Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Le château de Ballon a-t-il disparu
dans l'éboulement de 1758 ?

 

En 1957 la revue Visage de l'Ain (n° 57) publiait un manuscrit décrivant le glissement de terrain de Ballon, qui commença à 10 heures du matin le 28 février 1758, lequel éboulement emporta des terres du château, boucha totalement la Valserine et la mit à sec jusqu'à Bellegarde durant 8 heures !

 
Des maisons voisinent le précipice ! (Visage de L'Ain n° 39 de 1957, encart p. 20/21, et agrandissement)

Ballon eut son château médiéval, témoin l'actuelle Rue du Château. La mémoire orale relate encore ce passé où un puissant seigneur était synonyme de prospérité. Ainsi l'on évoque la Ferme dite du château, avec ses serrure et clé impressionnantes, la Rue du Champ de Foire et la présence de belles pierres taillées de remploi dans les habitations anciennes, sans oublier de présumés souterrains. Mais une question demeure : l'éboulement de 1758 fut-il responsable de la totale disparition du château. La transcription de 1957 est ambigüe : "Au-dessus du mont éboulé est une esplanade où étoit situé l'ancien Chateau de Ballon (dont on ne découvroit même avant la Chutte, que les vestiges fondamentaux)". Le 27 novembre 1688, noble Gaspard-Joseph Perrucard avait passé reconnaissance pour son château de Ballon, "à présent ruiné" [Foras, Armorial, Perrucard de Ballon, p. 386]. Il est donc évident qu'au moment du glissement de terrain, le château ne se composait plus que de vestiges, mais furent-ils totalement emportés pas l'éboulement, ou furent-ils épargnés sur une esplanade voisine ?

L'auteur mentionnait la source, le manuscrit 221 de la Bibliothèque Saint-Pierre de Lyon. Retrouver cet original semblait facile, il a néanmoins fallu les bonnes volontés de plusieurs personnes avant que de le retrouver dans une autre bibliothèque, à l'Académie des Beaux-Arts. L'original est plus complet (questions et réponses), mais sans nouveautés concernant le château (voir le texte intégral en fin de page).

 

Le château de Ballon

L'histoire de Ballon est connue par l'ouvrage dactylographié de F. Burdeyron et H. Tossan, publié en 1983. Retenons, concernant le château, qu'il apparaît dans le traité de partage de 1287 entre Humbert de Thoire-Villars et l'abbé de Chézery, qu'Humbert se réserve : château avec une enceinte externe formée par un premier fossé et une première ligne de défense. Il est ensuite fréquemment cité dans les comptes de châtellenie, pour des réparations ou travaux en bois (et non en pierre). On relève ainsi le remplacement de la grande porte tombant en ruine en 1361-62. La famille d’Avanchère (5 générations) fournit les châtelains de Ballon de 1392 à 1490, mais elle finira par ne plus habiter qu'à Vanchy (Bellegarde), le village familial. La dernière mention connue d'un châtelain occupant le château est au compte de de châtellenie de 1443-44. Philibert, Duc de Savoie, vend la seigneurie de Ballon à Perrucard en 1568.

La tabelle de la mappe sarde de Lancrans, confirme qu'en 1730, "De Ballon, Paul-François, noble", autrement dit Paul-François-Louis-Centaure Perrucard, demeure au château d’Avanchy (Vanchy), sans qu'il soit plus question de château ni même de maisons dont il soit propriétaire à Ballon. Tout juste y possède-t-il quatre parcelles de champs, pré et teppes, lieu-dit « Du Château de Ballon », pour une superficie d'environ 3 hectares, un grand four au village et un ensemble avec maison, moulin, battoir et scie (présumé à Métral).

Ballon (Ain)
Alors que le château d'Avansi (Vanchy) est mentionné (sur une autre partie), il n'y en a aucun à Ballon (vers 1730)

Ballon (Ain)
Aucun château ne figure non plus sur le plan de Durieu (1753).
Anciennement il était certainement situé au niveau du "l" du mot "Metral",
dominant la Valserine et surveillant la "Planche des Ottes (Oules)".

 

Cinq années après la publication de la carte de Durieu, lors de l'éboulement de 1758, il n'est plus mentionné du château que des "vestiges fondamentaux".

 

Localisation du château

Il ne fait aucun doute que le château se trouvait au bout du cul de sac actuel de la "Rue du Château", à l'ouest du vieux quartier nord du village. Les plans cadastraux actuels ont d'ailleurs encore conservé pour 5 parcelles (marquées d'un petit rond orangé) le toponyme de "Le Chateau". Mais les plans napoléoniens, préférables puisque plus anciens, intègrent aussi dans cette dénomination, au nord de la plus grande (n° 947 au cadastre actuel), la parcelle voisine (n° 281) dans laquelle débouche le chemin stoppé par l'éboulement de 1758, et c'est donc probablement dans cette dernière que fut construit le château dont la plus grande partie, au moins, était en bois.

Ballon (Ain)

Toutes les "vestiges fondamentaux" auraient donc été emportés dans le glissement de terrain. Remarquons qu'un château (carré rouge) situé au point le plus haut, devant un précipice et à l'ouest de maisons qui ne devaient pas gêner l'observation des environs, était à l'emplacement idéal, d'autant plus qu'il permettait de surveiller la Valserine (en bleu, au coin à gauche) et son point de passage ancestral, les Oules (hors de la figure, un peu plus au nord).

 

Étude locale (par Jérôme Rousselle, géomètre aux Carrières FAMY)

On croit pouvoir retrouver le lieu du glissement de terrain, à l'emplacement des lignes de niveaux déformées, en creux, sur une hauteur de plus de 100 mètres (de 412 à 520 mètres).

Ballon (Ain)
En rouge, une suggestion de courbure inversée des lignes de niveaux actuelles
en lieu et place de l'éboulement (G. Lancel)

Ballon, dont les carrières FAMY se trouvent à proximité (voir les deux mentions "Carr." en haut de la carte ci-dessus) se trouve évidemment sur un site géologique exceptionnel, une moraine fluvio-glaciaire (provenant d'un ruisseau de fonte).

C'est une manifestation géologique assez singulière (et profitable pour FAMY). C'est à dire que le sol est composé d'Argile, Sable et Gravier depuis le Pré-Seigneur (lieu-dit à droite de la carte ci-dessus) jusqu'au niveau de La Pierre, où l'on retrouve un soubassement rocheux (mais de mauvaise qualité). Il y a en surface un premier un mélange d'argile et de sable, les argiles étant progressivement remplacés par des graviers au fur et à mesure que l'on s'enfonce. En dessous de 50 m de profondeur on trouve principalement des galets, les "fines" ayant quasiment disparu.

Pour la bute de Ballon, il est probable que les 10 premiers mètres étaient constitués de "sablon", un mélange de sable et argile compacté, comme à la carrière. C'est suffisamment résistant pour bâtir dessus et cela peut tenir quasiment à la verticale, mais ce sablon s’érode rapidement quand il est exposé à l'eau.

Dans l'enceinte de la carrière, on a la source de Rougeland qui est la principale alimentation du ruisseau éponyme. Il pourrait être le coupable ! La correspondance faite avec le tremblement de terre est intéressante, il faudrait voir si la faille du proche Vuache avait bougé à ce moment-là, puisqu'elle file sur le Sorgia. Je suis assez étonné des connaissances géotechniques de l'auteur, pour les années 1750 c'est remarquable !

Le cône d'éboulement dans la Valserine a dû se produire au niveau du moulin Convert, en aval de Métral.

 

Mss 221

Voici le texte intégral du Ms 221, folios 79-80.

Memoire pour répondre aux questions posées par Messieurs de l'academie des Beaux arts, au sujet de l'eboulement du mont de Balon [de la main du secrétaire (Bollioud-Mermet) : N° 1270]

 

Art. 1er. On demande une description du local,

Le mont qui s'est eboulé formoit un vallon assez rapide garny de broussaille de hetre scitué a une demy lieüe du commancement du mont jura [soit 2,2 km des premières pentes du Sorgia] : au dessus du mont eboulé est une esplanade ou etoit scituée l'ancien chateau de Ballon (dont on ne decouvroit même avant la chutte, que les vestiges fondamentaux), le village portant le même nom existe depuis des tems fort reculés a la distance de vingt huit toises [56 m] de la place en ruine du chateau.

Art. 2. Qu'elle est a peu pres la hauteur du mont,

On compte depuis le bas jusques au haut du mont, qui se trouve par le moyen de l'eboulement, en ligne perpendiculaire, trois cent pieds [100 m], et cent soixante toises [320 m, probablement 160 mètres de part et d’autre du cul de sac de l’actuel Chemin de Château] de largeur,

Art. 3. A quelle distance il est de la riviere,

Depuis la sommité du mont formant une pente jusques a la riviere l'on compte six cent toises [1,2 km, ce qui semble exagéré du double, ce serait la distance pour arriver au Pont des Oules !].

Art. 4. S'il y avoit un replat depuis le mont a la riviere,

Il y avoit un replat de peu d'etendüe depuis le mont a la riviere situé au dessus d'un petit ruisseau [le Rougeland], au bord duquel etoient quelques arbres chênes, noyers, &c,

Art. 5. Si ce sont des rochers, mottes de terre ou gravier qui sont tombés,

[f. 79v] Le terrain qui est coulé est un sable gravelleux et terre glaise, de sorte que l'on ne voit sur la superficie <que> de la ligne perpendiculaire, que sable et gravier, sans rochers ni pierres.

Art. 6. Si ce sont les fontes de neiges, fentes de glace, torrent, feux sous terrain, ou tremblement qui peuvent avoir occasionné l'eboulement,

Voicy un article qui est veritablement digne d'etendre les recherches de messieurs les academiciens et qui merite leur attention. Dans le tems du tremblement de terre general qui suivit de pres la ruine deplorable de lisbonne, le village de Ballon ressentit quelques secouses qui donnerent le jour <qui> a des sources qui n'avoient jamais parües, et qui sortirent en plusieurs branches au bas du mont eboulé; ces sources ont sappé le terrain par intervale et en ont conduit quelques parties dans la riviere. Il y a eû une interruption de chutte pendant quelques mois avant que la grande se soit declarée, cet espace de tems n'a servy qu'a detacher par des ouvertures et crevasses considerables dans le dessus, le mont eboulé, l’on presume que l'hiver ayant eté des plus rigoureux et les grandes gellées ayant bouché l'issüe des sources qui n'etoient pas assez fortes pour conserver leurs cours, mais qui neantmoins ne se sont point endormies dans la partie interieure du terrain qui formoit leur lit, qu'au contraire elles s'en sont faites de nouveaux serpentant en plusieurs lignes tortueuses, s'etant formé un reservoir abondant sous terrain, elles n'attendoient sans doute que le moment du degel pour sortir avec impetuosité, voicy les circonstances de l'evenement,

[f. 80r] Art. 7. Quel jour, qu'elle heure du jour ou de la nuit il est arrivé, si c'est avec un bruit effroyable tout a coup, ou lentement,

Le vingt huit fevrier mil sept cent cinquante huit, a dix heures du mattin, on entendit des bruits a plusieurs reprises comme des coups de tonnerre et qui amennerent à chaque reprise quantité de pierres et gravier mellé d'eau dans la riviere. Sur les onze heures et demy survint le grand eboulement qui se fit avec beaucoup moins de bruit que ceux qui l'avoient precedé, mais avec un air si viollent que des bergers gardants leurs moutons etant eloignés de l'eboulement du côté du septentrion de plus de trente pas [30 m] furent transportés eux et leur troupeau par un tourbillon, a huit ou dix pas sans aucun autre mal que la peur, les habitants de Ballon entendirent alors des bruits comme des coups de canon par dessous leurs maisons.

Art. 8. S'il a comblé le lit de la riviere et quel espace il a occupé,

La riviere dans l'endroit de la chute, coule assés rapidement entre deux rochers qui de part et d'autre peuvent avoir trente pieds [10 m] de hauteur. Sa largeur dans le même endroit est de cent septente trois pieds [58 m], son lit fut entierement comblé dans l'espace de deux minuttes et le terrain s'etendit deux cent cinquante pas [250 m] en remontant et trois cent cinquante [350 m] en descendant, ce qui arrettat le cours de la riviere pendant huit heurs, elle fut tottalement a sec jusques a son confluent [avec le Rhône, à Bellegarde], de sorte que l'on prit tout le poisson qui se trouvat alors privé de son element vivifiant.

Trois edifices composés de moulins batis en pierres, scie et battoir eloignés du lieu ou le terrain se precipitoit, de deux cent cinquante pas [250 m (moulins de Métral)], furent engloutis, de sorte que, la tempete finie [f. 80v] on ne reconnoissoit pas même la place ou ils etoient construit, l'on pretend que la force de l'air ne contribua pas peu a cette destruction, la riviere que nous avons dit être assés rapide format au dessus [en amont] du remplissage une espece de lac très tranquille et l'eau remontat jusques a ce qu'elle eû atteint le niveau du terrain eboulé, alors cherchant a s'ecouller elle forcat une si terrible digne et serpentat long tems avant que de se former un nouveau lit qui s'est agrandy peu a peu par les crües d'eau, l'on espere que par sa rapiditée etant plus resserrée qu'a son ordinaire, les traces d'un evenement aussy rare seront efacées dans moins d'un mois, il regne encore dans les coeurs malgré cette consolation beaucoup de craintes pour l'avenir les decombres de l'eboulement etant bien plus considerables que ce qui est tombé, et composés d'un sable et gravier mouvant et les sources subistant toujours.

L'on ne presente a Messieurs les academiciens ce detail que comme un marbre brut que l'on met entre les mains d'un habile sculpteur, auquel il donne par l'etendüe de son scavoir <et de son habileté> une figure parfaite.

La toise dont on a parlé cy dessus est composée de six pieds [donc française, et non savoyarde de 8 pieds] et le pied de douze poulces, le pas est le même que le pas geometrique.

La riviere dont on a parlé s'apelle de semine.

Le mont Ballon en Bugey Paroisse de Chatillon de Michaille

 

[Registre de la Société royale, 7 avril 1758]. [en marge : 1270]. M. l’abbé de Valernod a communiqué à l’académie une relation qui luy a été envoyée de Bugey, de l’éboulement d’une montagne apellée Balon, scituée dans une province près la paroisse de Châtillon de Michaille, à une demi lieuë du mont Jura. Cette relation contient une description du local, & des circonstances détaillées de cet événement./

[Note du transcripteur : le texte est d’une main inconnue, l’auteur demeurant dans le Bugey, ce n’est donc pas l’abbé de Valernod qui l’a rédigé].

Conventions de transcription : nous avons respecté la graphie originale, sauf les majuscules, d’ailleurs pas toujours faciles à identifier ; rien n’est souligné dans le texte original, les italiques et le gras du titre sont de nous ; la mention <...> désigne une partie barrée dans le manuscrit].

[Conversion des distances par Ghislain Lancel, sur le base d’une lieue (terrestre) de 4,4 km, et d’une toise de 2 mètres, divisée en 6 pieds].

Autre mention par Brossard (1851)

Un siècle plus tard, en 1851, Joseph Brossard, repris cet éboulement dans son "Histoire politique et religieuse du Pays de Gex et lieux circonvoisins depuis César jusqu'à nos jours", toutefois en y ajoutant quelques données inédites (lieu-dit la Râfe, effet ressenti jusqu'à Chézery, et affirmation que l'ensemble du château et de ses dépendances furent emportés dans l'avalanche) (p. 530/531).

"Le vieux château de Balon était bâti sur une haute éminence sablonneuse, derrière la croupe du Credo. Il dominait le lit profond de la Valserine et semblait commander à toute la Michaille ; par son haut donjon et ses gracieuses tourelles, il attirait l'attention des voyageurs qui suivaient la route de Nantua à Genève.

Depuis quelque temps cet antique châtel faisait présager sa fin. L'infiltration perpétuelle des eaux avait miné la masse de sable qui le portait ; le sol délayé s'affaissait sur lui même ; ce n'était plus qu'une montagne humide, liquéfiée, qui allait s'écrouler.

Le 28 février 1758, entre dix et onze heures du matin, la montagne glissa sur sa base ; château, terres, jardins et murailles, se précipitèrent dans la Valserine et au delà. Cette avalanche de sable fut accompagnée d'un bruit terrible, semblable à celui du tonnerre. Le moulin de Métral fut anéanti et le cours de la rivière suspendu pendant quarante-huit heures. Il fallut se hâter d'ouvrir un passage à ses eaux dont le reflux se fit sentir jusqu'à Chézery.

Les pans inclinés de ces coulées de sable forment aujourd'hui un vaste amphithéâtre que l'on saisit très bien dans son ensemble depuis la route de Genève ; il porte dans le pays le nom de Râfe de Balon. Ce n'est plus qu'une solitude stérile, désolée, parcourue par quelques filets d'eau limpide qui vont se perdre dans la Valserine."

 

Additif : Matthieu de la Corbière, plaçait le château sur l'éminence (alt. 520 m) située de l'autre côté des maisons, et ses ruines n'auraient donc pas été emportées par l'éboulement de 1758 [Tardy, Bellegarde, t. 1, p. 187].

 

Publication : Ghislain Lancel. Remerciement : Michel Blanc (Informations sur l'éboulement publié dans Visage de l'Ain) ; Pierre Crépel (Université Lyon I), pour la recherche à Lyon du document original et sa transcription ; Jérôme Rousselle. Sources photographiques : SHD, J10 C1563 (réduction de la mappe sarde) et J10 C791 (Durieu, en 1753).

Première publication, le 21 septembre 2016. Dernière mise à jour de cette page, le 20/10/16 (ajout Brossard), et le 05/07/2017 (château ruiné en 1688).

 

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