Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Après avoir été nommé adjoint lors de la fin du mandat du maire précédent, Nicolas Ducret est nommé maire de Champfromier, et y restera dix-neuf années, du jamais vu depuis les mandats de l'époque révolutionnaire. Il est vrai que le retour de royauté en 1814 avait été apprécié sans réserve !
Le préfet nomme pour maire Nicolas Ducret, propriétaire, le 16 janvier 1811. Il prête serment et signe ("Ducrest" suivi d'un petit paraphe en croisillon) le 21 janvier [RD07, f° 61v-62]. Les signatures attestent qu'un Tournier [Jean-Roland (CI-3308, adjoint, témoin au baptême de la cloche de 1811, qui signe avec ses initiales)] est adjoint [RD07, f° 68v]. Plusieurs conseillers municipaux doivent figurer parmi les témoins qui signent souvent aux actes de mariages.
On sait que Les Autrichiens, secondés par les Genevois, arrivent à Champfromier le 6 janvier 1814, le soir de la fête des Rois. Les réquisitions que doit fournir la commune en pain, viande, avoine, foin, orge, froment, argent s'élèvent à environ 3.000 francs. Napoléon abdique quelques mois plus tard.
Malgré le retour de la royauté et de tous les espoirs qu'elle suscitait en avril 1814, Nicolas Ducret donne sa démission en mai 1815. L'adjoint remplace le maire, et convoque les habitants de Champfromier en assemblée générale, réunis sur la place publique au devant du presbytère, pour l'élection des maire, adjoint et conseillers municipaux, 60 personnes étant présentes.
Jean-François Seigne-Martin a réuni 41 voix et a été proclamé maire, et Antoine Bornet 47 voix pour la place d'adjoint.
Au second tour, les sieurs (10 membres). Jean-Baptiste Tournier, François Marquis, Pierre Ducret-Meunier, Claude-François Julliand de Sur la Serraz, Roland Couttier-Rey, Jean Ducret des Mermettes, André Nicollet, Jean-Joseph Ducrest-Pochy, Jean-Antoine Tournier et Joseph Couderier ont réunis la majorité des suffrages pour composer le conseil municipal [RD07, f° 69 (15/05/1815)].
Mais ces élections furent annulées, et l'ancien conseil réhabi lité un peu plus de deux mois plus tard :
"Le sous-préfet du 2e arrondissement, vu l'ordonnance du roi du 7 juillet dernier, qui fait reprendre à l'instant le service aux fonctionnaires administratifs qui l'étaient au premier mars, arrête que Ducrest Nicolas et Tournier Jean-Roland, reprennent leurs fonctions de maire et adjoint, tandis que Seigne-Martin Jean-François et Bornet Antoine, maire et adjoint actuellement en exercice cesseront à l'instant leurs fonctions". Signé "Ducret, maire royal" [RD07, f° 69v (11/08/1815)].
Cinq nouveaux conseillers sont nommés en 1816. Le préfet, nomme membres du conseil municipal, les sieurs Mermet Pierre, Ducret-Pochy Jean-Joseph, Marquis François, Humbert André et Tournier Jean-Baptiste [CI-2058 du fichier des naissances de Champfromier (décédé en 1816)], en remplacement de Genolin Jean-François [CI-9471 ?], Martin François [?], Ducrest Jean-François [CI-1595 (84 ans)], Julliand Martin [?] et Tournier Julien [?], qui sont décédés, et du sieur Tournier Pierre-Joseph [?] qui n'assiste pas aux assemblées (6 personnes), et prendront leurs fonctions après avoir prêté le serment [RD07, f° 70 (15/04/1816)]. De fait ils sont installés et prêtent serment le jour même.
Suivant l'ordonnance du 13 janvier 1816, le renouvellement quinquennal des maire et adjoint doit avoir lieu en 1821. Vu les propositions faites par le sous-préfet, le bureau de l'arrondissement de Nantua nomme maire M. Ducrest Nicolas et adjoint M. Tournier Jean-Roland [RD07, f° 86v (25/07/1821)]. Pas de changement, ils prêtent serment !
Deux conseillers décédés sont remplacés en 1822. Sont nommé les sieurs Tournier Jean-Marie et Martin Emmanuel, en remplacement de Tournier Jean-Baptiste [2058 (décédé en 1816, 72 ans)] et Tournier Roland [2689 (décédé en 1919, 56 ans)], décédés [RD07, f° 89 (25/05/1822)].
Renouvellement quinquennal. Sont nommés à nouveau, le 8 février 1826, MM. Ducrest Nicolas maire, et Tournier Jean-Rolland adjoint, lesquels sont installés le 14 février et prêtent serment [RD08, f° 20-20v].
Deux conseillers sont remplacés par suite de décès, Tavernier François fils de Julien, et Ducret Eustache en remplacement des sieurs Marquis et Ducret décédés [RD08, f° 23v (11/05/1826)].
Le Sr Ducrest Joseph dit Charrière, conseiller, représentera Champfromier à l'assemblée du canton à Châtillon [RD08, f° 25v (12/09/1826)].
Après la consécration en 1827 de l'église reconstruite, la fin de ce troisième mandat sera régulièrement entachée par la pétition du sieur Claude-Marie Coutier réclamant 3700 francs de suppléments pour frais imprévus lors de la construction de cette église dont il fut l'un des deux adjudicataires. Le maire s'y oppose. Le 4 décembre 1830 il est révoqué, et c'est le sieur Coutier qui est nommé à sa place !
Nicolas Ducret (1773-1851) [CI-3077 du fichier des naissances de Champfromier], aîné des fils de Roland Ducré et de Marie Tournier, épousera Marie-Joséphine Humbert (de la très catholique famille du Châtey, décédée en 1831...). Recensé à Monnetier en 1771 et 1781, il meurt propriétaire à Champfromier en 1851. Le couple eut quatre enfants dont un fils aîné prêtre, deux filles célibataires actives dans plusieurs confréries religieuses dès les âges de 12 ans et 15 ans, et son fils cadet, François-Marie [4632], qui fut le célèbre "Dr Ducret" de Nantua. Nicolas, qui habitait à moins de 35 mètres de l'église, proposa l'eau de son puits pour la reconstruction de cette église lors de la sécheresse du printemps 1825 [RD8, f° 17v].
Vive le Roi ! Même si la fonction de maire demande allégeance à la hiérarchie, la déclaration de Nicolas Ducret et de tout son conseil pour saluer la Restauration de Louis XVIII en 1814 est sans équivoque : "Suite à la demande du Préfet d'adhérer aux sages mesures prises pour faire cesser les malheurs qui depuis 24 ans consument notre belle patrie, déclare unanimement qu'il adhère aux mesures prises par le gouvernement provisoire pour le rétablissement sur le trône de l'auguste famille des Bourbons, nos rois et souverains légitimes ; les conseillers font cette déclaration avec d'autant plus de joie qu'ils espèrent que leurs efforts pour le bien de leur commune ne seront plus rendus inutiles, la fureur révolutionnaire avait tout enlevé à cette commune, il a fallu contracter des dettes pour racheter le presbytère et rétablir en un mot bien des choses nécessaires à l'église du Culte catholique... Vive la religion catholique, Vive le Roi, Vive Louis 18, Vive les Bourbons, Vive la paix, Vive nos magnanimes et généreux libérateurs" (9 signatures) [RD07, f° 68v (20/04/1814)]. Pas de doute sur ses idées, il signera même une fois (après sa réinstallation) "Ducret, maire royal" ! On sait par ailleurs qu'en 1805, alors qu'il n'était encore que secrétaire de mairie de François Famy, il avait commenté sans réserve la fin du calendrier révolutionnaire dans les registres d'état civil : "Ici finit le Calendrier Républicain, le dix nivôse an quatorze, soit le 31 décembre 1805 à six heures du soir, et dès cette nuit à minuit le calendrier Chrétien dit Grégorien est remis en usage, au grand contentement de tous les honnêtes gens. Nicolas Ducrest" [Web N an14/1806, p. 02d, acte 10].
Maire presque sans interruption de janvier 1811 à décembre 1830, royaliste, il a remis en place ce que la Révolution avait détruit, et en particulier les édifices religieux mis à mal : la seconde cloche où il est témoin avec son adjoint en 1811, le presbytère à restaurer et l'église à reconstruire (envisagé dès 1919). Avec le prêtre Jean-François Augier (curé de Champfromier de 1809 à 1832), lui aussi très attaché aux coutumes du pays, lequel exigeait que les hommes soient en blouse de toile bleue et les femmes avec le tablier à bavette, ils œuvrent pour la reconstruction de l'église, consacrée en grandes pompes le 3 octobre 1827 par l'évêque de Belley (50 gardes nationaux, Sous-préfet, 72 ecclésiastiques, communion de plus de 1200 personnes), avec un coût polémique de construction qui varie entre 30 et 100 mille francs, qui aurait ruiné la commune pour un siècle ! [Voir aussi Hist. de Champfromier, p. 189-200].
Sa gestion de la commune touche évidemment aussi à tous les domaines, bois communaux et cantons de réserve, pâturage séparé des moutons et des vaches, volonté de racheter le presbytère dès 1812, entretien des routes et chemins vicinaux, demande d'indemnisation en 1815 des réquisitions qui avaient été faites pour les troupes et alliés (pain, foin, etc.), gestion de 32 familles d'indigents en 1817 (aidés par des travaux aux chemins vicinaux), division de la forêt communale avec Giron, maladie épizootique en 1821, fontaine publique, etc. C'est aussi sous son mandat que furent signés en 1830 les actes de délimitation du territoire entre la nouvelle commune de Champfromier et celles limitrophes. Humour aussi, en 1819, lorsque la commune est priée de payer sa quote-part dans la construction des salle d'audience et prison à Châtillon, propose d'offrir un vaste appartement pour que la salle d'audience soit à Champfromier, village encore plus au centre du canton, avec argumentation !
La pétition Coutier (pour un supplément de coût à la construction de l'église) occupe une bonne partie des délibérations de 1830, et le maire s'y oppose. Nicolas Ducret est révoqué le 4 décembre 1830 et son créancier nommé à sa place !
Nicolas Coutier, comme par le passé le faisaient parfois les prêtres, rédige ses notes personnelles à plusieurs reprises en fin d'annnées du registre des naissances. En 1811 c'est l'historique de l'église achevé avec les deux nouvelles cloches, en 1812 il exprime sa rancœur contre Napoléon et sa défaite en Russie, qui coûta 20 soldats à Champfromier, outre les 3000 livres prévues pour racheter la cure !
Publication : Ghislain LANCEL. Sources : AC Champfromier, RD 07-08.
Première édition de cette page, le 2 juillet 2014. Dernière mise à jour, 12 juillet 2015.