Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Tombaret de Buclaloup

 

Le Tombaret ou précipice de Buclaloup, gouffre signalé sur les cartes depuis 1836, est un lieu peu protégé qui se trouve à proximité de la bien connue ruine de Buclaloup. En 1901 cette entrée fut pointée par Chanel, sous le nom de Grand Tombaret. Tombaret est un nom générique pour des lieux où il vaut mieux ne pas chuter, tomber, au risque que ce lieu ne devienne sa propre tombe !


L'entrée du tombaret

La première exploration, le Précipice Mermet en 1901

Le Bulletin de la Société Naturalistes de l'Ain, n° 9 du 15 novembre 1901 (pages 21-23) donne un compte rendu de la première exploration spéléologique commentée de ce "Précipice", aujourd'hui dit Tombaret de Buclaloup, expédition effectuée un demi-siècle plus tôt que celles qui suivront après guerre. C'était le 16 août 1901. Les explorateurs étaient messieurs Morgon, Du Péroux, Jarias, Evrad, Magnard et Chanel. Ils mentionnent qu'après avoir traversé la forêt de Champfromier par la nouvelle route en construction, et avoir récolté airelles, framboises et groseilles, ils arrivent enfin, après 4 heures de routes depuis Saint-Germain-de-Joux, à la ferme Mermet près de laquelle se trouve le précipice, lieu entouré de prairie aux superbes vaches à clochettes carillonnantes. Attachant une poulie à un sapin qu'ils placent en travers de l'entrée en entonnoir de 3 mètres de diamètres, l'un d'entre eux commence à descendre, avec une certaine émotion... Les gens des fermes voisines sont en effet accourus et en rajoutent, commentant l'entreprise de folie car pour eux le gouffre est profond de plusieurs centaines de mètres...

Mais à seulement 45 mètres le fond est touché, après que le gouffre ait obliqué à l'est tout en restant circulaire et vertical. Des bougies sont allumées et les observations sont classiques : blocs plus ou moins gros, bois et squelettes d'animaux. Ils marchent sur le cadavre d'un mulet : indignation, sur cette tradition de précipiter dans les gouffres les animaux morts, ou simplement vieux et infirmes !

Ils poursuivent néanmoins l'exploration vers la plus large de deux crevasses, celle que les eaux suivent. L'air est empoisonné par la pourriture animale et végétale... Mais au bout de quatre mètres, la crevasse se termine en coin. Les habitants sont désappointés, leur précipice n'a que 49 mètres de profondeur !

Exploration du 8 juin 1952

Après guerre, les explorations spéléologiques reprennent. On apprend par le premier numéro de la revue Suisse Stalactite (février 1953), que l'exploration du "Tombaret de la Caserne" fut réalisée le 8 juin 1952 par cinq spéléos de la section de Genève. L'article fera part belle à cette exploration, qui pourtant n'était pas la première, mais qui montre et commente, croquis à l'appui, la coupe et le fameux crâne du milicien exécuté lors de la dernière guerre...


Coupe du tombaret, et ossements, dans Stalactite n° 1, page 4 (Février 1953)

L'article (pages 3/4), sous la plume de Jean Christinat de Genève, après un paragraphe concernant une courte description des rapides échecs de progression dans les trois orifices de la résurgence de Trébillet, le 7 juin, commente en détail l'exploration du lendemain, 8 juin 1952.

Dit inexploré mais signalé par F. Herzog au cours d'une tournée de prospection, les habitants de la région guident les spéléos à l'endroit du trou, qui déroulent aussitôt cinquante mètres d'échelles. Après une descente verticale de 48 mètres, ils prennent pied sur un bouchon de cailloux, d'ossements de vaches et de troncs d'arbres pourris et spongieux. Une étroiture permet de se glisser dans une petite chambre d'où part une galerie de 60 centimètres, obstruée par des éboulis à 5 mètres. Le gouffre atteint une profondeur totale de 52 mètres. Le diamètre du grand puits est de 5 mètres.

Les hommes du pays sont très intéressés par l'exploration, mais encore plus par ce qui pourrait s'y trouver... Les habitants finissent par apprendre à F. Herzog, qui était du groupe, qu'un espion avait été exécuté par le maquis et jeté dans ce gouffre. En effet, avant de remonter le spéléo avait observé un crâne humain, dont le côté gauche est traversé par deux balles, et un trou béant au point de sorte des projectiles sur le côté droit. La nuque présente aussi un trou. Un bout de semelle et un fragment pourri d'étoffe sont aussi retrouvés. Profitant de l'éloignement temporaire des spectateurs, Jean Christinat remonte le crâne et le cache dans un sac, juste avant que n'accourent de nouveaux "promeneurs". Le crâne est ensuite remis à la gendarmerie de Châtillon-en-Michaille qui interroge trois membres du groupe jusqu'à 23 heures. Ordre est donné de ne publier pour le moment ni rapport ni photo. Un gendarme croit savoir que l'homme au crâne aurait été responsable de la mort d'une dizaine de maquisards, et que c'est pour cette raison que d'autres maquisards l'auraient exécuté, eux-mêmes ayant ensuite trouvé la mort dans un combat avec les allemands, peu avant la Libération. Quatre mois plus tard, le 12 octobre, F. Herzog apprenait par la Gendarmerie Française que le parquet s'était saisi de l'affaire et que l'enquête était terminée. Les suppositions du gendarme étaient exactes. Les restes funèbres de la victime, avec un acte de décès, avaient été remis à sa mère.

Exploration du 14  juillet 1952

Après la visite du mois précédent par les Genevois, c'est au tour des français, avec les spéléos de Saint-Claude, d'explorer le tombaret. Le gouffre est exploré le 14 juillet 1952 par le Spéléo-club San-Claudien, qui note dans son rapport (n° 1453) :

"Puits vertical de 45 m se prolongeant par un couloir obstrué par un éboulis. Le calcaire est très dur à l'entrée du puits et il n'y a donc pas de chutes de pierre à craindre. Le gouffre oblique bientôt à l'est tout en restant circulaire et vertical.

A 45m, nous touchons le fond ; nombreux cadavres d'animaux. Deux crevasses existent à l'est. La première n'est qu'une fracture, l'autre est bien plus large, c'est le chemin que les eaux ont suivi. Nous y pénétrons en descendant le cône de débris divers. L'air est empoisonné par la pourriture animale et végétale. Au bout de 4 m environ, nous sommes sur de la boue, la crevasse se termine en coin, c'est la fin...

Au cours de la dernière guerre, la région fut le théâtre d'un combat violent entre troupes allemandes, milice et maquisards ; une vingtaine de cadavres, sinon plus, furent jetés dans le gouffre, rendant pratiquement impossible la progression dans la crevasse basse qui serait en réalité une chatière."

Le rapport note encore un débit (au fond) de 0,1 litre/seconde, en relation présumée avec la résurgence du Bief Blanc.

 

Ces deux explorations datent maintenant de 60 ans. Entre temps le dépotoir macabre du Tombaret de Buclaloup a vu passer d'autres équipes de spéléologues (Bellegarde, SDNO, etc.), et qui sait ce qu'il deviendra... En tous cas, évitons de jeter des indésirables dans les tombarets, les terrains karstiques ne filtrent pas l'eau des drains. Si l'eau est polluée au départ alors elle arrive polluée au robinet.

 

Bibliographie : Bulletin de la Société Naturalistes de l'Ain, 6e année, n° 9 du 15 novembre 1901.

Remerciements : Thierry Tournier ; Corbel et Colin (Spéléo-club San Claudien) ; Médiathèque Vailland (Bourg).

Première publication le 13 décembre 2010. Dernière mise à jour de cette page, 27 octobre 2012 .

 

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