Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Troisième partie (Retour à la deuxième partie) :
"Elle a fait assigner le Procureur d’office pour plaider sur cette appellation, il sera aisé de demander qu’elle est bien fondée tant dans la forme qu’au fond.
Dans la forme, elle a été décrétée de prise de corps, emprisonnée, détenue dans les prisons pendant six semaines, sans qu’il y eut contre elle ni délit, ni corps de délit, ni preuves quelconques par information ni autres procédures. Le Procureur d’office n’avait pour gage du prétendu crime capital qu’il imputait à la suppliante que les lettres d’un dénonciateur toujours suspect par le rôle infâme auquel il s’est livré (...) Il est inouï que jamais on ait décrété de prise de corps un citoyen sans aucune preuve ni information ?
(...)
On ne s’étendra pas plus longuement sur les moyens qui doivent opérer la cassation de toute la procédure et le renvoi de l’accusation. La suppliante laisse le soin à son avocat de développer à l’audience tout ce que cette accusation a de témérité et de noirceur, un objet plus intéressant anime la suppliante, c’est d’avoir la satisfaction de toutes les infamies qu’on lui a fait éprouver et dont elle a fait le détail dans cette requête. Elles sont d’une espèce nouvelle, il ne peut y en avoir d’exemple dans les fastes du Palais. Elles sont d’une nature à exiger la plus sévère punition. Ce ne sont point des fables ajustées au gré de l’imagination, ce sont autant de faits qu’elle prouvera par une multitude de témoins.
C’est pourquoi elle recourt à ce qu’il vous plaise, etc.
On ne met point ici les conclusions de cette requête, elles sont toutes renfermées dans l’arrêt que la Cour a rendu en conséquence. Elle a adjugé à la suppliante ce qu’elle demandait sans en retrancher un iota.
La Cour fut si indignée des faits susmentionnés qu’elle en haussait les épaules et ne voulut pas permettre que l’avocat finit son plaidoyer, mais, ayant demandé au Procureur du Roi, soit [en fait] à son substitut, ce qu’il avait à dire là-dessus, et sa réponse ayant été qu’il laissait faire le tout à la prudence de la Cour.
Elle ordonna, par arrêt du 16 février dernier [1765], que l’appellation, et ce dont est en appel, serait mis au néant, et par nouveau jugement, cassa, révoqua et annula l’ordonnance du 26 juillet portant décret de prise de corps, l’emprisonnement fait en conséquence de la personne de la suppliante, et tout ce qui a suivi, renvoya la suppliante des accusations de suppression, départ et défaut de déclaration de grossesse portée contre elle par le Procureur d’office, ordonna que l’écroue faite de sa personne soit rayée, biffée, sur le registre de la geôle des prisons de Nantua, dont procès-verbal serait dressé et mention faite de l’arrêt en marge de ladite écroue, permit à la suppliante de se pourvoir pour ses dommages et intérêts, et dépens et plus ample satisfaction contre tous qu’il appartiendra, même de prendre à partie, s’il y échut, auquel effet la Cour commit Mr le Lieutenant au bailliage de Belley pour faire les informations sur les faits contenus en cette requête, pour l’information faite et envoyée en minute à la Cour, être statué ce qu’il appartiendrait à l’effet de laquelle information la présente requête serait assoupie au greffe du la Cour et expédition d’icelle délivrée à la suppliante par le greffier.
En conséquence de cet arrêt, la suppliante a fait informer contre le Sieur Montanier, curé de Montange ; les informations sont finies et on doit les avoir envoyées au greffe de la Cour.
Voilà en quoi consiste le procès qu’on lui a si injustement suscité, procès fort dispendieux car il y a déjà pour près de 800 francs de frais faits.
Procès fort disgracieux, car il a fallu que la veuve Ballet ait répandu au loin sa turpitude, pour demander la réparation des injures et des injustices qu’on lui avait fait.
Procès néanmoins qu’elle n’a pu se dispenser de soutenir, soit [tant] pour elle soit [tant] pour ses enfants, car pour ce qui la regarde son emprisonnement lui porte un préjudice considérable, elle fut arrêtée et conduite en prison sans avoir le temps de mettre aucun ordre à son ménage, pas même d’enfermer son linge, d’où il est arrivé qu’elle en a perdu considérablement et que le peu qui était enfermé dans sa garde-robe a été endommagé par des insectes. Elle laissa en partant trois enfants maîtres de la maison, dont l’aîné n’avait qu’environ 14 ans [Joseph-Marie, né le 26 mai 1749, Claude-Félix, né le 6 février 1751]. On sent assez de quoi on est capable à cet âge, et il n’est pas besoin de raisonner beaucoup pour faire comprendre que ce ménage délaissé a apporté un grand préjudice à la mère et aux enfants. Ces derniers sont passés sous la puissance des tuteurs et curateurs, il a fallu faire des frais pour cela, et il en faut encore faire tous les jours. La justice absorbe presqu’entièrement les revenus de ces pauvres mineurs, et c’est tous les jours à recommencer.
On pourrait demander si les faits mentionnés dans la susdite requête sont prouvés, à quoi on répond qu’on en a prouvé encore de plus griefs que ceux qui sont rapportés et qu’on a lieu d’espérer un second arrêt aussi favorable que le premier."
Fin de la transcription.
Mais, est-on convaincu que cet acharnement imbécile, vu aux deux premières parties, ne peux plus se produire de nos jours, ni dans ces formes, ni sous d'autres formes pour d'autres causes, ni dans un petit village ni dans un grand pays ?
Publication inédite : Ghislain Lancel. Source : AD74, 1G344
Première publication le 25 novembre2015. Dernière mise à jour de cette page, idem.