Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

La borne du Ramblan (1613) [Inédit]

Habituellement, c'est le site qui propose les devinettes, mais le 24 avril 2011, c'est son animateur qui était mis à l'épreuve par Thierry Tournier, spéléologue réputé et promeneur très observateur : Savez-vous où se trouve cette inscription gravée sur une pierre d'angle d'une bâtisse en ruine très éloignée du village ?

Pas de doute c'était bien une information inédite avec cette inespérée pierre de remploi datée de 1613 : une borne frontière vieille de quatre siècles datant de la délimitation entre le Comté de Bourgogne et la France (la Franche-Comté et le Bugey) suite au Traité d'Auxonne de 1612, borne retrouvée dans un état neuf préservé par le crépi !

Une nouvelle borne frontière datée de 1613 !

Borne du Ramblan Borne du Ramblan
Dans le chaînage d'angle, une pierre datée (verticalement) 1613 et un probable blason au lion...

Après communication à divers organismes et recherche des propriétaires, il s'avérait que cette pierre n'était pas sur le territoire de Champfromier, mais sur celui de Chézery, à quelques décamètres près... Vers 1833, au vu des plans napoléoniens, la borne se trouvait sur la parcelle B15 de Forens, lieu-dit Les Magras, appartenant à Jean-Roland Blanc, meunier. La ruine du bâtiment où la borne se trouvait est celle dite de nos jours des Ramblan (Commune actuelle de Chézery). Ce lieu est situé à quelques centaines de mètres de la célèbre Borne au Lion, un peu à gauche quand on regarde alors en la direction du Crêt de Chalam.

Les "Ramblan" semblent désigner les Rambles aux Blanc, le Ramble étant un lieu-dit voisin du Nerbier, et les Blanc une famille qui possédait bon nombre de terres de ces lieux, et en particulier la parcelle concernée en 1833. Selon Suter, Remble provient du patois reimbllo, lieu bourbeux, fondrière, mais il est aussi donné pour un mot usuel désignant un talus [GPHJ] ; les deux sens conviennent ici, puisque le bâtiment est construit sur un petit plateau dans la pente, mais la pâture descend jusqu'à un ruisseau encore très boueux de nos jours par endroits...

Borne du Ramblan Borne du Ramblan
Le lion, au-dessus de la date 1613, est un peu surprenant,
mais les deux blasons ont gardé toute leur fraîcheur d'il y a quatre siècles !

Dégagée de sa gangue dans la ruine du mur, la borne frontière de 1613 apparaît avec ses blasons complets : le lion de la face datée qui commençait à apparaître sous le crépi du mur, et la face opposée avec les trois fleurs de lys du Roi de France, Henri IV.

Les dimensions

La borne, qui a la forme générale d'un parallélépipède rectangle légèrement tronconique, est surmontée d'un sommet pyramidal très écrasé et arrondi. Elle mesure 83 cm de hauteur totale, sa section étant presque carrée, de côtés d'environ 30 cm. Seules deux faces opposées comportent des blasons, l'un représentant le lion de la Franche-Comté et l'autre les trois lys du Roi de France.

La face au lion, a pour dimensions, de la base de la pierre à la base de la pyramide : 72 cm de hauteur à gauche et 73 cm à droite, 30 cm en bas et 28,5 cm en haut. Le blason, pentagonal, est formé d'un rectangle agrandi vers le bas par un triangle isocèle, pointé vers le bas. Il a pour plus grande hauteur 30,5 cm (jusqu'à la pointe du triangle), 16 cm pour le côté gauche et 19 cm pour celui de droite, et 19 cm de largeur (côté du haut).

La face aux lys, a pour dimensions, entre la base de la pierre et la base de la pyramide, 75 cm de hauteur (tant à gauche qu' à droite), 31 cm de largeur en bas et presque autant en haut. Le blason, de même forme que le précédent, a pour hauteur totale 25,5 cm, pour 16 cm à gauche, 17 cm à droite, et 18,5 cm de largeur.

Les autres largeurs de la base sont de 28/30 cm pour celle à droite du lion, et de 30 cm pour celle à gauche.

Pour une densité de calcaire de taille comprise entre 2,4 et 2,8 kg/m3, la masse de cette borne est estimée à 150/200 kg.

Qualité de la pierre et de la gravure

Borne du Ramblan

Compte tenu de son remploi dans un mur protégé par un crépi, et de sa position élevée dans ce chaînage d'angle (posée à 2,50 mètres de hauteur), il est évident que cette pierre tirée d'un bloc de calcaire dur n'a que très peu souffert de dégradations ayant pour cause la météorologie, ou provenant de la main de l'homme, ou d'animaux se frottant la panse sur cette pierre. Après quatre siècles, son aspect général est celui du neuf ! Néanmoins on observe la présence d'une inquiétante fissure qui traverse la borne de part en part à sa base...

La gravure des blasons est en creux, tant pour l'entourage que pour les motifs intérieurs. La qualité de la gravure est très moyenne : les bords des blasons n'ont pas la même dimension, celui aux lys est très nettement décentré à droite, et celui au lion, un peu décalé à gauche. Les lys sont bien gravés mais inégaux en taille. Le lion ressemble bien plus à un âne qui marcherait à la verticale sur le côté gauche du blason, la queue retournée sur son dos, qu'à un traditionnel lion héraldique... L'année 1613 est gravée sous ce blason au lion.

Ces imperfections laissent penser que le graveur était un simple maçon-carrier du pays, probablement de Montanges, puisqu'il est dit dans le compte-rendu de plantation que deux bornes destinées à la Combe du Ramble et du Nerbier avaient été préparées par les montangeais (qui possédaient déjà depuis plusieurs siècles la très grande parcelle de forêt de Champfromier autour du Tamiset).

D'où provient cette borne ?

Borne du Ramblan

Curieusement la description de cette nouvelle borne ne correspond à aucune de celles données dans le compte-rendu des plantations de 1613-1614 ! Il est pourtant très probable que cette borne n'a été déplacée que d'une très petite distance pour justifier son remploi dans la construction d'un bâtiment. Il n'y a donc guère que trois possibilités : elle était plantée à l'ouest à proximité de la Borne au Lion (des Trois Empires, de la Cléa) où elles sont nombreuses à délimiter la Franche-Comté du Bugey, ou bien au nord de cette Borne au Lion en limite entre la Franche-Comté et le Pays de Gex, ou bien encore c'était une borne qui était prévue pour être posée dans les environs mais qui fut cachée par des opposants au moment de la plantation de 1613.

A l'ouest de la Borne au Lion il ne manque pas de borne ayant les caractéristiques de celle retrouvée, sauf peut-être la première, celle du Ramble-au-Tissot, mais elle semblait plus petite selon ceux qui l'avaient encore vue vers 1924, d'ailleurs époque trop récente pour qu'elle ait pu servir à une construction aujourd'hui en ruine.

Au nord, on dispose de peu d'informations sur les bornes de séparation entre le Pays de Gex et la Franche-Comté, mais M. Janin signale qu'on lui a affirmé qu'une borne s'était trouvée dans un murger sur le Crêt au Merle [M. Janin, Etude sur les bornes plantées..., Bull. de la Société des Naturalistes de l'Ain, n° 43 de 1929, p. 156]. Il serait donc possible que cette pierre soit celle du Crêt au Merle, mais là encore ce souvenir semble trop récent.

Par contre le compte-rendu de 1613 témoigne sans équivoque, que le 9 septembre 1613 au Nerbier, donc à proximité du lieu de la borne retrouvée, deux bornes apportées par les habitants de Montanges (au titre de leur forêt communale en cet endroit) furent cachées moins d'une heure avant d'être plantées et ne furent jamais retrouvées : "mais passant par lesdites combes nous avons reconnu que la borne préparée en ladite Combe du Ramble et par nous vue en icelle une heure auparavant avoit été brisée en deux pièces et jettée en un fond parmy les buissons, et que deux autres que les habitans de Montange avoient conduit en ladite Combe des Nerbiers et sur ladite petite crête avoient été distraites et cachées, en sorte que ne les avons pu retrouver" [AD21, C3527, p.°20 du procès-verbal (p. 531 de la pagination réelle au crayon)].

A n'en pas douter, les deux bornes cachées ne se sont pas volatilisées, et le procès-verbal ne mentionne pas qu'elles ont été retrouvées. Ce sont donc des bornes refaites par le même sculpteur qui furent plantées un mois et demi plus tard, le 24 octobre 1613. Ajoutons que le lion présente de fortes ressemblances avec celui de l'actuelle borne du Nerbier (pattes groupées deux par deux, animal semblant monter à la verticale à gauche), et que les deux bornes présentent un blason fortement décentré et la date de 1613 gravée au-dessous du blason.

Les deux bornes du Nerbier et des Ramblan sont donc très probablement deux réalisations d'un même tailleur de pierre (sculpteur local ou même simple maçon) de Montanges. La borne du Ramblan semble l'original, préservé par un crépis depuis quatre siècles, de la copie usée qui trône sur le coteau du Nerbier, depuis quatre siècles aussi.

Cinq bornes frontières voisines sont classées Monument historique depuis 1926 et se dégradent lentement, celle-ci est à l'état neuf !

Publication inédite, Ghislain Lancel      

 

Cet article a été présenté par Ghislain Lancel devant les membres de la SEA (Société d'Emulation de l'Ain), en la très belle salle du XVe siècle, au 7 de la rue Migonnet à Bourg le 18 janvier 2012, et publié dans le Bulletin des Nouvelles Annales de l'Ain 2011, Travaux de 2010 (Pages 40-45 et couverture du bulletin). A cette occasion, l'auteur a été coopté membre de la SEA (par Alain Gros, président, et Mme Marie-Claude Vandembeusche). Voir un article dans la presse locale, et la photo de la borne sur la couverture de la publication au bulletin de la SEA.

Photos complémentaire et métriques de Robert Le Pennec.

Borne consolidée par PHC, en dépôt à Champfromier (La Chandelette)

La borne a été consolidée en 2014 (pour résister au gel et recoller une grosse fissure) à l'initiative de PHC qui en a confié cette minéralisation à Eric Hafliger, pour un montant de 1.920 € (subventionné par le Conseil Général pour un tiers). Les propriétaires ont souhaité, en attendant une pose définitive à proximité de la Borne au Lion, qu'elle soit présentée au public comme faisant partie du "Musée PHC" de la Chandelette à Champfromier (Ain). Sa "plantation" à la Chandelette fut réalisée le 18 novembre 2014.

 

Bibliographie : Voir à Etat des bornes de 1613.

Publication : Ghislain Lancel. Remerciements : Thierry Tournier, photo du gros plan de la borne dans le mur (avril 2011) ; Ghislain Lancel, autres photos (25/04/2011 et 11/07/2011).

 

Première publication le 14 juillet 2011. Dernière mise à jour de cette page, 11 janvier 2013.

 

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