Où les contrebandiers rencontrent quelquefois des douaniers (1903)
| Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
La Marie du Jura est une grotte située sur le GR de grande randonnée du Jura, entre Menthières et le Reculet, à 2 km au sud de ce sommet (mention sur les cartes IGN).
Cette carte-postale est particulière, d'abord parce qu'elle est signée de la main de Charles Jolivet, l'un des premiers photographes du pays de Gex, curé de Péron. Le second fait marquant est que le photographe nous apprend que cette grotte était encore en 1903 un lieu de rencontres occasionnelles entre contrebandiers et douaniers : "Grotte Marie du Jura où les contrebandiers rencontrent quelquefois les douaniers, Péron le 7 avril 1903".
Les écrits sur ce site sont nombreux. En voici un qui relate cet échec d’une mystification bien préparée avec pour acteurs des croyants et des athées (et non des douaniers et des contrebandiers !)
"Dans une partie rocheuse se dressant à 1684 mètres d’altitude, se trouve une grotte tournée vers l’ouest et dominant la vallée de la Valserine. Elle est sur le tracé du GR 20, à la limite des trois communes de Saint-Jean de Gonville, Thoiry et Chézery. Elle reçoit la visite de nombreux promeneurs qui y accèdent par un étroit sentier au flanc d’une pente raide. Sur le gros rocher de l’entrée, on peut lire des inscriptions, de même qu’à l’intérieur de la grotte, sous une statue de la Vierge. Beaucoup s’interrogent sur la véracité de ces inscriptions, surtout si l’on prend le temps d’observer le lieu, l’accès très raide et la difficulté de se procurer de l’eau. En hiver, tout est aggravé par le froid et la force du vent d’ouest apportant pluie et neige. Même en été il fait très frais au fond de la grotte.
En 1810, une tradition incertaine évoquait un ermite se retirant dans ce lieu épisodiquement pour prier et jeûner. La Révolution de 1789 a vu la religion catholique fortement remise en question. À cette époque, Saint Roland, ancien curé de Chézery, est l’objet d’un culte religieux important (il est toujours fêté le 14 juillet). Certaines personnes voudraient contrebalancer cette influence, en particulier le forgeron athée Jean Nouvelle, habitant Massonnex (commune de Thoiry). En été, il est amodieur et loue le pâturage de La Polvète situé côté Saint-Jean de Gonville. Imaginatif et aidé de deux tailleurs de pierre, il agrandit l’ouverture de la grotte et sur le rocher du fond, sculpte grossièrement une femme agenouillée priant devant une croix et une statue de la Vierge (on ne sait si l’actuelle statue date de cette époque). En dessous d’un soleil, est gravée l’inscription suivante : « A Dieu/Et à la Nature/Vous tous, amodieur/Présens et pour la vie/Adorez le Sauveur/Priez Sainte Marie/1811. » On peut également voir un cœur, un compas et une équerre imbriqués l’un dans l’autre (insigne des Compagnons).
Afin de rendre plus plausible leur projet, ils font du gros bloc de l’entrée un monument funéraire sur lequel ils écrivent : « Ci-gît Marie du Jurad/Qui a vécu ici près de dix ans/Ygnorée sous ce rampard/Nature est son monumens/Morte en 1211. » Les trois compères espéraient que ces aménagements et ces inscriptions deviendraient l’objet d’un culte et d’un pèlerinage. Alors, ils révéleraient la supercherie, se moquant ainsi de la religion catholique. Mais leur projet a piteusement échoué, tandis que les pèlerins continuaient à honorer Saint-Roland.
Comme souvent dans ces cas-là, la croyance a subsisté et a ainsi donné son nom à ce lieu. La statue de la Vierge, présente au fond, est régulièrement fleurie de fleurs sauvages."
La Vierge a été détruite. Reste une idée de très belle randonnée !
Additif (17/07/14) : L'ancienne Vierge avait été descellée et volée. Dans les années 1980, les spéléos Bellegardiens en avaient remis une nouvelle (don de M W.Wanhout, restaurateur de meuble et membre du club à l'époque). Quelques temps après, lors de l'exploration du gouffre du Berger sur la commune de St Jean de Gonville, nous avions retrouvé l'ancienne statuette au fond du trou [Th. Tournier].
Additif (07/10/16). La lecture de la Notice sur Saint Lambert et Saint Roland, abbés de Chézery en Jura (...), publiée en 1834, par M. Depéry, vicaire-général du diocèse de Belley (pp. 22-23), nous apprend qu'initialement cette grotte aurait été appelée "Chapelle à Roland", et que c'est le culte de ce saint que le manipulateur avait voulut affaiblir !
"Il existe, sous le nom de Chapelle à Roland, une grotte au sommet de la montagne du Jura, tout près du chemin étroit de Languelieret qui sert de communication entre la vallée de Chézery et le pays de Gex ; on y parvient par un sentier escarpé, au bord duquel est un précipice effrayant. Cette grotte a son ouverture du côté du couchant et regarde Chézery ; une tradition vague et incertaine dit qu'elle a été fréquentée par saint Roland, qui s'y retirait pour prier et pour se livrer au jeune et à la pénitence" [Depéry, Notice sur St-Lambert..., 1834, p. 22].
La Marie du Jura a inspiré aussi les artistes !
Publication G. Lancel. Crédit photographique : Gaëtan Noblet (carte Jolivet et lithographie). Recherches historiques : Michel Blanc (dont la photo de situation fléchée), Jean-Pierre Fillion et Roger Fillion (dont la photo de la Vierge), Thierry Tournier.
Première publication, le 16 juillet 2014. Dernière mise à jour de cette page, le 21 mai 2019.