Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
La visite pastorale de 1443 est la troisième connue à Champfromier pour le XVe siècle. Trop âgé, François de Metz, évêque de Genève, avait confié les visites de son diocèse à Barthélemy Witteleschi, évêque de Corneto, dit-on.
En ce 31 juillet 1443, la paroisse de Champfromier compte 40 feux, soit 4 de plus que 30 années auparavant, ce qui traduit une belle progression de la population (ou un repeuplement après la grande peste de 1348, dont nous ne savons rien pour Champfromier). On verra ensuite que cet accroissement de la population de la paroisse de Champfromier se poursuivra et même s'accelerera durant encore deux siècles. Le revenu de la cure a doublé pour atteindre 30 florins. Pourtant il est enjoint aux paroissiens de fournir de sérieux efforts financiers ou travaux : achat d'un voile blanc de soie pour l'eucharistie, d'une lanterne et d'une cloche pour la porter aux malades, réalisation d'un gradin sur l'autel et d'une nouvelle bannière, achèvement des murs de la nef jusqu'au toit et blanchissement des murs intérieurs, etc. Cette mention de l'achèvement des murs surprend, car il n'avait jamais été évoqué depuis 1411. Par ailleurs on sait que la cloche datait de 1350 environ. L'église fut-elle inachevée durant un siècle (pour cause de peste ?)
Tout serait-il donc en voie de perfection ? Non, car on apprend que Messire Etienne Mogonat, le curé qui pourtant réside enfin sur place, est un "suppôt de taverne", au point que lors de la dernière Fête du Saint-Sacrement (Fête Dieu, 60 jours après Pâques) il "fut si saoul qu'il lui fut totalement impossible de chanter les vêpres". Il est donc condamné à huit jours de prison à l'évêché de Genève. Mais il demanda pardon, et moyennant deux florins qu'il paya réellement, il fut absout et quitte.
Un point encore, voulu par l'évêque, est la réalisation avant Noël d'un inventaire des biens de l'église. Celui-ci ne figure évidemment pas dans le présent compte-rendu, mais il sera bien réalisé et il est intégralement publié dans l'Histoire de Champfromier (pp. 27-32), détaillant les meubles de l'église, la cure près du cimetière (et non de l'église), les terres et servis (avec de nombreux noms de lieux et de familles).
La lecture de la visite pastorale de Montanges n'est pas sans intérêt. D'abord on y découvre qu'à cette occasion, quatre hommes y furent ordonnés clercs, un Julian de Champfromier, un Antoine fils de feu Pierre Mermet de Montanges (de la future branche Mermety ?), et deux autres dont un homme de Samoëns né d'un moine et d'une femme mariée... On y apprend surtout que le vicaire de Montanges est convaincu d'avoir été présent dans les tavernes en compagnie de laïcs, qu'il joue très souvent dans la cure à des jeux de hasard avec des dés, pire qu'il est blasphémateur. Ne l'a-t-on pas entendu dire publiquement dans le cimetière : "Je renie Dieu si je ne tue pas mon oncle le curé de Champfromier". Aussi est-il mis aux prisons épiscopales pour un mois, au pain et à l'eau, avec interdiction de desservir, tandis que le curé de Montanges est prié de présenter un vicaire idoine...
"Le dernier jour de juillet [1443]. Champfromier
Le susdit seigneur visiteur visita l'église paroissiale de Champfromier, sous
le vocable de Saint-Martin, à la présentation du prieur de Nantua, assure-t-on,
ayant 40 feux et valant 30 florins annuellement
en revenus, dont le curé est messire Etienne Mogonat [Lire : Morovat],
résidant personnellement, et vus les défauts étant dans l'église, il enjoignit
aux paroissiens de réparer ces défauts comme suit, à savoir :
Premièrement ils feront et achèteront un voile blanc de soie qui sera tenu continuellement et porté sur le corps du Christ, avant Noël.
Ils feront un gradin de bois sur l'autel et des chandeliers pour l'autel et achèteront une nouvelle paix et une lanterne à l'usage du corps du Christ, comme ailleurs, avant Noël.
Avant Pâques ils achèteront un pallium devant l'autel et une cloche pour le corps du Christ.
Avant les jours des rogations ils feront une nouvelle bannière.
Avant un an il feront un manuel neuf et feront relier le lectionnaire, sur le conseil du curé.
Avant Noël ils éliront des procureurs et feront un inventaire comme ailleurs, à la confection duquel concourra le curé sous peine de 10 livres à affecter etc.
Avant un an et demi ils achèveront les murs de la nef de l'église jusqu'au toit, tout autour, et ces murs, ils les enduiront à l'extérieur et blanchiront tout le chœur et la nef à l'intérieur et feront une image du patron sous l'avant-toit.
Ils achèteront l'huile pour la lampe du corps du Christ selon leurs facultés, comme ailleurs.
Et comme le curé fut trouvé, par de légitimes preuves, être un continuel jureur
de notre seigneur Jésus-Christ, en jurant par le corps et le sang du Christ
de la manière la plus honteuse, et être un suppôt de taverne au
point que le jour de la fête du corps du Christ il fut si saoul qu'il
lui fut totalement impossible de chanter les vêpres et de dire les offices,
au mépris des choses divines et encourant la dérision du peuple, faits qu'il
reconnut lui-même, le seigneur visiteur, selon la forme des constitutions, le
condamna aux prisons de l'évêché de Genève, pour huit jours. Enfin demandant
instamment pardon pour les fautes commises, il reçut d'abord une pénitence salutaire
et composa à deux florins pour les aumônes du seigneur de Genève, qu'il paya
de sa main, et il fut absout et quitte [En marge : Il a payé]."
[Montanges]
Le dernier jour de juillet [1443]. Le susdit seigneur visiteur visita l'église paroissiale de Montange sous le vocable de (...) [(70 feux, 80 livres, etc.)...] Ordinations. Clercs.
Claude [CI-10687], fils de Pierre Julian, de la paroisse de Champfromier
Antoine, fils de feu Pierre Mermet de la paroisse de Montanges
Guy, fils d'Etienne Boglet, de la paroisse de Montanges.
Pierre Aymon de la paroisse de Samoëns, né d'un moine et d'une femme mariée,
qui reçut une dispense lors de la première tonsure par le seigneur visiteur,
et il paya pour l'acte 12 gros.
En vérité, comme le vicaire [neveu d'Etienne Mogonat], par de légitimes preuves et par son aveu, après avoir prêté serment, fut convaincu d'avoir fréquenté les tavernes avec des laïcs et y avoir publiquement juré et nié Dieu avec des cris, et dans la cure avoir très souvent joué avec des laïcs à des jeux de hasard avec des dés et d'avoir dit publiquement dans le cimetière : « Je renie Dieu si je ne tue pas mon oncle le curé de Champfromier », et aussi d'être un jureur et blasphémateur de Dieu, le seigneur visiteur, selon la forme des constitutions synodales, condamna le dit vicaire d'abord à 15 sous de Genève et aux prisons épiscopales pour un mois, au pain et à l'eau, à compter du 17 du présent mois, sous peine de suspension et de 25 livres, et parce qu'il se montrait scandaleux, querelleur et odieux pour ses paroissiens, et qu'une fois il remit à plus tard de donner le baptême, il lui interdit de desservir dorénavant la cure, sous les mêmes peines, à compter du même jour, à savoir le 17 du présent mois, demandant enfin au curé du lieu, en la personne de son vicaire, de présenter, avant ce délai, un vicaire idoine, devant le seigneur cardinal ou le visiteur lui-même, sous les mêmes peines. De cela, messire le procureur demanda des lettres testimoniales qui furent réclamées à Guillaume son clerc, en présence de messire Luc Pasqual, chanoine de Corneto, et de Raoul Alaman et d'autres."
Copie à partir du microfilm 2Mi 72 d'après AD 74, 1G 98.
[F° 160] "Die ultima julii. Campusfromerius.
Supradictus dominus visitator, visitavit parrochialem ecclesiam de Campofromerio,
sub vocabulo sancti Martini, ad presentationem prioris Nantuaci, ut asseritur
habentem focos XL et valentem florenos XXX annuatim in portatis, cujus curatus
est dominus Stephanus Mogonati [Lire : Morovati] residens
personaliter ;
et visis defectibus in ecclesia existentibus injunxit parrochianis ut defectus
ipsos reparent ut sequitur videlicet.
Primo faciant et emant unum velum album de sirico quod continuo teneatur et
portetur supra corpus Christi infra kalendas.
Item faciant unum scabellum ligneum super altari et candelabra pro altari emant
pacem novam et unam laternam ad usum corporis Christi ut in aliis infra kalendas.
Item infra pasca emant unum pallium ante altare et campanam pro corpore Christi.
Item infra dies rogationum faciant novum confalonum.
Item infra annum faciant manuale novum et faciant religari legendarium de consilio
curati.
Item infra kalendas eligant procuratores et faciant inventarium ut in aliis
ad quod conficiendum concurrat curatus sub pena X librarum applicandarum etc.
Item infra annum cum dimidio compleant muros navis ecclesie usque ad tectum
circumcirca et ipsos muros ab extra imbuctient et dealbent totum chorum et
navem ecclesie ab intus et faciant imaginem patroni sub antitecto.
Item sumptuent oleum pro lampade corporis Christi juxta eorum possibilitate ut in aliis.
Et quia curatus per legitimas probationes repertus est esse continuus dejerator
(dévorator) domini nostri Jesu Christi turpiter jurando per corpus et sanguinem
Dei inhonestissime ac esse tabernarius in tantum quod in die festivitatis
corporis Christi fuit adeo ebrius quod nullo pacto poterat cantare vesperos
nec dicere divina in vilipendium divinorum et derisionem populi incurrendo ; Que
(quia) omnia ipse est confessus, dominus visitans juxta formam constit.
(consuetam) eum condamnavit ad carceres Gebenn(enses). episcopatus, per
dies octo. Tandem ipse veniam de comissis exposcens, habita primum
penitentia salutari, composuit ad florenos duos pro elemosinis (elecmotynis)
domini Gebenn(ensis), quos manualiter absolvit et absolutus et quictatus
fuerit (fuit)[En
marge : solvit].
[Montanges]
[F° 160v] Eadem die ultima julii.
Visitavit parrochialem ecclesiam de Montangium, sub vocabulo (...)
Ordines.
Clerici.
Claudius filius Petri Juliani parrochie Campifrumerii
Antonius filius quondam Petri Mermeti parrochie Montangii
Guigo filius Stephani Bogleti? parrochie Montangii
Petrus Aymonis parrochie de Samoens natus ex monaco et cojugata cum quo ad primam tonsuram fuit dispensatum per dominum visitantem et solvit pro littera XII grossos.
Verum quia dictus vicarius per legitimas probationes et suam confessionem sub juramento prestito factam convictus est frequentare tabernas cum laicis et in eisdem publice dejerendo? et negando Deum cum clamoribus et in domo cure sepius lusisse ad aleas? cum taxillis cum laicis quodque in cimiterio publice dixit nego Deum nisi interficiam avunculum meum scilicet curatum Campifromerii et etiam quod est quasi dejerator? et blasffemator Dei dominus visitans juxta formam constitut. sinodalium ipsum vicarium condamnavit primo ad XV solidos geben. et ad carceres episcopales per unum mensem in pane et aqua incipiendo die XVIIa presentis sub pena suspensionis et XXV librarum et quia erat scandalosus rixosus et odiosus suis parrochianis et semel distulit dare baptismum ea inhibuit ut ipsi cure sub eisdem penis non deserviret ab ipso die in posterum videlicet XVII presentis. mandans demum curato loci in personam sui vicarii ut infra dictum terminum presentet idoneum vicarium coram domino cardinali vel ips. visitant. sub eisdem penis de quibus dominus procurator petiit litteras testimoniales de quibus Guillelmus? suus clericus fuit rogatus present. domino Luca Pasqualis canonico Cornetano et Rodulfo de Alamanis et cet."
Source et remerciements : La visite de 1443 est conservée aux Archives de la Haute-Savoie (Annecy), sous la cote 1G 98 ; il en existe un microfilm aux Archives d'Etat de Genève et un autre aux Archives de l'Ain, à partir duquel M. Paul Cattin, archiviste au diocèse de Bourg, a réalisé cette transcription puis la traduction -- Quelques variantes de transcription, mises entre parenthèses, proviennent des archives du Diocèse, 470/13 – Mention dans l'Histoire de Champfromier (pp. 26-32, incluant l'inventaire de la cure). Mention dans les Mémoires de l'Académie Salésienne, t. VI, p. 310 (et précédentes). Pour Champfromier, copie en Arch. diocésaines (à Bourg), Ev. de Belley-Ars, 470, Alloing 13. Pour Montanges, copie en Arch. diocésaines (à Bourg), Ev. de Belley-Ars, 470, Alloing 6.
Publication : Ghislain Lancel.
Première publication le 10 avril 2013. Dernière mise à jour de cette page, le 22 janvier 2016.