Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
La visite de Chézery, le 24 août 1717, par Arsène de Jougla, abbé de Tamié, lui aussi nommé vicaire général de Cîteaux pour les abbayes cisterciennes de Savoie, sera la seule. Il se fait accompagner par Dom Jean Curton, un religieux de son abbaye et son secrétaire. À la lecture du rapport, visiblement, Arsène de Jougla, trappiste (cistercien de la stricte observance et vivant dans le silence, la prière et le travail manuel), est moins satisfait du respect des règles à Chézery que son prédécesseur ne l'avait été en 1699.
Pas plus que lors des visites précédentes, les abbé, prieur et religieux ne sont dénommés. L'abbé commendataire est Victor-Amédée-Joseph de Savoie, dit Joseph de Savoie, alias Guiseppe de Trecesson, enfant illégitime de "première noblesse", fils du duc Charles-Emmanuel II de Savoie et de Jeanne de Trécesson. Le prieur n'est plus comme en 1699 un religieux de Balerne, mais un religieux d'Aulps.
Le visiteur trouve à Chézery, "outre le prieur qui est religieux d'Aulps, six religieux profès du dit monastère et un convers, outre lesquels il y a trois autres absents, savoir : un qui est prieur d'Hautecombe et deux qui résident en des abbayes de France".
La référence invariante est rappelée dès le début de la "carte de visite" : "Le Bref du pape Alexandre VII donné en 1666 pour la réforme générale de notre Ordre, sera à l’avenir observé ponctuellement par toutes les personnes régulières de ce monastère, sous les peines de l’Ordre. Et pour commencer, (...) on se lèvera à deux heures les jours solennels (...) ; on continuera de faire les pauses comme on les fait grandes au milieu de chaque verset des psaumes de l’office divin (...), on chantera rondement (...), on ne manquera point de faire chaque jour une demi-heure de méditation (...), et dans le cours de l’année, chaque religieux fera la retraite spirituelle des dix jours (...)", "tous seront très assidus aux offices divins et prompts à s’y rendre" ; "Au sortir de Complies, chacun se retirera dans sa cellule (...) ; "tous garderont inviolablement le silence en tous lieux, et en tout temps dans les réguliers, savoir : dans l’église, le dortoir, le cloitre, le réfectoire et le chauffoir lors qu’on en aura (a)ménagé un ; Le prieur ne manquera point de tenir régulièrement le chapitre, pour instruire, reprendre et corriger les religieux lorsqu’il en sera besoin", "Nul religieux ne donnera ni ne recevra quoi que ce soit au monde, lettres, présents, dépôts ou autre chose sans la permission du prieur", etc.
"Les jours ouvriers , qui ne seront pas fêtes de sermons ou de deux messes, les religieux travailleront des mains, selon l’usage et les règlements de l’Ordre, le matin après Primes et l’après diner avant Vêpres, et cela au jardin ou ailleurs selon que le supérieur le leur ordonnera."
Des travaux au cloître perturbent la lecture spirituelle, laquelle "se fait en communauté immédiatement avant qu’on commence les Complies, pourra être continuée dans l’église pendant qu’on travaillera à rebâtir le cloitre ; mais lorsque ledit cloitre sera en état, on la fera dans une de ses ailes, selon qu’il est ordonné, ou du moins dans le chapitre, l’espace d’une petite demie-heure environ".
On sait qu'Arsène de Jougla met l'accent de son abbatiat sur la séparation du monde, la solitude et le travail manuel. Aussi, il n'est pas surprenant que sa carte de visite de Chézery accorde une grande place aux articles traitant de la limitation des contacts avec les personnes extérieures des deux sexes : "Comme la cour devant le monastère [dont il reste l'actuelle Place de l'Église] est ouverte à toutes les personnes séculières de l’un et de l’autre sexe, à cause de l’église de paroisse qui y est, nous défendons très expressément à tous les religieux d’y aller sans une permission expresse (...)", et plus encore " L’on tiendra toujours les portes du monastère et de l’enclos régulier fermées, et l’on n’en permettra point à aucune femme l’entrée, sous peine d’excommunication, ipso facto." ; "Le Prieur ne permettra pas aux personnes séculières de l’un et de l’autre sexe de passer les balustres qui séparent le chœur de la nef, pour quelque raison que ce soit [honorer les reliques de St-Roland], même pour aller communier, comme elles ont fait jusqu’ici au grand autel qui est dans le chœur ; il empêchera de même qu’on y entre, selon l’usage établi aux jours de certaines fêtes et processions[St-Roland] (...) on tiendra pour cela très exactement les portes des balustres toujours fermées".
Les articles concernant le dortoir et les tenues vestimentaires, sont aussi bien développés, voyons :
Nous renouvelons l’ordonnance ci-devant, faite par Mr le Révérend abbé de Clairvaux [en 1687 ?], laquelle a été négligée, qui est de remettre les chambres du dortoir de deux côtés, tant pour les portes, entrées et séparation que pour les cheminées dans le même état où elles étaient, avant qu’on eût joint deux chambres en une, et qu’on y eut fait des cheminées.
On ne souffrira plus à l’avenir, pour quelque considération que ce soit, que les fermiers retirent leur blé dans les chambres du dortoir, et nous ordonnons à Dom Prieur de leur faire vider incessamment et sans délai celles qu’ils occupent.
Tous, supérieurs, officiers et autres coucheront dans le dortoir, où l’on tiendra durant la nuit la lampe toujours allumée depuis les Complies.
Et chacun d’eux y couchera dans sa cellule, tout vêtu, sur une simple paillasse sans matelas et dans des draps de laine qu’on achètera le plus tôt qu’on pourra.
Et ils n’useront tous à l’avenir que de chemises de serge, tant dehors que dedans le monastère, suivant l’article 29 du même Bref, en conséquence duquel nous leur défendons absolument l’usage de celles de toile, et ordonnons au cellérier de faire incessamment emploi des serges et étoffes nécessaires pour cela, en sorte que chacun ait un nombre suffisant de chemises de serge ; Dom Prieur tiendra main à cela.
Le Prieur aura toujours une clef pour pouvoir entrer quand il le voudra dans chaque cellule des religieux et les visiter ; mais nul d’entre eux n’entrera dans celle d’un autre, ni fera entrer personne en la sienne, domestique ou étranger, sans une extrême nécessité et sans la permission dudit Prieur. Nul encore ne se fermera dans sa chambre par derrière lors qu’il y sera dedans et il laissera en dehors la clef attachée à sa porte.
Nous défendons aux religieux, très étroitement, l’entrée de la cuisine, (...)".
D'autre articles concernent l'abstinence de la viande aux jours requis, la lecture au réfectoire, les visites par des personnes étrangères au monastère, les promenades hors de l'enclos (le supérieur en tête, sans jamais se séparer, ni non plus entrer dans aucune maison pour y boire ou manger), ne plus dire la messe ailleurs que dans le couvent, faire voir lors des voyages que l'on est religieux, le catéchisme, et d'une manière générale, la conduite des moines.
Lien vers la transcription intégrale de la visite.
Source : AD73, SA 206, ff° 311-316.
Publication : Ghislain Lancel. Remerciements à Christian Regat, et pour son ouvrage, Tamié et les Cisterciens en Savoie : l'abbatiat d'Arsène de Jougla, 1707-1727 (1998).
Première publication, le 26 juin 2020. Dernière mise à jour de cette page, idem.