Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Champfromier préfère demeurer mainmortable, en 1608

 

Contrairement à une dizaine d'autres communautés relevant du prieur de Nantua, le premier octobre 1608, Champfromier, refuse l'affranchissement ! Il en résulte une nécessaire confirmation des délimitations paroissiales (pour savoir si certaines taxes sur des mutations de parcelles limitrophes sont applicables ou pas), et le maintien du droit d'échute pour les hommes décédés sans postérité, et dont tous les biens tombent ainsi dans l'escarcelle du seigneur, lequel n'ayant plus ensuite qu'à les revendre à son bénéfice !

 

On connaît une transcription intégrale de 20 pages pour cet acte d'affranchissement, publiée en inédit par G. Debombourg en 1858 dans son Histoire de l'Abbaye et de la ville de Nantua (pp. 354-374). Par la suite des extraits ou résumés seront repris (Guillermet, p. 70-74 – Extraits imprimés (suite à un arrêt du 20 août 1771) – Guigne, Topographie..., en 1873, page 74 – Genolin, Histoire de Champfromier, en 1918, pp. 58-59).

Examinons cet acte revendiqué par presque toutes les paroisses relevant du seigneur de Nantua. Sont présents les représentants de Belleydoux, Gobet et Orvaz, du Poizat, des Neyrolles, de Port, de Charix, de Montanges, de Brénod, d'Echallon et de Fichin (et probablement aussi de Giron-Derrière), et finalement de St-Germain (de Joux), Plagnes, Les Combes, Marnod et Longefand (pp. 355-361).

Le préambule qui suit cette liste d'intervenants de cinq pages rappelle que ces communautés avaient fait procès à Dijon contre le prieur à propos de leurs conditions de mainmortables et de taillables "ad misericordiam usque". Concernant cette taille, misérablement arbitraire, il s'agissait d'une taille seigneuriale (à rapprocher des "servis", dans cette région), d'un montant devenu dérisoire, à ne pas confondre avec les tailles royales, qui étaient les vraies tailles depuis le XVe siècle. Les communautés de Lalleyriat et de Champfromier, potentiellement concernées par cet affranchissement, sont absentes. Nantua n'est pas non plus représentée, mais c'est normal puisque cette ville était libre depuis la charte de 1445. L'acte prend ensuite appui sur le rappel des pertes et ruines des guerres passées, le fait que les coutumes du passé avaient déjà été abolies par le Duc de Savoie sur ses possessions en Bresse et Bugey, et qu'enfin les procès de mainmorte coûtaient plus qu'ils ne rapportaient !

L'acte énumère ensuite les conditions auxquelles seront soumis les nouveaux affranchis. Les diverses redevances passées ainsi que les tailles (seigneuriales) seront supprimées, sauf qu'elles seront remplacées par une augmentation d'autant à payer en servis ! Les habitants affranchis resteront hommes-liges du prieur et soumis à sa justice, haute, moyenne et basse. Le coût (global ?) de cette mesure d'affranchissement est lui, très important, de 4000 livres ! A part d'avoir l'étiquette "d'affranchi", quels en étaient donc les avantages ? L'acte ne le détaille guère, mais c'est surtout la suppression de la condition de mainmorte qui change : le seigneur perd le bénéfice d'hériter de tous les biens des hommes décédés sans héritiers. Inversement il semblerait que les communautés affranchies y perdent financièrement sur des taxes d'achats (lods).

On sait que les habitants de Lalleyriat finirent pas accepter l'affranchissement, six jours plus tard (7 octobre), moyennant une pénalité de 300 livres. Ceux de Champfromier, auraient pu le faire aussi, mais moyennant une pénalité, pour eux, de 900 livres ! Champfromier resta donc sur son refus d'affranchissement et même l'officialisa par une sentence rendue à Dijon, le 18 mars 1616.

La communauté de Champfromier resta donc mainmortable jusqu'à la Révolution. Les habitants n'eurent naturellement pas à payer les frais de l'acte d'affranchissement de 1608 et ils continuèrent donc à payer une vieille taille seigneuriale (confuse, étant probablement le servis de base), sans compter les tailles royales, bien plus importantes, que les communautés payaient dans tous les cas. Ceux de Champfromier continuèrent à bénéficier de l'exemption des lods et d'impôts sur des acquisitions. Par contre, évidemment, ils restaient mainmortables, et le droit d'échute n'était pas le moindre des désavantages pouvant être exercés ! L'on a bien des exemples d'héritages d'hommes décédés sans enfants qui sont effectivement tombés dans l'escarcelle du seigneur-prieur de Nantua. Bien souvent, dans ces cas, leur famille rachetait au prieur ces héritages au prix fort et ces familles là devaient bien regretter que la mainmorte soit maintenue !

Il incombait aux fermiers du prieurs de gérer ces procédures de mainmorte. En 1697, "honnêtes Pierre [CI-8403] et Henry [8042] Ducrest, père et fils, Maîtres blanchisseurs de Champfromier", sont subrogés en sous-fermier pour "les dîmes, servis, loads, mainmorte, échutes et autres droits seigneuriaux" que le prieur perçoit à Champfromier " moyennant le prix de 290 livres [3E3890, f° 79 (25 juillet 1697)].

Délimitations avec les paroisses voisines affranchies, en 1645 et 1647

Une complication probablement imprévue pour le seigneur-prieur de Nantua, au fait qu'en 1608 Champfromier resta la seule paroisse mainmortable des Terres de Nantua, concerna la délimitation de cette paroisse. Précédemment l'appartenance précise d'une terre à l'un ou à l'autre des territoires relevant de Nantua, n'avait aucune incidence sur les taxations lors des mutations (achats, héritages). Mais désormais, si une terre était à cheval sur deux territoires, l'un sujet à la mainmorte (ou aux lods) et l'autre pas, ou si cette terre était de localisation confuse, une procédure de mainmorte était sujette à procès... Il devenait donc nécessaire de préciser les délimitations.

Voir la Délimitation de 1645.

Droit d'échute avant 1608, dès le XIVe siècle

On trouve des traces d'usage du droit d'échute, logiquement applicable en raison de la mainmorte à Champfromier, dès le XIVe siècle.

1342. "Item, la recognoissance des Randix de Champfromier en laquelle ilz confessent de tenir en touttes astrixions de servitude et mainmorte les biens qu’ilz possèdent rière Champfromier et l’église et prieuré de Nantua et estre tenuz pour lesdictz biens en touttes charges dhues par les hommes de Champfromier etc. escript en parchemin signé Teste l’an 1342 … cotté 168" [Nantua, par P. Blanc, p. 163 et 262, qui cite AD01, H87].

1393. "Item sertain aultre crenet consernant la recognoissance de ceulx de Montange, Chamfromier, non signé, comme aussi y sont contenuz sertains contractz d’abergeage et ventes de mains mortes rière Montange, Eschallon, Monestier, Poysact, Brénod, Girond, non signé escript en 32 follietz de papier, 1393 … cotté 329 ; Item aultre crenet de quarante ung folliet auquel sont contenuz plussieurs ventes de mains mortes des villages de Monestier, Charix, Montange, Poysact, Lalleyria, Sainct German, Fay, Brénod, Chamfromier, Eschallon etc. le tout non signé … cotté 330" [Nantua, par P. Blanc, p. 182 et 270, qui cite AD01, H87].

Des cas de mainmorte après 1608, aux XVIIe et XVIIIe siècles

Les actes notariés confirment des procédures concernant la mainmorte à Champfromier, aux XVIIe et XVIIIe siècles.

En 1682, il est fait mention "contre les héritiers de Claudine Curt [10404] dite Galey, morte taillable et mainmortable du Révérend seigneur prieur de Nantua, par le moyen duquel décès sans enfants son hoirie était dévolue auxdits fermiers", suite à un procès qui dure depuis 40 ans... [3 E17441, f° 242 (10 mars 1682), acte 110].

En 1705, un procès existait concernant "l’échute de mainmorte par le décès de feu Joseph Tissot [8970]" [3E14279, f° 53 (18 mars 1705)]. En 1713, un autre procès est intenté entre le fermier prieur de Nantua, à propos de "feu Estienne Bornet de Champfromier, décédé de condition de mainmorte sans enfants" [3E3897a, f° 51v].

Louis [CI-10328] fils de feu Pierre Couderier dudit Communal, meurt sans enfants (en 1704/05). On ne lui connaît pas de frères, seulement une sœur. Aussi ses biens sont vendus : une maison à Communal, son jardin et une chenevière à La Crest Barjon). Les acheteurs doivent débourser 114 livres pour acquérir ces biens  [3E17442, f° 68 (25 juin 1705)]. Le même jour, les biens d'Etienne Bornet [CI-207], décédé quelques jours après son mariage et donc sans enfants, sont affermés à son frère, pour un an, au nom du prieur pour cause de mainmorte [3E17442, f° 69 (25 juin 1705)].

En juin 1736, Me Jean-Baptiste Guillot, procureur de Messire Joseph de Chabane, seigneur et prieur de St-Pierre de Nantua, fait exercer un droit d'échute à Monnetier sur les biens d'Estienne Tavernier-Gonet [10733 (décédé en avril 1735)]. Ses biens, et en particulier une masure de maison à reconstruirer, sont revendus à des Ducret et Grisard (chacun par moitié ?) par acte privé [3E17448b, f° 136].

Une autre application de ce droit d'échute avait du laisser de très mauvais souvenirs aux Tavernier en 1739. Martin Tavernier, Me maçon dit Macagnon [9408], avoir été témoin requis pour un testament du 14 juillet 1737. Lui-même avait dicté son testament quelques jours plus tard, et était mort le 22 juillet 1737, probablement atteint par une maladie épidémique, peut-être contractée lors du précédent testament... N'ayant qu'un fils âgé de quelques années il l'avait désigné comme son héritier universel (pour tous ses biens), accordant aussi à sa femme une très confortable pension. Mais, veuve, sa femme se remarie très vite, deux mois plus tard, et son fils héritier du premier lit, Jean-François [1650], meurt à peine deux ans plus tard, le 5 janvier 1739, âgé de 6 ans... Evidement sans enfants, riche d'un très bel héritage estimé à 700 livres, l'abbé comandataire de Beylan de Chézery, seigneur de Champfromier, fait valoir sans attendre son droit à l'échute. Il revend aussitôt ces biens, et ils sont obligé de s'associer à deux, un couple (Rey/Ducret) et un particulier (François Tavernier-Perret), chacun pour moitié, pour pouvoir racheter en un lot la totalité de l'échute. L'acte se rédige à la cure, avec le vicaire pour témoin, le 19 février 1739 [3E17450a, f° 34]. A signaler que, par un acte qui semble étonnant, passé 6 jours plus tard, l'un des acquéreur (François Tavernier-Perret) revend sa part à Aymé Tavernier-Perret tanneur, pour 812 livres, reconnaissant qu'il reste à payer sa part de 350 livres, ayant déjà reçu les 462 autres livres ! [Idem, f° 38]. A nouveau quelques jours plus tard, les intervenant se retrouvent pour effectuer un partage en deux lots, et cette fois chacun est estimé valoir 740 livres (1480 livres pour le tout). Il en résulte que l'échute avait été vendue à moitié prix, ce qui était probablement une manière de s'attirer les bonnes graces, du moins des acheteurs ! [Idem, f°  44]. Suite et fin, un dernier acte nous permet de saisir complètement les tenant et les aboutissants. En fait les acheteurs associés avaient été d'une part le couple dont l'épouse remariée était Françoise Ducret [9106 ], mère de l'enfant dont les biens étaient tombés en échute, et d'autre part un oncle de l'enfant. Par un denier accord financier où interviennent des créances sur le père défunt de l'enfant, la dot de la mère (en premières noces) et sa part d'hoirie sur son fils, la répartition initialement à parts égales de 350 livres chacun passe à 450 livres pour le couple et à 250 livres pour ledit François Tavernier [3E17450a, f° 48]. Un accord, mais finalement tous perdants, sauf l'abbé commanditaire qui empocha 700 livres !

C'est aussi sans surprise que l'on retrouve dans les registres des notaires, des actes concernant Champfromier et où le fermier du Prieur-Seigneur de Nantua (JBte Jagot, vers 1750), revend à la fratrie les biens provenant de la succession d'un frère décédé sans enfants. C'est ainsi qu'en 1751, bien qu'Etienne Bornet dit Devisond [10526] se soit marié deux fois, il meurt sans enfants et ses frère et sœur doivent racheter pour 310 livres les quatre parcelles qui lui appartenaient (Grillionnière, Pérouse, Champ-Brun), lesquelles provenaient de successions familiales ! [3E17456a, f° 133]. Les procédures sont toutefois compliquées. Ainsi, sa veuve reçoit ensuite 160 livres du fermier du seigneur, mais dont 30 livres "30 livres en meubles, effets et autres choses que ledit Sr Jagot lui a remis, provenus des effets délaissés par ledit feu Joseph Bornet son mari"... [3E17456a, f° 145].

 

Publication : Ghislain Lancel. Sources : AD 01, H 65 (1645 et 1647)

Première publication le 13 janvier 2016. Dernière mise à jour de cette page, le 10 novembre 2016.

 

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