Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Cahiers de doléances de Champfromier (12 mars 1789)

 

Normalement, rechercher le cahier de doléances d'une commune ne souffre aucune difficulté. Sauf que pour Champfromier on se méprendrait à croire qu'il n'y en a bien sûr qu'un seul, il y en a deux ! Giron-Devant, bien que démembré pour le spirituel de la paroisse de Champfromier depuis 1669, en dépendait encore à l'approche de la Révolution pour toutes les autres activités et contraintes de la vie courante (en particulier pour les rôles de taille), avec bien des incidents. On découvre donc que les gironnais ont réalisé leur propre cahier, précisant "Les habitants de Champfromier n’ont point voulu recevoir ni faire écrire par l’officier qui a reçu leur procès-verbal, les griefs ci-dessus, ce qui nous a déterminé de nous assembler devant notre place publique pour rédiger par nous le présent cahier" ! C'est étonnant car le cahier de Champfromier présente signatures de gironnais, dont celle de Dumolard leur syndic.

Voyons donc ci-dessous le cahier de doléances de "Champfromier-Giron", puis celui contestataire de Giron-Devant seul (lequel ne comporte que des revendications financières concernant des frais et taxe (dîme) relatifs au culte et au clergé), puis pour comparaisons des synthèses sur Montanges et Chézery.

Doléances de "Champfromier-Giron"

Le cahier de "Champfromier-Giron" (tel qu'il est dénommé en titre récapitulatif) fut rédigé le 12 mars 1789, et celui de Giron-Devant (seul), le lendemain, avec certaines signatures identiques à celles du cahier de Giron...

Le cahier de Champfromier, dont la rédaction parait avoir été assez rapide, est écrit par un officier lettré mais dans un langage presque parlé, transcrivant probablement ce qu'il venait d'entendre. Des doléances assez naïves et brouillonnes, alternent avec les préoccupations du jour et les idées générales. Des titres marginaux furent écrits d’une autre main, tremblée. Le cahier, composé de deux doubles feuilles ficelées, ne comporte que neuf articles. Quatre articles seulement sont développés, et principalement deux d’entre eux (les articles 3 et 4) qui dénotent un sentiment de révolte sur des faits récents, à savoir des membres de la communauté mis en prison pour fraude sur le sel, et d’autres "particuliers" ayant eu de fortes amendes en rapport avec la forêt. L’article sur le sel occupe la plus grande partie des revendications, il est vrai qu’au prix de 18 sols 6 deniers la livre pour le sel royal, il était impensable d’en donner aux vaches pour lesquelles c’est pourtant un complément alimentaire nécessaire (de nos jours, on estime le besoin à environ 60 grammes par jour et par vache). Seul le premier article est spécifique à Champfromier, terroir très étendu sur un terrain inculte. Les autres récriminations se retrouvent dans un grand nombre d'autres cahiers : demande que le clergé et la noblesse payent aussi des impôts, suppression des justices intermédiaires, de la corvée, des intendants, des jurés, etc. Parmi les remarques, signalons la mention de 230 feux dans la paroisse de Champfromier.

 

[Début de la transcription]. "[f° 8] Champfromier-Giron [sic], 47. [f° 1] Cahier de plaintes, doléances et remontrances des habitants de la communauté de Chamfrommier [sic], cotté, paraphé par nous André-Marie Marinet, jusqu’à la page sept, ce 12 mars de l’année 1789 [Signature : Marinet].

Les habitants de la paroisse de Chamfrommier [sic] soussignés, pour se conformer aux lettres de convocation de Sa Majesté et aux règlements y annexés pour les Etats généraux, ont l’honneur de remontrer que :

1°) L’étendue du terrain de leur communauté est assez considérable, car leur paroisse, qui peut avoir six lieues de circonférence, est composée de 230 feux, dénommer le nombre de ceux qui sont réduits à aller mendier leur pain, ce serait trop long, nous dirons avec vérité qu’il y en a tout au plus trente qui puissent se passer d’aller ailleurs chercher de quoi se soutenir, encore faut-il qu’ils fassent valoir [f° 2] eux-mêmes leurs biens, cela vient de ce que les trois-quarts de l’étendue de leur terrain ne consiste qu’en roche, broussaille et terre inculte, la meilleure preuve que nous puissions donner de la stérilité de notre terrain c’est que la noblesse n’y a point de possession.

2°) (Impôt sur le clergé et la noblesse) Qu’il est surprenant que le clergé et la noblesse possédant en biens les deux-tiers des possessions du royaume ait été jusqu’à ce jour exempts de tous impôts ; nous ne voyons pas sur quoi ils peuvent fonder cette exemption, nous n’en dirons pas davantage sur l’abus de cette exemption, parce que ces deux ordres nous diraient que nous avons eu tord de ne pas nous plaindre plus tôt, puisqu’ils se sont empressés de se rendre justice, dès que le plébéien a demandé à ce qu’ils fussent imposés.

3°) (Sel) Nous ne doutons point que toutes les communautés de cette province n’aient demandé la diminution du sel, que nous payons 18 sols 6 deniers la livre, mais nous pouvons nous flatter que peu de paroisses ont des raisons aussi fortes que la notre : nous habitons un terrain situé au pied d’une montagne, exposé au ravage des eaux, [f° 3] privé de toutes sortes de commerce à cause de son éloignement des grandes routes ; seraient-elles près, le commerce serait toujours intercepté parce que les roches escarpées qui les séparent de leurs voisins ne permettent pas de pratiquer des chemins de communication.

(La difficulté de payer les impôts) Le seul moyen que nous ayons pour nous procurer de l’argent pour satisfaire à nos impôts, et pour nous entretenir, consiste à nourrir du bétail, à faire profiter le lait de nos vaches, et [mais] nous en sommes privés par la cherté du sel - l’on présume assez aisément que ce que l’on a peine à se procurer, on ne le donne pas au bétail -, ce qui cependant lui serait nécessaire, car le sel a des vertus particulières, pour éviter les maladies du bétail, le soutenir et lui procurer des forces, et ce qui fait que les pertes en sont si fréquentes parmi nous. Nous dirons plus, c’est que plusieurs d’entre nous, faute de sel, ne peuvent faire des fromages.

Ce n’est pas tout, la misère a forcé plusieurs particuliers à aller chercher du sel dans les pays étrangers, ils ont été arrêtés et ils gémissent dans les prisons, et leurs enfants abandonnés vont de porte ne porte chercher de quoi se soutenir. [f° 4] Pour se convaincre de la vérité de cette plainte, l’on a besoin que de visiter les prisons et de vérifier les procès-verbaux … injustes des préposés pour empêcher la fraude.

4°) (Suppression de la Maîtrise) Nous demanderons à ce que la Maîtrise des Eaux et Forêts soit supprimée, et pour appuyer notre démarche nous proposerons plusieurs abus, de l’existence desquels on se convaincra aisément en ayant recours aux procès-verbaux qui ont été dressés.

Outre que les officiers de cette justice ne manquent jamais de dresser des procès-verbaux, de prononcer quelquefois abusivement des amendes considérables contre plusieurs particuliers, que ces derniers pour se soustraire à des contraintes par corps [mise en prison] payent sans oser se plaindre, il faut encore que la communauté présente des requêtes pour obtenir la permission de vendre leur bois pour payer leurs vacations [celles des officiers], les soussignés croiraient cependant qu’on dû leur rende compte des amendes et qu’une partie dut être employée au profit de leur communauté, c’est ce qui n’est jamais arrivé.

5°) (Suppression de l’élection) La suppression des élections, des justices [f° 5] subalternes n’est pas moins nécessaire. Nous dirons deux mots des malheurs que nous causent ces dernières.

(Justices seigneuriales) Les officiers des justices des seigneurs sont nombreux [puis quelques mots barré], et qui après avoir restés deux ans commissaires deviennent très riches. Nos plaintes porteront principalement contre les officiers bannerets [juges des justices seigneuriales] établis dans toutes les paroisses, qui profitent du moment de chaleur d’un particulier pour avoir la commission d’en assigner un autre, le demandeur prend souvent le parti de s’en désister et [mais], s’il est opiniâtre cela donne lieu à un procès sérieux, que deux procureurs d’accords entre eux surchargent d’écrits sans l’instruire, et ruinent chacun de leur côté les partis. C’est pour prévenir la perte de plusieurs, d’entre nous, que nous demandons à ce que toutes les affaires soient portées au bailliage.

Ce n’est pas tout, ces mêmes officiers viennent tenir des assises, où pas un de nous a droit de parler ; on condamne sans entendre l’accusé, ou pour mieux dire sans lui permettre [f° 6] de parler, à une amende arbitraire envers le seigneur, et s’il arrive que ces amendes soient applicables tant à la fabrique [organisme qui gère l'entretien de l'église] qu’au seigneur, ce dernier se réserve tout et ne rend compte de rien.

6°) (Suppression de la corvée) Nous demandons à ce que les corvées soient supprimées et les chemins entretenus à la charge des trois ordres.

7°) (Suppression de l’intendant) La suppression des intendants qui, quoique membres inutiles, ne laissent pas que de surcharger les communautés par les gratifications considérables qu’on leur accorde.

8°) (Corvée, sel) Huitièmement et enfin à ce que l’impôt pour l’entretien des ponts et chaussées ne soit plus perçu sur le sel, parce que le peuple comme plus nombreux et comme ayant du bétail en paye plus des trois-quarts.

9°) (Jurés, priseurs) Neuvièmement, la suppression de l’huissier juré priseur.

[Signatures (26) : Couderier [sera l'un des deux syndics de Champfromier en 1790], Ducrest, dumolard [Syndic de Giron-Devant], juilland, marquis, Josph tournier [Giron-Devant ?], jullian, tournier, Evrard, Mathieux, hmbert, Tournier, evrard, [f° 7] julliand, monet [Giron-Devant], tournier [Giron-Devant ?], coutie, ducrest, Claude Evrad, Couttier, famy [Joseph, CI-1543], genolin [CI-2019 (futur premier maire de Champfromier)], Tournier [Futur 2e officier municipal], martin, michy, evrard]". [Fin de la transcription].

Doléances de Giron (Giron-Devant)

La première partie est rédigée par un officier, et quelques titres sont écrits d'une autre main, tremblotante (les mêmes plumes que pour Champfromier). Cette première partie sera suivie d'un complément constitué de ce qui fut "oublié de dire", et rédigé par Joseph Tournier, leur député pour les Etats Généraux. Texte intégral (l'orthographe a été actualisée, en particulier pour la seconde partie...)

[Début de la transcription]. "[f° 1] Cahier des griefs et remontrances des habitants de Giron-Devant, composé de 38 feux, démembré d’avec la communauté de Champfromié [sic]. Demande :

1°) (Congrue, suppression d’autres charges perçues par feu) Dans leur hameau, ils se plaignent qu’ils payent l’entretien d’un curé desservant, conjointement avec Giron-Dernier, démembré pour le spirituel d’avec la communauté d’Echallon, ce dernier hameau composé de 26 feux, lesquels réunis composent en tout 64 feux. Ils payent audit curé, une mesure de froment à 40 sols en argent par chaque feu faisant, tandis qu’ils payent la portion congrue qui se perçoit sur les fonds dudit lieu au Sr curé de Champfromier, au préjudice de leur curé desservant. Ils demandent d’être relevés de cet impôt qui les coulent entièrement, et qu’il soit pris sur l’abbé de Nantua la portion congrue qui doit revenir à leur chapelain.

2°) (Etats généraux) Ils se plaignent de ce qu’on ne leur a pas communiqué les ordonnances concernant la convocation des Etats généraux.

3°) (Assemblée de leur communauté) Les habitants de Champfromier n’ont point voulu recevoir ni faire écrire par l’officier qui a reçu leur procès-verbal, les griefs ci-dessus, ce qui nous a déterminé de nous assembler devant notre place publique pour rédiger par nous le présent cahier, qui sera présenté à Mr le lieutenant particulier pour ordonner qu’il sera joint au cahier des griefs de Champfromier.

(Présentation du cahier) Donnons pouvoir à Joseph Tornier de Giron, député pour Champfromier de faire adjoindre le présent au cahier, et lui donnons aussi pouvoir d’y ajouter ce qu’il conviendra pour le bien et avantage de notre hameau de Giron-Devant, et avons signé ceux qui [f° 2] ont été parmi nous en ladite place publique ce 13 mars 1789 [Signatures (14) : dumolard sindic, Joseph Tournier, Tournier, pierre jeph tournier, tournier, delainod, françois humbert, claude tournier, claude joseph tournier, monet, claude francois guichard, francoi jerras, jean françois tournier, Claude juillard]".

 

[De la plume de Joseph Tournier, leur député] "Nous avons oublié de dire :

1°) (Dîmes) que le seigneur tire deux-tiers de nos dîmes ;

2°) (Fabrique) et que le Sieur curé de Champfromier l’autre tiers ; de même ce dernier tire notre "margule" qui se prélève dans la dîme de notre hameau, qui est composée de 24 mesures d’orge et autant d’avoine.

3° (Entretien d’église) Nous demandons que cette margule soit relâchée pour payer notre marguiller, qui est le desservant pour toutes choses à notre église, et pour nous aider à l’entretien de la maison de notre prêtre desservant qu’il nous faut entretenir de même que notre église, et tous les ornements nécessaires, le tout à nos frais.

En foi de quoi j’ai signé [Signature : Joseph Tournier, député].

[f° 3] Cahier de Giron-Devant, hameau de Champfromier, qui sera remis au cahier de Champfromier, comme la procuration, et avec celle de Champfromier" [Fin de la transcription].

 

Doléances de Montanges (pour info)

Le cahier est rédigé la veille de celui de Champfromier, par les syndics de Montanges eux-mêmes, avec beaucoup plus d’assurance qu’à Champfromier : volonté de racheter les servis (ce qui nécessiterait une rente fixe pour rembourser l’emprunt), qui doivent toujours être payés en blé même par ceux qui n’en produisent pas, 110 feux dont 30 mendient leur pain et 60 qui vont peigner le chanvre en hiver, le seigneur prieur qui ne remplace même pas les ornements de l’église, la cherté du sel, la suppression de la Maîtrise des Eaux et Forêts, la suppression de l’intendant, et une clause très semblable à celle de Champfromier sur l’impôt pour les ponts et chaussées qui ne doit plus être indexé sur le sel. Signé Berrod chirurgien, Mermet, etc. Fait le 11 mars 1758 et signé des deux syndics.

Doléances de Chézery (pour info)

Les cahiers des doléances furent présentés aux Etats provinciaux de Belley. Les habitants de "la Rivière, de Forens, Menthières et Chézery", se plaignent de l’immensité du territoire, entre Jura et Chalam, et des désastres provoqués par la rivière ; terroir sans ressource pour ses 2000 âmes ; le blé n’y pousse pas (seulement de l'orge et de l'avoine) ; il n’y a pas de bois de sapins ; Ils sont français sans êtres francs (taille et mainmorte subsistent) ;les moulins et cabarets, banaux, relèvent de l’abbaye ; le sel est payé 18 sols 9 deniers le litron alors qu’il est à 5 sols la livre, poids de 18 onces, en province de Gex, etc. Fait le 11 mars 1789.

 

Sources : AD01, 52 B 32 (Champfromier-Giron, n° 47, et Chézery) ; 52 B 33 (Giron) ; 52 B 34 (Montanges, n° 135). Consultable en usuels aux AD01, tome Bugey I (ou en ligne, site des AD01, Pour les plus curieux, etc.).

Première édition de cette page, le 12 septembre 2012. Dernière mise à jour, idem.

 

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