Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Une femme fortunée, en 1756...

 

Une femme fortunée, hôtesse, de grande famille, semble bien nous conduire à une ancienne belle demeure bien connue à Monnetier...


Baie ouvragée de la maison présumée de la femme fortunée...

A la lecture des registres de Maître Maurier, notaire à Montanges, et bien qu'il était fréquent qu'il se déplace sur place chez les uns et les autres, on peut néanmoins être surpris que, concernant des actes rédigés à Monnetier de 1756, ils soient assez souvent passés dans la maison de Françoise Genolin [CI-9074] ! Chez une femme ! Et passerait encore que ce soit dans la maison de feu François Tavernier-Perret [9405] son défunt mari, mais non, c'est sa maison ! Pierre-Joseph Maurier, a beau être tout jeune dans la profession (reçu notaire le 28 janvier 1756), et fils de son père, entendons fils d'Honoré, notaire, qui lui a aussitôt transmis son étude et cessé son activité, il ne fait pas de zèle, la maison est bien celle d'une femme, et elle y reçoit des hommes ! C'est normal, elle est hôtesse, au moins depuis 1747 ! Elle tient donc une auberge, rien de plus, probablement.

Qui est-elle ? C'est d'abord une femme qui eut deux hommes, dont elle eut 8 enfants du premier (dont 4 décédés en bas-âge) et deux autres du second (dont une fille aussi vraisemblablement morte très jeune). Dix enfants dont la moitié d'entre eux morts très jeune, une situation banale à l'époque. Ce qui l'est moins, c'est que son second mari était dit "absent de la province depuis environ 15 années" en 1745 (et depuis 23 ans en 1754), donc depuis 1730/31, alors qu'il s'était remarié avec ladite Françoise Genolin en juillet 1732, et qu'ils eurent une fille en 1734 ! Alors, allait-il chercher fortune ailleurs, ou y passer du bon temps ? En tous cas aucun des enfants de ce second lit ne fut héritier de sa mère... De cet époux on sait peu de choses, ni son activité ni la date de son décès (entre 1745 et 1756).

Par contre, du premier lit de l'épouse, (avec Etienne Ducret [9389]), trois filles sont richement dotées, chacune ayant une dot constituée d'au moins 500 livres, sans compter les traditionnelles "autres choses", qui sont une vache, une chèvre et une dizaine d'aunes de toile commune. Mais là encore, ce qui surprend, d'après le testament de leur mère, c'est que ces constitutions proviennent d'elle seule, au moins pour 1000 livres. C'est donc pour l'époque d'une fortune dont disposait cette femme ! Rappelons que généralement la femme ne participait aux dots des filles, qu'à la hauteur de leur propre dot, laquelle dépassait rarement les 100 ou 120 livres !

Alors, d'où venait l'aisance financière et la maison possédée par Françoise Genolin ? Il est probable que c'est sa lignée qui en détient l'explication principale. En effet elle était fille héritière en ligne paternelle directe d'un riche et célèbre arrière-grand-père, le bien connu notaire Jean Genolin-Pochy de Monnetier.

Françoise était l'une des cinq filles d'Henry Genolin. Deux de ses sœurs, présumées jumelles, étaient nées sourdes et muettes, et l'une vécut jusqu'à 70 ans. Une autre, Peronne, était restée célibataire. La cinquième des filles était mariée à un homme de Vouvray (Ain). Henry, leur père, était l'aîné des fils viables, et Jean-Louis son père, aussi aîné des fils viables, avait hérité de tous les biens à Monnetier de Jean, le célèbre notaire de Monnetier. En toute logique, Françoise avait donc hérité d'une bonne partie d'un patrimoine familial ancestral dont de nombreux hommes se seraient pleinement satisfait ! Pour le moins, elle avait été désignée, seule héritière universelle de ses parents dès 1728. Probablement, sa maison était donc celle que le notaire avait nécessairement reconstruite après avoir été brûlée par les cuanais à la St-Jean de Noël 1634, avec toute ses minutes notariales... Françoise était naturellement chrétienne. Par son testament elle souhaite que 20 messes soient dites pour le repos de son âme, et elle donne 3 livres à la Confrérie du St-Rosaire, tous ces souhaits étant de l'ordre du triple des recommandations habituelles. On ne sait si elle avait voyagé, mais elle avait des contacts avec bien des gens (souvent aisés, plusieurs sachant signer) et bien des lieux. Les parrains et marraines de ses enfants sont fréquemment des villages voisins, Giron, Chézery, Montanges, Vouvray (une Marie Genolin) ou Chanay. Une soeur est mariée à un laboureur de Vouvray, son second mari, qui sait signer, est longtemps hors du pays (des Terres du prieur de Nantua). Elle est hôtesse et sa maison accueille le notaire lorsqu'il ne sait où rédiger ses actes à Monnetier. Pour son testament, sont témoins le maître horloger de Monnetier (Sieur Roland Dumont) et six laboureurs de Monnetier ou Champfromier.

L'héritier universel de Françoise Genolin fut son fils Jean-François Ducret [1015]. Son père qui porte une unique fois le pseudonyme de Freron lors de la naissance d'une fille Andréanne en 1722, semble donc avoir eu son habitation au lieu-dit En Fairon, un microtoponyme disparu de nos jours qui se situait avant le pont de l'entrée de Monnetier-Rue (approximativement en face de la Charnaz). Jean-François est à l'origine d'une branche nouvelle, celle des Ducret-Pochy, dont il portait le pseudonyme lors de son décès en 1773. On ne comprend pas bien d'où il tire cette dénomination de Pochy. Ce pourrait-être une référence à sa mère si elle était une Genolin-Pochy, mais la branche du notaire, même si elle est vraissemblablement affiliée aux Genolin-Pochy ayant eu des terres voisines dans les temps anciens, n'en a toutefois jamais porté le pseudonyme. Quoi qu'il en soit, avec lui, on semble bien pouvoir identifier la fameuse maison dont Françoise, sa mère, était propriétaire à Monnetier. Et son père n'aurait pas eu à chercher bien loin son épouse, tout juste dans la maison voisine ! En effet, à l'état des sections de 1833, la seule maison possédée par Jean-Joseph Ducret-Pochy [2859], petit-fils de Jean-François Ducret-Pochy qui semble avoir hérité du tout de son grand-père, est l'habitation cotée C1813. Elle était l'une des plus imposantes et des plus belles de ce hameau, en particulier par une petite baie donnant sur la rue, remarquable par son linteau joliement taillé en accolade, et provenant probablement de la précédente maison (voir ci-dessus)... Ainsi donc, cette maison, celle de Françoise Genolin, était certainement aussi celle du notaire Genolin, reconstruite après l'incendie de 1634.

Cette maison cotée C1813 aux plans napoléoniens, est celle qui brûla fin août 1967 et que les parents des anciens de Monnetier donnaient pour celle où se déroulaient tous les actes du temps des seigneurs... Dans leur testament de 1728, les parents de Françoise attribuaient à la sœur Perrone de cette fille, une dot de 400 livres, au cas qu'elle se marierait, en précisant qu'en attendant elle demeurerait dans sa maison de Monntier, avec sa soeur. L'année suivante un codicille lui attribuait cette somme à condition qu'elle n'habite plus avec sa sœur[3E17443, f° 263 et 3E17459 (acte n° 3)]. Autrement dit Françoise demeurait dans la maison familiale Genolin. Ne pourront-on alors penser les minutes notariales de leur ancêtre Jean Genolin, qui manquent aux archives départementales, se soient trouvées entreposées dans le grenier, et que dans l'incendie de 1967...

Voir des compléments généalogiques sur cette famille du notaire Jean Genolin.

 

Publication : Ghislain Lancel. Source : AD01, 3E17462 (année 1756), dont le testament du 28 août 1756 (f° 265 ) ; 3E17454 (dite hôtesse, 1er février 1747) ; 3E17443, f° 263 (3 juin 1728) [Testament mutuel des parents]. Crédit photographique : Jean-Luc Vallet.

Première publication le 11 mars 2015. Dernière mise à jour de cette page, le 2 avril 2015.

 

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