Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Un an seulement après sa précédente visite de l'abbaye de Chézery, l'abbé de Tamié, toujours vicaire général des abbayes cisterciennes de Savoie, revient. On pourrait croire qu'il voulait se rendre compte sur place de l'effet de ses recommandations passées. Mais cette fois, accompagné de Dom Bernard Chaffon, religieux profès de l’abbaye de Cisteaux, c'est l'état des bâtiments de l'abbaye qui l'intérresse, ainsi qu'il titrera sa visite "Procès-verbal de l’état des bâtiments de Chesery". Ils y passent même deux jours, les 3 et 4 août 1679, avec un rapport en deux parties, et celle du second jour apparait en tête dans le compte-rendu. C'est que l'on y présente l'effectif du monastère en premier. Il se dit aussi satisfait de l'état spirituel du monastère (mais sa visite de l'année suivante prouvera le contraire), n'ayant pas jugé "qu'il fut nécessaire de faire de nouveaux réglements". L'autre partie du compte-rendu ne concerne effectivement que le temporel, les bâtiments, meubles et ornements.
Regrettons à nouveau qu'aucun abbé, prieur ou religieux ne soit dénommé dans cette carte de visite (abbé : Joseph de Savoie).
La communauté, dont les membres ne sont toujours pas désignés, se compose de huit religieux (dont le prieur, dit "supérieur commissaire", et 7 profès) et un convers, présents, et trois autres profès (au lieu de quatre en 1678) dont on retrouve les deux qui étaient supérieur commissaire de Hautecombe et confesseur du Betton, le troisième demeurant aussi à Hautecombe. Par les plaintes d'un acte qui suivra, on sait que Dom Pierre Gros était cellérier en début de cette année 1679.
L'église est jugée "en bon état", sauf au presbytère (partie du chœur réservée aux moines et située entre le maître-autel et le l'espace des convers), dont le pavage est "gâté" et à refaire à neuf. Comme il n'y a pas de jubé, l'on y mettra des "formes" (bancs) qui remplaceront ceux caduques et qui seront placés, faisant office de séparation, de chaque côté du chœur, avec une porte au milieu. On y ajoutera des marches et un pupitre "derrière le dossier du chœur". Pour "les livres nécessaires comme graduels, antiphonaires, lectionnaires et psautiers, il est du tout nécessaire qu’ils en aient pour le moins deux de chaque sorte, sauf le lectionnaire dont un seul suffit, comme aussi une lampe au milieu du chœur et l’autre derrière iceluy."
L'horloge est obsolète, ne sonnant que les heures, et rendue dangereuse par ses poids qui pendent sur le passages des moines. Il est demandé de la remplacer : "Ensuite nous aurions visité l’horloge que nous aurions trouvée sans autre sonnerie que celle des heures, et encore si caduque qu’il ne peut être réglé, lequel aussi nous avons remarqué être en lieu fort incommode, tant parce que par sa proximité il trouble repos du chœur et la paix de l’oraison, que parce qu’il y a beaucoup à craindre que les poids ne blessent ceux qui entrent au chœur et à la sacristie et (ceux) qui sonnent. Pour ce, il est nécessaire d’en avoir un [sic] nouveau et de le placer, ou sur la voûte de la croisée droite de l’église ou sur le lambris du dortoir près du clocher."
A la sacristie, le visiteur énumère la trop courte liste des chasubles de chacune des couleurs. Il en manque beaucoup, de même que de linges pour les divers autels. Il n'y a que trois calices, dont un percé au fond, mais il en faut pour le moins quatre.
Le dortoir à l'étage est trouvé en bon état, "sauf que nous l’aurions senti du tout infecté par les lieux communs qui n’ont point d’égout, ce qui rendrait à la suite du temps ledit dortoir inhabitable si on ne fait pas au plus tôt un canal pour les vider", ce qui avait déjà été signalé l'année précédente. Il manque une cloche sur le toit pour réveiller les moines à matines et appeler aux repas.
Semble-t-il situés sous le dortoir (et non au sud du cloître) se trouvent les réfectoire, chapitre, cuisine et chauffoir, dont seules les menuiseries des fenêtres de la cuisine qui sont à ras-de-terre suscitent une remarque. Il faut y mettre des barreaux pour protéger les vitres : "Du dortoir, nous serions descendus au réfectoire, chapitre, cuisine et chauffoir, dont nous aurions trouvé les châssis des vitres et les volets de menuiserie sans aucunes ferrures et les fenêtres de ladite cuisine qui sont à ras de terre non barrées, lesquels ferrements doivent être au plus tôt faits pour conserver les vitres qui ont beaucoup souffert, faute d’iceux." Dans le même ensemble on souhaite aussi au chapitre (salle de réunion, ou seuls les profès ont "droit au chapitre"), des bancs (dits formes) pour s'asseoir, et un pupitre pour la lecture.
La compréhension de l'état du cloître est relative au positionnement du réfectoire, puisque ce cloître est en bon état depuis l'église jusqu'à la porte du réfectoire. Ensuite, il menace ruine, du moins pour sa muraille intérieure, et certains piliers manquent. Nulle part, il n'est pavé, trois allées n'ont ni voûte ni lambris. De plus la fontaine centrale, étonnamment dite seule source d'eau pour les moines, est souvent à sec, par manque d'aménagements : "Ensuite nous aurions fait le tour du cloître qui est en état depuis l’église jusqu’à la porte du réfectoire, mais depuis ladite porte jusqu’à l’entrée du monastère la muraille de la main droite menace ruine, les piliers qui la soutiennent manquent en plusieurs endroits, comme aussi les fondements. Il y a trois allées dudit cloître qui n’ont ni voûte ni lambris, et tout ledit cloître n’est point pavé La fontaine qui est en iceluy cloître est la plupart du temps inutile, les tuyaux de bois qui la conduisent étant pourris, ce qui est d’autant plus incommode que les religieux ne peuvent avoir de l’eau que par ladite fontaine".
Vu_Le corps de logis suivant, qui menace ruine et dont un mur est du côté jardin, semble bien le bâtiment qui borde le côté sud du cloître, mais sa situation par rapport aux autres bâtiments nous laisse circonspects : "Nous aurions ensuite visité le corps de logis qui est entre le dortoir et le corps de logis qui fait face à l’entrée du monastère, et nous avons remarqué que la muraille du côté du jardin et qui est lié par des clefs de bois penche extraordinairement et menace ruine s’il n’y est pourvu au plus tôt."
La maison signalée ensuite est-elle qui se trouve au centre du verger ? "(...) et continuant notre visite des bâtiments commencée le jour d’hier, nous aurions vu que le couvert de la maison qui est derrière le dortoir est à demi pourri, et passant outre nous aurions trouvé une palissade qui renferme le derrière dudit monastère et le jardin, et laquelle sert d’enclos. Et comme il est de la sûreté du monastère et du bon ordre qu’il y est un enclos de murailles d’hauteur raisonnable et qu’il parait les vestiges de celuy qu’il y avait autrefois, nous n’avons rien jugé de plus pressant que d’en faire un conformément à l’ancien."
La visite des bâtiments se termine par la mention de locaux qui manquent, pour les infirmes, les hôtes des religieux et l'entrepôt du blé, avec l'indispensable aménagement de lieux pour ces trois usages. On est toutefois étonné que de nombreux autres bâtiments n'aient pas non plus été cités : la chapelle des morts, le clocher ou le four des aumônes. La même omission concerne l'appartement de l'abbé où pourtant le visiteur ne peut qu'y avoir passé la nuit du 3 au 4 août !
L'acte, lui, se termine par la mention de plaintes concernant les aumônes, qui ne sont pas quotidiennes à l'ordinaire, ni avec la bonne quantité de blé pour les extraordinaires. Il est convenu que l'abbé sera informé et devra faire le nécessaire à ce sujet ainsi que, fort logiquement, pour les travaux à effectuer. En effet ces travaux sont du ressort du seul abbé.
Un acte postérieur de quelques mois, daté du 18 novembre 1679, fait état de plaintes contre Dom Pierre Gros, ancien cellérier de Chézery, avec ordre à lui donné de rendre compte de sa gestion entre le 17 février 1679 jusqu'au jour où il a cessé d'être cellérier.
Source : AD73, SA 206, f° 107.
Publication : Ghislain Lancel. Remerciements : Frère Jean-Bénilde (Tamié) ; Hélène Rinaldi (Transcription).
Première publication, le 26 juin 2020. Dernière mise à jour de cette page, idem.