Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Pourquoi les Bornettes ne furent pas brûlées par les Allemands ?

"Les Bornettes" est une ferme de la Combe du Collet, une "combe" bordée de sapins s'étendant à l'ouest des territoires de Champfromier et de Montanges qui la partagent par moitié, tandis que les abords nord sont situés sur la commune actuelle de Giron, au hameau dit de "Mures". Concernant la partie propre à Champfromier, il n'y avait plus de fermes habitées à la Combe du Collet depuis le recensement de 1931. Par contre, des vaches y étaient encore mises à paître, l'on y fanait encore (parfois même on y cultivait du blé) et les fermes servaient à y entreposer ce foin. Cette désaffection humaine fut une aubaine pour les résistants qui y trouvèrent refuge durant la Seconde guerre mondiale.

Au moment où se déroule le récit qui suit, le lieutenant de Vanssay vient d'être tué avec dix de ses compagnons à Montanges (8 avril), cinq rescapés ont trouvé abri à la Combe du Collet. Le patriote Alfred-Louis Hottlet a été exécuté (9 avril) sur la route des Avalanches, à Champfromier. Les Allemands vengeurs produisent leurs dernières exactions à Champfromier et dans les environs.

 Avril 1944, des fermes incendiées mais pas toutes...

En avril 1944 les Vouaillat, qui habitent une ferme à Mures (hameau de Giron, à gauche après le tunnel quand on vient de Champfromier), voient partir en flammes la ferme située au-dessus de la ferme Reybier (actuel gîte au Chalet du Jura). Ils comprennent tout de suite que les Allemands, arrivant de St-Germain-de-Joux à Pras-Pezy (Giron), commencent à brûler les fermes inoccupées, en représailles aux nombreux maquisards qui y séjournèrent, et que toutes les fermes de Mures et de la Combe du Collet vont aussi partir en flammes.

De fait, et même si tout le monde aurait naturellement protesté du contraire, il y en avait bien encore à ce moment là des maquisards cachés à proximité… D’ailleurs Denis et son frère allaient depuis une ou deux semaines leur porter une gamelle de nourriture, devant la maison du Boulat (lieu-dit à la limite entre Champfromier et le sud de Giron) et ils reprenaient celle qui était laissée vide au même endroit, sans jamais que personne ne se montre. Ces hommes de l’ombre avaient été prévenus que deux enfants portant tunique noire à boutons rouges, la tenue traditionnelle des écoliers de Giron, viendraient régulièrement leur porter la nourriture.

Les Vouaillat possédaient aussi la ferme des Bornettes (territoire de Champfromier), pas très loin de leur maison, dans la Combe du Collet. Une ferme étant déjà en flammes, ils attèlent aussitôt leur mulet Bichette à un char pour aller récupérer du foin aux Bornettes et éviter ainsi que leurs vaches ne meurent de faim quelques jours après. Dans le même temps le père, qui savait la présence des maquisards dans les bois d’en face, donne l’ordre à son fils Denis de courir jusqu’à Chevillard, là de crier « les allemands arrivent » et de revenir aussi vite. C’est donc ce que Denis s’empresse de faire. Mais après avoir crié l’information et fait demi-tour il voit la trace de ses pieds d’enfant dans une plaque de neige de Pâques. Lui aussi sait réagir vite : ses pas dans la neige seraient vite identifiables par les allemands, aussi prend-t-il néanmoins le temps de les effacer en frottant la neige de ses pieds avant de revenir en courant.

De retour aux Bornettes, où il retrouve son père et son grand-père en train d’espérer sauver un char de foin, les allemands arrivent presque aussi vite. La surprise de trouver là une présence humaine inattendue les perturbe, aussi ne mettent-ils pas le feu à la grange. Du coup, ils changent d’attitude et pensent tirer un meilleur parti de la situation en questionnant les hommes sur les maquisards, des terroristes français comme ils disent. Naturellement le père répond qu’il n’y en a pas, qu’il n’y en a jamais eu ! Les allemands aperçoivent cependant des vitres cassées qui pourraient bien indiquer que des maquisards les ont brisées pour pénétrer dans les lieux. Le père répond que bien au contraire, ce sont des allemands qui y sont venus quelques jours auparavant… Mais les allemands présents doutent, le ton monte et le grand-père est mis à terre où ils commencent à le rudoyer de coups de crosse de fusil…Le père essaye de les calmer. Un allemand sort alors une carte et fait comprendre au père que s’il veut que ça s’arrête il n’a qu’à les mener au lieu-dit la Grange de Chevillard. Il s’exécute et les entraîne dans le bois, devant passer là où il sait que sont les maquisards que son fils a prévenus. Heureusement personne ne les voit. On saura plus tard qu’ils étaient couchés, blottis dans la neige, à seulement une quinzaine de mètres. Ils raconteront alors à Denis qu’ils avaient vu son père passer avec une dizaine d’allemands. Arrivés à Chevillard, ceux-ci exigent alors que le père les mène au Petit-Marnod (Montanges). Ils reviennent ensuite à la Tapette (Montanges). Là, dans la ferme d’en face, des hommes sont présents, ils ont eu la même idée de tenter de sauver un peu de foin. Et devant cette présence humaine les allemands réagissent de la même manière qu’aux Bornettes, n’ayant pas eu l’ordre de brûler les fermes occupées.

Pendant ce temps, à Mures, on se lamente de ne plus jamais revoir le père vivant. Il était parti à 9 heures du matin et il est déjà 16 heures. Ils ne le savent pas mais il est pourtant encore en vie, assis dans l’herbe, attendant la suite de son sort. Mieux, inespéré, un allemand lui fait signe de dégager les lieux ! Le père ne se le fait pas dire deux fois et rentre précipitamment à Mures où c’est la joie de le voir revenir. Pas collabo du tout, contrairement à ce que certaines mauvaises langues propageront ensuite, le père est en vie, et ce n’est que par le hasard de la présence de trois hommes présents aux Bornettes que les allemands n’y ont pas mis le feu ! Une vraie chance quand on sait que 22 fermes partirent ce jour là en cendre dans la Combe du Collet, dont trois à Mures.


La ferme des Bornettes, Combe du Collet, Champfromier

Sommé de mettre le feu, ou de perdre la vie...

Une autre histoire semblable, mais à la fin moins heureuse, est celle de Fernand Jeantet, dont la maison était située non loin de celle des Bornettes, placée à l'angle de deux routes dont l’une en direction de l’actuel Chalet du Jura (territoire de Giron, maison ayant appartenu précédemment à Maradan). Lui aussi était des Mures et lui aussi était présent devant la grange de Gustave Juillard, dit Pékin. Cette grange est à droite peu après le début du long chemin rectiligne parcourant toute la Combe du Collet, avec un portail d’accès, et c'est là qu'il entreposait du foin qu’il espérait sauver. Pékin, comme bien d’autres, n’habitait plus sa ferme. Il travaillait aux Chemins de fer. Lorsque les allemands arrivèrent devant sa ferme, ils réagirent de la même manière à la vue de la présence d’un homme, Fernand Jeantet, et n'y mirent pas le feu. Mais ils proposèrent un pire dilemme à Fernand. Un allemand parlant parfaitement le français, probablement un de ceux de la Gestapo, lui intima l’ordre de devoir lui-même brûler la ferme avant lundi, et que sinon ils le fusilleraient… On imagine la détresse de l’homme voyant les allemands lui tourner le dos en lui laissant ce lourd cas de conscience. Se confiant auprès du père Vouaillat, celui-ci lui conseilla de ne rien faire, étant presque certain que les allemands ne reviendraient pas. C’est donc ce qu’il fit…, sauf que le fatidique lundi matin, il alla craquer une allumette dans le foin de la ferme !

"Collabo" ou pas ?

Période particulière que celle de ces fermes brûlée et de leurs propriétaires, les uns accusés d’êtres collaborateurs, les autres de s’être fait construire de belles maisons avec les dommages de guerre, et quant à ceux dont la ferme n’avait pas été incendiée regrettant de n’avoir plus eu à vendre ensuite qu’une ferme sans valeur quand les dommages leur auraient permis de se reconstruire une très belle maison au village ou à la ville....

 

Citons encore le cas d’Antonin Trossy (demeurant vers Pras Pezy) qui, dans un autre domaine que d’avoir sa ferme brûlée ou pas, illustre bien la difficulté de juger des agissements des uns et des autres en ces moments là ! Alors que l’on pressentait que les allemands allaient arriver mettre le feu dans la Combe du Collet en venant de St-Germain-de-Joux, les maquisards avaient décidé de leur barrer la route. A proximité de l’endroit où passe le Nant d’Enfer (ruisseau de Giron qui prend sa source à Mures et se jette dans la Semine) ils avaient abattus de gros arbres, mais fallait-il encore les tirer jusqu’à la route… Qui avait des bœufs pour les acheminer ? Antonin Trossy. Il se met donc au service des maquisards. Deux ou trois jours plus tard, les allemands arrivent. Des arbres barrent la route. Qui a des bœufs pour dégager la route ? Antonin Trossy. La suite se devine…

 

 

Remerciements : Denis Vouaillat, journaliste, né "à Mures", d'après son récit vécu et avec son accord. Crédit photographique : Ghislain Lancel (23/09/10).

Première publication le 29 septembre 2010. Dernière mise à jour de cette page, 2 octobre 2010 .

 

 


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