Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Les années révolutionnaires à Champfromier
d’après l’étude des décès

Consulter un acte de décès isolé ne donne satisfaction qu’à celui qui se sent concerné. Par contre relever l’ensemble des actes d’une période donnée permet d’éclairer la connaissance du village et de ses habitants, pour la période considérée. C’est ce qui a été fait pour les 278 actes de décès de Champfromier ayant été portés sur les registres d’état civil avec une date du calendrier révolutionnaire, soit sur une période d’un peu plus de douze années, entre le 22 Brumaire an II (12 novembre 1793) et le 10 Frimaire an XIV (1er décembre 1805).

Le clergé

Bien entendu les registres ne détaillent pas les déboires du clergé ni ceux de leurs édifices, ni même ceux de l’ancien curé de la paroisse, Jean-Antoine Genolin, prêtre au pays durant près de 30 ans, exilé en Suisse et arrêté à son retour. Quelques remarques témoignent néanmoins de ces profonds bouleversements : on ne consigne plus les inhumations mais les décès, et naturellement, ce n’est plus le prêtre qui signe mais le maire, ou plus souvent un adjoint ou un délégué à la fonction. Les premiers actes de l’an II sont signés de "Ducrest, officier public".

Les changements administratifs

A la date du début de la mention des dates révolutionnaires, fin 1793, la Révolution était déjà passée depuis quatre années et les champfromérands avaient été confrontés à bien des nouveautés, comme ces changements administratifs, avec l’instauration des départements, cantons, communes, maires et conseils, ceux-là prenant la place des circonscriptions de l’Ancien régime, et ceux-ci les responsabilités à la place du clergé. Les registres insistent sur ces changements par bon nombre de lignes répétées, avec quelques variantes, en début de chacun des actes, où chacun est devenu citoyen : "Ce jourd’hui, seize frimaire de l’an deux de la République Française, une [et] indivisible, pardevant moi Julien Tournier, premier officier municipal de la commune de Champfromier, remplaçant le citoyen Joseph Ducret, absent faisant la fonction d’officier public élu pour recevoir les actes destinés à constater la naissance, les mariages et le décès des citoyens, sont comparu…" Ouff ! Plus tard les mentions des circonscriptions apparaissent, "commune de Champfromier, département de l’Ain", "Arrondissement de Nantua", etc.

Le système monétaire.

Le franc, divisé en cent centimes est mis en place en 1795. Il remplace la livre, qui valait 20 sols, chaque sou valant 12 deniers, ces sous et deniers dont on a encore gardé quelques souvenirs, du moins dans quelques expressions (Jusqu’à son dernier sou, les deniers publics, etc.) Les registres devant être certifiés, les cachets des taxes témoignent du changement monétaire (Voir ci-dessous en l'an V, un double cachet, utilisant les deux unités monétaires, 8 sols et 50 centimes, valeurs sensiblement identiques). Le système métrique, conçu dès 1795 mais dont la vigueur ne sera exigée que fin 1801, lui, sera beaucoup plus long à entrer dans les mœurs.

Où habitait-on ?

Le chef-lieu est alors l’actuelle rue de l’église. Les autres lieux sont curieusement tous considérés comme derrière le village, plus loin, à l’écart, ainsi "au Poiset, rière cette commune", et même du "Pont-d'Enfer, rière Champfromier" [Décès de Jeanne-Marie Coutier, en 1800]. Ce qui surprend aujourd’hui, c’est la très grande dispersion des lieux d’habitations. Les hameaux actuels sont évidemment les plus cités, avec Monnetier en premier, mais aussi la Combe d'Evuaz, Communal, le Collet et Conjocle. Mais on relève aussi de très nombreux lieux-dits, à l’orthographe hésitante : Barbouillon, Berny, Bordat, Chandelette, Charrière, Choudane [Chaudanne], Dier [Dière], Druget, "Auz ylles" [Aux Iles], Male Combe [Malacombe], Moulin-Dernier, Nerban, Poiset, Poutachet [Potachet], Prabron [Pré Brun], Pré Grevay [Pré-Grevet], Réret, Sous-les-Rochers, Soliet, ainsi que d’autres lieux-dits plus énigmatiques, Borjaz/Borjat, Sur-le-Buan, Chernat" [Chernaz], Léculai? [ La Cullaz ?], La grange de Lirramas [Ramas ?], Grand-Poutay (Grand-Poutain), L’Oulaz, A la Tape.

Les guerres révolutionnaires

Les transcriptions de décès, en dehors de celle de Chrysostome Mathieu, cabaretier de Champfromier décédé à Lyon en 1804, sont toutes celles de jeunes hommes qui n’eurent pas droit à la distinction d’être Mort pour la France, et pourtant ! François Genolin, fusiller au 1er bataillon de l'Ain, 7e Cie, est décédé en 1794 à l’hôpital de Vesoul [Haute-Saône]. La même année, décèdent aussi François Martin, dit volontaire au 8e bataillon de l'Ain, 5e Cie, décédé à l'hôpital militaire de Colmar (Haut Rhin), et Joseph Nicollet, Fusiller au 8e bataillon de l'Ain, 7e Cie, mort d’une dysenterie à l'hôpital militaire d'Auxonne (Côte d'Or), tous trois semblant avoir 21/22 ans. Julien Julliand, fusilier au 101e RI, 2e Bataillon, 1ère Compagnie, est mort pour Napoléon et la France en novembre 1804, quelque part en la « commune et hôpital San-Benedetto » – les villages à ce nom sont nombreux en Italie –, par suite de fièvre, ainsi que le témoigne le commissaire des guerres. Et il n'est pas le dernier... On comprend que le fameux tirage au sort ait été tant redouté !

Quel métier exerçait-on ?

Le grand nombre de lieux-dits éparses cités, à lui seul, donnerait une nette indication sur les métiers d’alors. Les mentions le confirment, surtout citées par les témoins, tout le monde était cultivateur ! N’exagérons pas, il y avait quand même quelques exceptions, en particulier au village et, naturellement, il n’y eut pas un mort pour chacune des professions dont certaines sont donc ignorées. André Tournier, était laboureur, ce qui n’est qu’une variante notable du cultivateur, et peut-être est-ce le cas aussi pour Jacques Grenard, marchand (de bestiaux ?) à la Combe d'Evuaz. Les vraies exceptions, en dehors des appelés sous les drapeaux, sont Etienne Mathieu, boulanger au Pont d’Enfer, Jean-Baptiste Couttier, maréchal (patenté en 1799) et Pierre Ducret, meunier, tous deux en ce même lieu, et Joseph Ducré, cabaretier patenté, aussi au Pont d’Enfer. La plus grande originalité est toutefois Jean-Claude Boulanger, chapelier natif de Lorraine (qui a épousé une fille Mathieu du village). On relève, hors de l’agglomération de cette vaste commune, Claude-François Ducret meunier à Moulin-Dernier, Bernard Collet, maréchal patenté à Monnetier, Roland Collet, peut-être aussi maréchal patenté à Monnetier (sinon, cultivateur), Nicolas Ducret, tisserand à Monnetier, Claude Ducret, cordonnier à Monnetier, Victor Bornet, Maître menuisier au Bordat, Jean-François Seigne-Martin, cordonnier au Potachet, et Claude-Charles Bornet, huissier publique (à Chézery).

A quel âge mourait-on ? Causes des décès

Durant cette douzaine d’années de dates révolutionnaires, l’âge moyen du décès est de 38 ans et demi (274 actes identifiés). C’est peu, et on compte 80 enfants qui avaient moins de 15 ans (29 % des décès, près de un sur trois), dont 34 enfants n’ayant pas atteint l’âge de 1 an (12 %). Toutefois, si l’on arrive à atteindre cet âge de 15 ans, alors l’espérance de vie devient plus importante, avec une moyenne de 53 ans, on peut même espérer quitter ce monde à 91 ans, comme Jean-François Tournier, dit le Régent (surnom présumé attribué vers la fin de sa vie, justement en fonction de son grand âge).

Les causes des décès ne sont en général pas mentionnées, tout juste peut-on remarquer que les années 1794, 1800 et 1805 déplorèrent de nombreux morts (épidémies ?), respectivement 39, 36, et 40 décès, alors que la moyenne est de moins de 23 décès par an. François Julian, 80 ans, s’éteint 5 jours après son épouse, Marguerite Nicollet, âgée de 64 ans. Marie Juilland meurt le même jour que sa fille sans vie. Marie-Rolande Bouillet, épouse Tavernier, décède de brûlures, suite à un incendie de maison au Pont d’Enfer. Certains handicaps n’avaient toutefois pas fait mourir jeune, Marie-Françoise Marquis, cultivatrice célibataire, muette de naissance, décédée en 1803, âgée de 57 ans, et Claude-Joseph Julian, aveugle, mort en 1804, âgé de 60 ans.

Champfromier, village réputé pour les convalescents ?

Certaines correspondances de vieilles cartes postales de Champfromier font état de personnes, venant de Lyon ou d’autres lieux de la région, en convalescence à Champfromier. L’air pur et la tranquillité de ce village pourrait avoir incité de longue date les convalescents à venir reprendre des forces à Champfromier, de même, peut-être aussi que de justifier l’accueil des « enfants de la préfecture », ces enfants trouvés des hospices de Lyon, et même, plus tard, d’expliquer les liens permanents entre Lyon et Champfromier (canuts, etc.) C’est du moins ce que suggère, à propos de la santé et des enfants placés, le décès de Jeanne Régner, âgée de 5 mois (27 mars 1795). Ses parents sont en effet "fabriquant en soye demeurant à Lyon". L’enfant est en nourrice chez Alexis Tavernier, cultivateur et premier témoin, tandis que le second témoin est Jacques-Philippe Rostant, 22 ans, oncle, "demeurant actuellement à Champfromier, en convalescence".

Fin du calendrier républicain

On finira par le calendrier. Même si les nouveaux mois, ont tous 30 jours, et qu’ils s’inspirent de la nature, comme Brumaire le mois des brumes, ou Floréal celui des fleurs, ils compliquèrent singulièrement la tâche des administratifs, avec un début d’année décalé de neufs mois et la disparition des saints de chaque jour. Un vrai casse-tête, à tel point que l’on double faussement une partie des dates, mélangeant tout. Au début, on ne rajoute que l’année révolutionnaire, et ce, jusqu’au "onze novembre mil sept cent quatre vingt trese, l’an second de la République". Deux jours plus tard, la vraie conversion exigée commence, avec les jour et mois du calendrier républicain, mais on garde encore l’année ancienne "le Vingt huit Brumaire mil sept cent quatre vingt trese, l’an second de la République", et quelques temps plus tard seulement on supprime enfin l’année grégorienne "le seize frimaire de l’an deux de la République".

On peut penser que les mécontentements relatifs à ce calendrier comprenaient une opposition assez générale à la nouveauté et à la perte des repères religieux et d’une manière générale aux effets pervers de la Révolution, témoin ce commentaire de l’adjoint à l’enregistrement des décès, soulagé de la disparition de l’ancien calendrier : « Ici finit le Calendrier Républicain, le dix nivôse an quatorze, à six heures du soir, et cette nuit à minuit, le Calendrier Chrétien, dit Grégorien, est remis en usage, au grand contentement de tous les honnêtes gens et surtout de celui qui écrit ceci, à Champfromier le 31 décembre 1805, à six heures du soir » Signé, Nicolas Ducrest, adjoint.

 

Relevé des décès : Ghislain Lancel

Dernière mise à jour de cette page, le 22 janvier 2008.

 

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