Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Comme chacun sait, la commune de Champfromier présente plusieurs particularités dont l'une est d'être constituée de deux parties de territoire d'altitudes très différentes (600 et 1300 m environ), celle la plus élevée comprenant la Combe d'Evuaz. Ce hameau est de plus éloigné de plusieurs kilomètres du chef lieu, mais proche des Bouchoux... Champfromier et les Bouchoux ne sont pas dans le même département (respectivement Ain et Jura), et pas même dans la même région (Rhône-Alpes et Franche-Comté). Sous l'Ancien Régime les paroisses limitrophes de Champfromier et des Bouchoux étaient déjà délimitées par les mêmes territoires, mais avec une distinction d'importance, à savoir qu'elles ne relevaient pas de la même Eglise, Champfromier étant dans l'emprise du prieur de Nantua (clunisien) tandis que les Bouchoux relevaient de Saint-Claude (bénédictins) au nord, sans compter Chézery à l'est, purement cistercienne.... Toutes ces frontières administratives et religieuses se voulaient pourtant ignorées par bon nombre de ceux de la Combe d'Evuaz de Champfromier comme de ceux des Bouchoux... Rappelons-nous, tout près de la Borne au Lion en 1613, l'ambiance d'émeute et les bornes frontières qui avaient d'abord été jetées dans les broussailles quand les souverains avaient voulu matérialiser la nouvelle frontière après que le Bugey soit passé de la Savoie à la France, juste en face de la Franche-Comté, soumise aux rois d'Espagne de la maison de Habsbourg...
Jusqu'au XVIIIe siècle, n'habitèrent à la Combe d'Evuaz que des fermiers de grands propriétaires. L'hiver, la hauteur de neige pouvait atteindre les deux mètres (on l'a d'ailleurs encore vu au Nerbier en décembre 2012...) Inutile de préciser que ces fermiers ou domestiques, parfois présents seulement l'été, n'avaient pas la tâche facile pour aller faire baptiser leurs enfants au chef-lieu de la paroisse, et de même pour y déclarer leurs morts (ne parlons pas de l'inhumation, le mort attendait parfois plusieurs mois sur le toit réfrigérant de la maison...) Ils étaient donc bi-paroissiens, opportunistes apatrides, voire aucunement paroissiens... La bonne paroisse n'était pas celle du sol, mais celle d'accès le plus facile, en l'occurrence le plus souvent les Bouchoux, pour ceux de la Combe d'Evuaz. La communauté des Bouchoux est d'ailleurs celle avec laquelle s'effectuent alors de nombreux contacts professionnels, familiaux et matrimoniaux. Avec Champfromier, les liens étaient beaucoup plus ténus, et seulement épisodiques, pour respecter les obligations religieuses. Par contre il arrivera qu'on l'on y déménage, définitivement, au bénéfice d'un climat plus accueillant en plus basse altitude.
Parmi les occupants de la Combe d'Evuaz, on observe donc un bon nombre de baptêmes déclarés aux Bouchoux, puis à Champfromier, et dans ce cas, en général dès que possible, mais on verra que le délai pouvait atteindre une ou deux années... Certains actes ne sont enregistrés que dans l'une des deux paroisses, ou nulle part... François-Joseph Vuaillat-Brézin est baptisé aux Bouchoux "à raison de l'impossibilité d'aller à Champfromier, tous demeurant à la Combe d'Evoua" [AD39, 5MI 146 (30/11/1774)]. Marie-Claudine Grenard est baptisée aux Bouchoux, en plein été, le 30/08/1789 (sous le nom de Grenat) [AD39, 5MI 146], mais elle n'est mentionnée (pour la bonne date) dans les registres de Champfromier que l'année suivante, après un acte du 21 février 1790 ! Et tant qu'à faire un si long voyage, l'acte immédiatement suivant consigne le baptême de sa sœur Marie-Rose, née un an encore avant la Marie-Claudine, le 20 février 1778, soit avec deux années de retard... Le registre reprend ensuite sa chronologie normale avec un acte du 26 février 1790...
En regard de ces "paroissiens" décentrés et dont la préoccupation première ne devait pas être le respect du droit canon, les prêtres, eux, tentaient d'y pallier et témoignaient de moult précautions de non ingérence entre paroisses... On relève ainsi des mentions comme : "les parents demeurant alternativement sur la paroisse des Bouchoux et sur celle de Champfromier et actuellement sur cette dernière" (Décès d'une Marie-Rose Mermet, le 27/07/1777 [AD39, 5Mi 146]). Claude-Joseph Perrin, de père des Bouchoux, se marie en 1766 en cette paroisse, avec accord du curé de Champfromier "à l'occasion du domicile du marié en tant que domestique sur la paroisse" [AD39, 5Mi 146 (15/07/1766)]. Marie-Josèphe Grospiron se marie en 1776 avec lettre du curé Genolin de Champfromier "paroisse où l'épouse a résidé en tant que servante" [AD39, 5Mi 146 (20/02/1776)]. Jacqueline Pillard, de Champfromier, épouse Jean-François Burdet, avec lettre du Sieur Humbert, archiprêtre et curé de Champfromier et agrément de l'évêque de St-Claude... [AD39, 5Mi 145 (04/02/1744)].
Les actes de décès ne font pas exception. Jeanne-Marie Vuaillat-Brézin, 16 ans, meurt avec deux actes de décès (tous deux du 23/02/1769), l'un aux Bouchoux et l'autre à Champfromier (toutefois elle n'est inhumée qu'aux Bouchoux !)
Dans ces flux de populations, bi-paroissiens ayant parfois des comportements d'apatrides, on se demande parfois qui était vraiment de Champfromier ? Et si oui, s'il l'était de son baptême à son décès !
Publication : Ghislain Lancel.
Première parution de cette page, le 2 janvier 2013. Dernière mise à jour, idem.