Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Maison forte et histoire de Méral (Eloise, Haute-Savoie)
(citée dès le XIVe siècle)

 

Les maisons fortes ou maison fortifiées étaient des édifices à vocation militaire défensive signalées dans les textes à partir du dernier tiers du XIIe siècle. C'était aussi le siège de seigneuries.

De la maison forte de Méral (commune d'Eloise, Haute-Savoie), il ne reste de visible qu'une base de mur. Toutefois des fouilles réalisées de 1983 à 1985, sous la direction de Bernard Demotz et de son fils François, professeur à l'Université Jean Moulin de Lyon III, ont permis d'en préciser les contours. Cette maison forte se trouvait derrière l'actuelle maison Tossan, en un lieu stratégique, non loin de ponts sur le Rhône, de ces passages obligés et des routes y menant. On ne confondra pas la maison forte et le fort de Méral.

 

maison forte et fort de Méral (Eloise)
Méral (Eloise). Au bas, en jaune l'ancienne maison forte (n° 1067),
derrière l'habitation en rouge (1068)
[Mappe sarde, vers 1730]

Histoire de la seigneurie de Méral

L'histoire de la seigneurie de Méral (Mérard) depuis le début du XIVe siècle, ainsi que celle de l'éphémère Fort de Méral, ont été publiées en août 1981 par F. Burdeyron et H. Tossan, dans le tome 56 de la collection Histoire de la Semine (page 18 bis et suivantes), ouvrage spécifiquement consacré à Eloise au temps féodal.

Résumons. Le témoignage le plus ancien, qui toutefois ne mentionne pas Méral, provient d'Odon II de Vaudrey, abbé de 1304 à 1314 de St-Claude (Jura) qui, désirant mettre fin au relâchement des redevances dues aux moines sur les fiefs de son abbaye, fit la tournée des vassaux (entre 1307 et 1314) et consigna les reconnaissances obtenues dans un cahier en parchemin, dit le "Livre d'Or" (conservé, incomplet, aux AD 39), cahier rédigé en vieux français. Il en ressort qu'Eloise (en Semine) avait donc appartenu à l'abbaye (en tant que terres jadis défrichées par les moines) et relevait désormais pour six parties du Comte Amedée II de Genève, ce dernier ayant acquis ces fiefs en 1295 de Gilles d'Arlod (sans toutefois en avoir toutes les feates, c'est à dire toutes les fidélités, des vassalités subsistant envers Thiebaud d'Arlod). François Burdeyron présume ensuite que, de la liste des six, "Guichard fils" était le seigneur de Méral (p. 19). Passons rapidement sur les seigneurs suivants : Verboud, Ramus, Gerbais, etc., (voir l'ouvrage cité et la liste récapitulative p. 50). Retenons que, trois siècles plus tard, par saisie des biens par des hommes d'affaires suisses sur des héritiers Reydelet, la seigneurie est vendue, le 25 janvier 1612, à Charles-Emmanuel de Perrucard, seigneur de Ballon (Ain). Finalement, par volonté testamentaire, la seigneurie de Méral passera aux Regard de Morgenex, qui la garderont jusqu'à la Révolution.

Quelques confirmations par des notes nouvelles (GL)

1586 (7 janvier, Seyssel). Damoiselle Claudine de Gerbais, veuve de Noble et spectable Seigneur Françoys de Ramus, quand vivait seigneur de Méral, et leur fils Noble Claude Anibal de Ramus, donnent quittance générale pour 1.700 florins, prix de vente de la seigneurie, terres et biens de Méral à Messire Aymé de Gerbais, seigneur de Sonnaz et dudit Méral, (...) capitaine de 300 hommes d'armes [AD74, 1J43].

1613 (du 6 au 10 mars). Visite de lieux sur le Chemin des Espagnols (dans l'Ain) : "Messire Gabriel Rendu, châtelain dudit Ballon, Avanchy, Méral et Cusinens, au nom desdits habitants, nous auroit prié et requis vouloir aller sur les lieux afin d’y procéder à ladite sommaire à prise..." [AST, Inventorio 3, mazzo 2, articolo 20].

1633. Noble Seigneur "Pierre de Ballon", baron dudit lieu, Seigneur d’Avanchy, Léaz, Méral, Cusinens, Baumont [Beaumont-en-Semine], etc., économe pour son Altesse de Savoie de l'abbaye de Chézery, prélèvera les frais de construction d'un dortoir et d'un plafond à l'église abbatiale sur les revenus de l'abbaye. Pierre de Ballon n'est autre que Pierre de Perrucard, baron de Ballon (Ain), fils de Charles-Emmanuel (frère de Louis de Ballon, abbé de Chézery de 1601 à 1616) et de Jeanne de Chevron [AD01, 3 E17050, ff° 15-19v (Registres de Louis Faure)].

1730. Sur la mappe sarde d'Eloise (voir en haut de page), la position de l'ancienne maison forte est celle de la parcelle 1067, voisine de la n°1068 de l'actuelle maison Tossan, le tout en bordure de la vaste parcelle 1029 (dont le fort occupait à l'opposé la parcelle incluse 1065) [AD74, 1Cd293 (Eloise)]. Sur la tabelle de la mappe, la parcelle 1067, celle de l'ancienne maison forte, n'est plus dite qu'un "jardin" du mas "Bornerin" (parfois noté Vornerens, mais jamais Méral !), de 443 m², appartenant au seigneur de Ballon [AD74, 1cd1364]. La parcelle voisine, n° 1068, est la "maison et grange" de 408 m², des même mas et même propriétaire. Ce seigneur de Ballon est Paul-François-Louis-Centaure Perrucard, fils de Gaspard-Joseph (né vers 1679, mort sans lignée avant août 1755). Il possède alors 63 parcelles à Ballon, totalisant, suivant les calculs en ligne des AD74, une surface de 72 ha 99 a (soit à peine 1/10e de la supercie actuelle de 895 ha) répartie en divers mas (Bornerin, Fiolaz, Gruet, Cugnière, Pont de Grésin, Mouille Sulaz, Sur le Crêt, etc.), avec une répartition agricole composée de 28 ha de champs, 19 ha de prés, 11 ha de bois, 9 ha de broussailles, une grange, une maison et un jardin, une vigne.

1753 (Plan de Durieu). Curieusement, "Meral à Mr de Ballon" est situé côté nord du cul-de-sac y donnant accès !


Meral [AST, Inv. 3, Maz.1 (Durieu 1753)]

Fouilles de l'ancienne maison forte (1983/85)

Des compléments archéologiques furent apportés après la publication de l'ouvrage cité. Les sondages et relevés des fouilles de 1983 (du 10 au 25 septembre) et de 1984 (du 10 au 22 septembre), effectués par de jeunes étudiants de l'Université Lyon III, furent complétés par l'étude de 1985. Rappelons que cette maison forte se situait derrière l'actuelle maison Tossan.

En 1983, une série de sondages de 2x2 m et l'un de 5x5 m, sur 20 à 40 cm de profondeur, ont mis à jour une cour pavée de petits galets assez sommairement placés (située au sud du bâtiment, ainsi qu'un puits). Cette cour semble un carré imparfait d'un peu plus de 15 m de côté. Du bâtiment il subsiste un mur de 70 cm d'épaisseur, en galets, peu homogènes par leur taille et mal appareillés. Une porte avait été démurée par les propriétaires. Les sondages ont permis la découverte d'un mur perpendiculaire à celui existant, de même épaisseur, long de 13 mètres (épais de 60 cm) et enfoui sous 50 à 100 cm de terre. Un mur épais (180 cm) semble exister en prolongement de celui encore debout. Cet ancien bâtiment, situé en un endroit stratégique, est bien une maison forte.

Le rapport de 1984 précise que le nouveau mur (nord) est constitué de galets (de 10 à 20 cm), sauf en son milieu où un gros bloc taillé rectangulaire est cimenté perpendiculairement à la direction du mur. Ce mur se termine en angle droit à chaque extrémité. Le mur situé à l'est est aussi de 13 m sur 70 cm d'épaisseur, mais il est constitué de galets reposant sur une fondation en pierres rectangulaires relativement plates. Deux grosses pierres taillées en beau calcaire blanc faisaient certainement office de seuil de porte, mais des encoches attestent certainement que ce furent des pierres de remploi, pouvant d'ailleurs provenir du site romain tout voisin. Le bâtiment avait donc une superficie de 170 m². Le matériel archéologique relevé se compose de nombreux tessons de céramique, la plupart du XIXe siècle. Mais des briques de sol semblent médiévales et des tuiles de modèle romain ont été découvertes. Un silex du paléolithique, pointe de flèche taillée par éclats, a été trouvé, dans des remblais anciens.


Représentations du silex, jointes au rapport de 1984

L'étude complémentaire de 1985 précise que cette maison forte ruinée fut remplacée en 1612 par une grange, ou ferme. L'étude est compliquée par le remploi de tous les matériaux qui furent alors prélevés (et l'environnement bouleversé). L'étude de l'intérieur du bâtiment a révélé la présence d'une cheminée, parallèle et isolée distante de deux mètres du mur sud, témoignant ainsi d'une grande salle de réception chauffée. Une petite salle, petit salon ou cuisine [ou escalier], a été mise en évidence à proximité de la cheminée. A l'extérieur, les arbres et l'habitation actuels ont limité les recherches.

Maison forte de Méral

Maison forte de Méral
Plans joints au rapport F. et B. Demotz de 1985

 

Publication : Ghislain Lancel. Remerciements : Hélène Tossan.

Première publication le 29/11/17. Dernière mise à jour de cette page, le 7/12/17.

 

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