Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Résumé de l'épisode précédent. On se rappelle que par le passé, Marie-Rose Perrin avait tenté sans succès de convaincre sa jeune sœur d'empoisonner ses parents et son frère... Dans la nuit du 7 au 8 décembre, un individu se présente à l'habitation des parents pour une affaire de contrebande...
« L'information a établi que Perrin, qui était un homme tranquille et aisé, ne se mêlait pas de contrebande. Pour comprendre comment il a pu suivre aussi facilement un homme qui venait, au milieu d'une nuit pluvieuse, lui proposer de prendre part à un fait de contrebande, il faut savoir que celui au nom duquel on venait l'y inviter n'est autre que Claude-Marie Poncet, son plus intime ami, que par sobriquet on nomme Liodoz, et Poncet a déposé que leur amitié était si étroite qu'ils ne s'étaient jamais refusé mutuellement aucune espèce de service. Il faut savoir encore que sous le nom de PirozLiodoz, dont l'inconnu se disait le domestique, on désigne Pierre-Joseph Mermet, qui est en effet de la commune d'Evouaix, distante de la commune de Belleydoux d'environ deux lieues, et que l'inconnu, en parlant à Perrin, s'était constamment servi du patois d'Evouaix, qui est complètement différent de celui de Belleydoux.
« Un piège avait été tendu à Perrin pour l'attirer hors de sa maison, car Poncet n'avait point de tabac à faire porter aux Gobets, et Mermet n'a point de domestique ; on voit d'avance combien tous les moyens mis en jeu ont été adroitement combinés. Il est vrai que la femme Perrin s'est rappelée, depuis, que l'inconnu avait parié d'une voix faible et mal assurée ; mais venant de porter un fardeau, il devait naturellement être fatigué ; on n'y avait pas fait attention.
« La nuit s'écoula, et Perrin ne rentra pas. Sa femme éprouvait les plus vives inquiétudes. Le lendemain, 8 dé-[p. 81]-cembre, était le jour de la fête de la Conception ; Marie-Pierrette veut, entre huit et neuf heures du matin, aller à la messe. A une portée de fusil, elle voit, dans un champ, un cadavre tout souillé de boue et de sang ; il est presque méconnaissable ; cependant elle ne se trompe pas : c'est celui de son père ; elle retourne sur ses pas en poussant de grands cris.
« Le bruit d'un assassinat se répand; le maire est averti; il fait garder le cadavre, et donne les ordres les plus positifs pour que les choses restent dans le premier état. Des procès-verbaux dressés sur les lieux, soit par le juge-de-paix du canton, soit par le juge d'instruction et le procureur du Roi de Nantua, il résulte que Perrin a dû, en sortant de chez lui, traverser un pré établi sur une pente; qu'arrivé au sentier qui conduit aux Gobets, il l'a suivi jusqu'au point appelé du Gros-Pommier ; que là, son bonnet, trouvé dans le sentier, prouve qu'il y a reçu un premier coup; qu'en voyant beaucoup de sang, et la terre foulée au bas du sentier dans les broussailles, on doit conjecturer que ce premier coup l'a précipité hors du sentier ; que, des broussailles à un petit plateau appelé le Champ du Gros-Pommier, on remarquait une trace tachée de sang, qui indique que le corps de Perrin a été traîné sur une étendue de cent-vingt pas ; que ses souliers et ses culottes, détachés de son corps, montrent avec quelle violence il a été traîné ; qu'au champ du Gros-Pommier, un large amas de sang et une pierre grosse comme deux poings, ensanglantée et couverte de quelques-uns de ses cheveux, démontrent que c'est là que l'assassin a achevé de lui arracher la vie ; que cependant le cadavre n'était pas là où il est évident que Perrin a rendu le dernier soupir; qu'il paraît, puisqu'il n'y a plus aucune traînée, qu'il [p. 82] été porté à dix pas du sentier où il avait reçu les premiers coups, et où on l'a retrouvé.
« Le procès-verbal du docteur-médecin qui a visité le cadavre, constate qu'il y avait, 1° trois coups à la partie postérieure et supérieure de la tête, du côté gauche ; 2° trois à la partie supérieure et latérale droite de la tête, lesquels ont tous causé des contusions aux deux lobes du cerveau ; 3° deux contusions aux deux bras ; 4° une contusion sur la hanche gauche ; 5° une autre à la face interne du genou droit. Le médecin déclare que tous ces coups ont été portés à l'aide d'un instrument contondant, et qu'ils ont causé la mort.
« L'agonie de ce malheureux a dû être longue ; il a dû pousser des cris ; l'assassinat a été commis à deux cents pas de la maison de Nicolas Perrin son frère ; mais au milieu d'une nuit pluvieuse ses cris n'ont pas été entendus; seulement, au moment de l'assassinat, le chien de Nicolas Perrin a beaucoup aboyé !
« Quel était l'assassin ? Tout annonçait que l'individu à blouse bleue, qui était venu appeler Perrin, devait être l'auteur du crime. La femme Perrin et Marie-Pierrette affirmaient qu'elles avaient reconnu la voix d'un homme; cet homme paraissait être de la commune d'Evouaix, éloignée de deux lieues ; cependant, malgré des indices aussi positifs, la mère et la fille, à qui on demande contre qui se dirigent leurs soupçons, n'hésitent pas, et disent que leurs soupçons portent contre Marie-Rose. « Hé ! disait la mère, qui voulez-vous qui ait tué mon mari? Ce ne peut être que ma fille ! »
« On leur fait observer que c'est bien plus vraisemblablement l'homme qui a appelé Perrin dans la nuit. Alors, répond Marie-Pierrette, ce sera elle, assistée de cet homme. » [p. 85] Dans la journée du lundi 8, Marie-Rose vient chez sa mère, en évitant de s'arrêter près du cadavre qui était sur son passage ; et imitant un langage qui rappelle la mort du premier homme, elle a l'audace de dire : « Ma, mère, qu’avez-vous fait de mon père ? — Coquine, lui répond sa mère, tu sais mieux que moi où il es ! »
« Le mardi 9 décembre, Marie-Rose revient vers sa mère et lui dit : « Mère, il faut porter à manger aux personnes qui gardent le corps — Porte-leur toi-même, répond la mère, puisque c'est loi qui en es cause! »
« Mais durant ces deux jours du 8 et du 9 décembre, et pendant que tous les habilans de la commune vont voir le cadavre étendu sur la place, on découvre deux circonstances qui viennent fortifier les soupçons élevés contre Marie-Rose. La maison qu'elle habite est sur le revers d'une montagne appelée le Finage d'Orvez, à vingt-cinq minutes de la maison de son père ; on apprend que plusieurs témoins ont vu, le lundi matin, en allant à la messe, ou lorsqu'ils en revenaient, l'empreinte des pas allongés d'une personne qui aurait fui sans souliers par le chemin le plus court, et traversant les terres dans la direction du lieu du crime au Finage d'Orvez. Ces empreintes cessaient de paraître sur les terrains rocailleux ; elles reparaissaient sur les terres fraîchement remuées, et on les retrouvait à peu de distance de la maison de Marie-Rose Perrin. Le même jour, lundi 8, en allant à la messe, à neuf heures du matin, Humbert Barlet était passé devant la maison de Marie-Rose ; il avait vu celle-ci à la porte de son écurie, occupée à chiffonner un linge, et aussitôt qu'elle avait aperçu cet homme, elle était rentrée dans l'écurie, et en avait fermé brusquement la porte pour se soustraire à sa vue. Enfin, l'assassin avait dû se faire quelque mal en frappant, en traînant, en portant le malheureux Perrin, et l'on sut [p 84] que Marie-Rose était allée se faire remettre un bras qu'elle s'était foulé ; on remarqua aussi qu'elle avait une égratignure près de l'œil.
« Le bruit de ces faits accusateurs causa dans la commune une véritable clameur publique; en sorte que, quand la gendarmerie vint à Belleydoux, le mercredi 10, elle crut devoir, sur le cri public et sur quelques indices qu'elle avait aussi recueillis de son côté, s'assurer de la personne de l'accusée.
« Les gendarmes, en l'arrêtant, avaient fait chez elle, en présence du maire, une visite qui n'avait rien produit ; mais, le lendemain 11 décembre, le maire de la commune, qui avait assisté à la perquisition de la veille, et qui jugea sans doute qu'elle avait été faite trop précipitamment, en ordonna une seconde ; il en chargea Sébastien Poncet, garde-forestier, et Sébastien Humbert Barlet, membre du conseil municipal. Ceux-ci s'adjoignirent deux pères de famille, citoyens notables de la commune. Ces quatre mandataires du maire se rendirent au domicile de Marie-Rose ; ils y trouvèrent un enfant âgé de treize ans, qui, de l'ordre de la voisine, dépositaire de la clé, donnait à manger aux bestiaux. En présence de cet enfant, ils visitèrent la cuisine et la chambre, où ils ne trouvèrent rien à saisir ; ils allèrent ensuite, munis d'une lumière, dans l'écurie, qui est très sombre. Ils remarquèrent, au fond de l'écurie, un tas de bûches adossées au mur. Le garde-forestier voulait savoir si rien n'était caché dessous ; il trouva entre le mur et le bois un pantalon de toile bleue ensanglanté, couvert dans plusieurs endroits de terre fraîche, et l'on vit collés dans le sang, sur ce pantalon, plusieurs cheveux, qu'à leur couleur on reconnut pour être des cheveux de Sébastien Perrin. Il y avait du sang jusque dans les goussets du pantalon, ce qui semble indi-[p. 85]-quer qu'on s'y est essuyé les mains. Au bas de ce pantalon s'étaient aussi attachés quelques brins de chaume ou paille sèche, ce qui rappela que le champ du Gros-Pommier, où la victime a été achevée, est couvert de chaume. Toujours dans la même écurie, on découvrit, au fond d'un vieux tonneau, une blouse bleue ensanglantée dans plusieurs parties et jusqu'au collet ; il y avait aussi quelques cheveux collés dans le sang au bout d'une des manches. Le pantalon et la blouse furent reconnus pour appartenir à Louis Mathieu, mari de Marie-Rose.
« Ces objets sont saisis, mis sous le cachet et envoyés à Nantua. Le premier soupçon, à la vue de ces vêtemens, qui avaient évidemment couvert l'assassin au moment du crime, fut que Mathieu, qui était depuis quatre mois dans la Lorraine, occupé à peigner du chanvre, serait revenu secrètement pour assassiner son beau-père. Les premières questions de M. le juge d'instruction portèrent sur ce point, les secondes sur les objets découverts. Voici cette partie de l'interrogatoire subi par l'accusée :
Dernière mise à jour de cette page, le 12 février 2011.