le jour de leur naissance. Il était inutile d'inventer une fausse date de naissance ! Mais les actes réfractaires, sont restés réfractaires durant deux siècles.
Naissances. La liasse des actes réfractaires qui était conservée à la cure de Champfromier (et qui se trouve désormais aux AD01) comprend 130 actes de baptêmes d'enfants de Chézery (dont 10 qui sont inédits, mais peut-être à cause d'erreurs, 2 seuls étant bien attestés). Ces actes, parfois rédigés plus de cinq ans après la naissance, comportent assez souvent des erreurs, de dates, de prénom ou même de nom. Une date de baptême peut être donnée avant celle de la naissance, un double prénom peut se retrouver réduit à un seul, ou inversement. Dans les années les plus fournies, ces actes ne concernent qu'environ un dixième de l'ensemble des naissances. Pour ceux rédigés plusieurs années après la naissance, ils pourraient témoigner de désillusions des parents envers les espoirs portés par la Révolution, et d'un retour à la faveur de la religion. Ainsi un fils Gros, né sous les prénoms d'Alexandre-Légalité en 1794, se voit baptisé trois ans plus tard, en 1797 sous le seul prénom d'Alexandre. Signalons aussi les baptêmes de deux enfants nés sans père désigné.
Publication Ghislain Lancel (inédit).
Première publication le 17 février 2016. Dernière mise à jour de cette page (Chézery), le 6 novembre 2021.