Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

La Borne au Lion (1613)

Suite au traité de Lyon (1601) et au traité d'Auxonne (1612), de nombreuses bornes furent plantées en 1613 afin de matérialiser la nouvelle frontière incluant les acquisitions (Bresse, Bugey, Valromey, Pays de Gex) faites par le roi de France Henri IV et cédées par Charles-Emmanuel, duc de Savoie.

La Borne au Lion est classée Monument Historique de Chézery-Forens (classement du 12 janvier 1926, Ref. PA00116403, où elle est inscrite sous le nom de Borne du Lion-Magras). Cette borne est située à la jonction des territoires des communes de Chézery-Forens, Champfromier (Ain) et La Pesse (Jura). C'est à partir de La Pesse que son accès est le plus facile. Cette référence au Lion était en usage vers 1833, ainsi les plans napoléoniens de Forens, feuille B1, la désigne sous le nom de Borne du Lion. Mais à l'origine, lors de sa plantation en 1613 elle était désignée sous le nom de Borne de la Cléa. Il serait d'ailleurs bon de lui redonner le nom de son lieu-dit d'origine, afin d'éviter les confusions actuelles avec les autres bornes au lion, puisque toutes le sont, et aux lys aussi !

Borne au Lion

La Borne au Lion

Exagérément dite "Borne des trois Empires", cette borne "de la Cléa" rappelle que lorsqu'elle fut plantée elle marquait la frontière entre la Franche-Comté (au nord) et le Bugey Français au Sud, deux des trois "empires" auxquels l'appellation veut se référer. A l'est, par le même traité de Lyon, le Pays de Gex, qui était aussi devenu français, en était séparé par le "Couloir Sarde", un territoire resté à la Savoie (le 3e empire) et qui était composé des terroirs des paroisses de Chézery, Lancrans et autres plus au sud jusqu'à Léaz, couloir approximativement délimité par la Valserine et les crêtes du Jura, et dans lequel se situait le fameux chemin de Espagnols. Cette route permettaient aux troupes (sous conditions) de faire la jonction entre Savoie et Franche-Comté (en direction des Pays-Bas insoumis).

Dans la pratique le chemin des Espagnols ne fut plus d'aucune utilité à partir de 1678, puisque le traité de Nimègue remis alors la Franche-Comté à la France. Mais comme le Couloir Sarde fut maintenu jusqu'au Traité de Turin en 1760, on associe parfois cette date à sa disparition. L'annexion de la Savoie date de 1860. Pour la partie qui nous concerne, le Chemin des expagnols ne commençait qu'au pont de Grésin et se dirigeait au nord vers Lancrans puis Confort. Il rejoignait ensuite Chézery, traversait la Valserine un peu en aval de la Fontaine Bénite, montait vers Noire Combe puis le Creux Manant, et terminait la montée jusqu'à rejoindre un territoire ami au bout du couloir sarde (par les Closettes et non la Borne au Lion), en direction de St-Claude.

Revenons à la borne. Gustave Burdet, dans son ouvrage sur Les Bouchoux - La Pesse (1925) exprime qu'une face "paraît avoir porté la Croix de Savoie, ce qui serait très plausible, du reste." (page 24). Il est bien dommage que cette supposition soit devenue une certitude. S'il y a bien, en fort relief, sur deux faces opposées, les blasons au Lion (pour la Franche-Comté) et aux trois lys (pour la France), il n'y a par contre aucune trace de croix de Savoie sur aucune des deux autres faces, ni même de relief pouvant laisser croire que, comme pour les deux autres face, une troisième face portait un blason. Et c'est bien normal puisque le compte-rendu d'installation stipule explicitement que cette borne est non armoyée sur ses faces vers Chézery et vers les Bouchoux ! Et même si un encadrement de blason peint en bleu sur la face du côté de Savoie perdure aujourd'hui et tant à nous faire croire le contraire (étant peint sur la borne elle-même, ainsi qu'une photo couleur sur la couverture de l'ouvrage de La Pesse/Les Bouchoux du chanoine Vuillermoz extrapolant les suppositions de G. Burdet), il n'y a jamais eu de blason aux armoiries de la Savoie sur cette borne.

Si l'emplacement est bien celui d'un point touchant aux trois "empires", appeler cette borne des Trois empires est excessif, la présence de seulement deux blasons (Nord et Sud) montre bien que le passage à l'Est n'était qu'un arrangement et non la reconnaissance de la délimitation d'un troisième Empire... La dénommer Borne au Lion n'est guère mieux (il manque alors la référence à la France) : sa seule vraie dénomination est celle de borne de la Cléa.

Le procès verbal de plantation, en 1613

Cette borne ne fut pas la première plantée, cet honneur était revenu à celle de la Bune, à la Combe d'Evuaz. Elle ne fut d'ailleurs pas non plus plantée le jour prévu, car le soir étant venu, la borne venant de loin et étant d'une telle grosseur; probablement transportée sur un char tiré par des bœufs, elle se trouvait encore à deux ou trois heures de route. Le lendemain dimanche étant jour solennel de la Nativité de Notre Dame, la pose fut reportée au lundi, et enfin plantée, non sans enregistrer une dernière contestation de la part d'un religieux et du curial de Chézery, affirmant que le lieu prévu se trouvait dans la zone du Chemin des Espagnols, une erreur de position de 22 pas !

"Dez là [du lieu de la Borne de la Bune, le 07/09/1613], somme passez au lieu de la Cléa où se sont retrouvez Louis Marmet [Mermet (pas encore Mermety)] de Montange, châtelain de Chésery, Me Etienne Genoulin [Genolin], notaire royal [de Monnetier, paroisse de Champfromier], Guillaume Verrot-Valier, Claude Barbier l’aîné, Etienne Morier-Relet, Etienne Morier-Tabourin et plusieurs autres dudit Montange. Et de la part de ceux dudit Esbouchoux, Me Claude Maignier procureur en la Grande Judicature de St-Ouyan de Joux [St-Claude (Jura)], Antoine Pariset greffier en icelle, Jean Guichon, échevin dudit Esbouchoux, Humbert Guichon son frère, François Marmet, Jean Marmet, Briunet et Claude Goix, tous dudit Esbouchoux, en présence desquels avons désigné un endroit dudit lieu de la Cléa, tout proche du chemin qui tire de Chézery à Esbouchoux appelé La Vie des Croix du côté du midy, et entre deux arrêtes de petites montagnes [le Crêt au Merle et le Crêt de Chalam] qui sont de part et d’autre dudit chemin que l’on nous a dit faire [p.°19 v° (530 v°)] séparation des terres de France et de Savoye avec ledit Comté de Bourgogne, auquel lieu avons ordonné être fait un creux pour y planter une autre borne. Mais d’autant que la pierre à ce destinée s’est trouvée fort éloignée dudit lieu et de telle grosseur qu’elle ne pouvoit être aprochée et dressée audit lieu de deux ou trois heures, nous avons ordonné auxdits habitants présents de, dedans ledit jour, conduire ladite pierre en icelle place pour au lundy suivant y être dressée ensuite de notre traité. Et pour ce que l’heure étoit fort tardive, nous nous somme retirez au lieu de St-Claude, et avons remis le surplus de notre négotiation audit jour de lundy pour révérence de la solemnité de la Nativité de Notre Dame et jour de dimanche tombant au lendemain.

Et ledit jour de lundy, neuvième dudit mois de septembre [09/09/1613], nous sommes derechef acheminez audit lieu de la Cléa en présence des mêmes officiers et habitans de Montange, St-Ouyan et Esbouchoux, où s’est représenté frère Roland Rendu, religieux en l’abbye de Chézery, et Anselme Favre curial dudit Chisery, lesquels ayant vu l’endroit que nous destinions à la plantation de ladite borne, nous ont dit que pour la conservation des droits de son Altesse de Savoye et du révérend abbé et couvent dudit Chisery, ils nous remontroient que ledit lieu étoit territoire de Savoye réservé à sadite altesse par le traité d’échange fait avec sa Majesté très chrétienne, et que la Souveraineté de Savoye s’étendoit encore plus avant jusqu’à un chemin distant d’environ vingt-deux pas [la Vi des Croix, selon la tibériade] de ladite place, nous requérant pour et de faire planter ladite borne plus avant, ou du moins déclarer que la plantation se feroit sans préjudice des droits de sadite Altesse et desdits révérends abbé et couvent. De quoy avons octroyé acte pour leur valoir et servir ce que de raison, et ce nonobstant attendu que les habitants de Montange et d’Esbouchoux présents ont [p.°20 (531)] soutenu que leur territoire s’étendoit jusqu’à une cloison qui est le long de l’arette joignant audit Chemin des Croix, laquelle vient aboutir sur le creux à ladite plantation, d’autant même que l’héritage de Jean Voillat dit Clerc étant de la directe du Sieur Prieur des Bouchoux avoit son étendue jusques audit lieu. Et pour ce qu’il nous a semblé à l’œil que tirant une droite ligne dez la creste de ladite petite coline étant du côté de septentrion jusqu’à celle qui est d’autre part du côté du midy, que l’on accorde à servir de limites aux souverainetés, la ligne passeroit environ le même endroit que nous avons fait creuser, nous avons déclaré que passerions outre à ladite plantation, sans préjudice des droits de sadite Altesse de Savoye et desdits révérends abbé et couvent dudit Chisery et de tous les autres non ouïs, suivant quoi a été planté à l’instant au même lieu une grosse borne de pierre quarrée armoyée des armes de France du côté de midy, de celles du Comté de Bourgogne du côté de septentrion, regardant ses aspects non armoyée devers soleil levant la terre de Chisery, et devers soleil couchant le long dudit chemin de Chisery à Esbouchoux" [AD21, C3527, p.°19-20 (530-531 de la pagination réelle au crayon)].

Le moine Pacoret de Chézery, confirmera en 1721 que à "Magra, il y a une grosse pierre carrée [la Borne au Lion] où (ne) sont (que) les armes de France et d’Espagne" [AD01, Ms 144 (C 205)].

 

Compléments

M. Janin donne en note pour explication du mot "cléa" donnée par M. Paul Durafour que clia (sic) en patois signifie porte, barrière, passage. Ce lieu peut en effet avoir le sens de porte ou de passage lorsque l'on arrive depuis Forens à cet endroit par le Creux Manant.

On a vu que cette borne était signalée sur une feuille de plan napoléonien. Elle est aussi présente sur la carte de Cassini par la mention "Borne 1614". La date étant évidemment erronée, ce qui vaut aussi pour d'autres bornes frontières portées sur cette carte.

Pour plus d'informations, on peut aussi consulter les discussions préliminaires.

 

 

Source : AD Côte d'Or (Dijon), C 3527 (fin de l'ouvrage, avec double pagination, l'une propre au procès-verbal, l'autre au crayon pour l'ensemble de l'ouvrage).

Bibliographie : Etude sur les bornes plantées entre la Franche-Comté et le Bugey à la suite du Traité de Lyon (1601), par M. Janin, Bull. de la Société des Naturalistes de l'Ain, n° 38 de 1924, pp. 67-79. Et du même auteur, Limites entre le Pays de Gex et la Franche-Comté, n° 43 de 1929, pp. 154-160. M. Janin donne pour source de sa publication en 1924, "AD Doubs, B 0965", ce qui semble relever d'une double coquille d'impression, de lieu et de cote, l'orignal des tractations préliminaires se trouvant en AD21, B 265 (lequel ouvrage est l'original du C3527, mais ne comprend pas le procès-verbal de plantation)...

Gustave Burdet, auteur de Un coin du Haut-Jura (1925).

Deux villages en parenté, La-Pesse Les-Bouchoux, par le chanoine A. Vuillermoz, p. 134-148.

 

Crédit photographique : Ghislain Lancel (25/04/2011). Remerciements : Cédric Mottier (Chemin des Espagnols en 1760).

Première publication le 11 janvier 2012. Dernière mise à jour de cette page, le 30 juillet 2015.

 

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