Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Conjocle est un hameau de Champfromier (Ain), un cul de sac routier dont la dernière maison, celle de la famille Salles, précédemment habitée par les Monthoux, a son histoire...
Cette maison du bout de Conjocle n'existait pas encore du temps des plans napoléoniens de 1833. Par contre sa voisine actuelle (la maison Piovano) était déjà édifiée (feuille C1, n° 55), mais elle n'avait aucun chemin d'accès ! Il y avait pourtant bien alors un chemin parcourant alors presque tout Conjocle. Il était en forme de guirlande, s'accrochant plus en profondeur en amont de chaque ruisseau traversé. Le premier ruisseau se trouve à l'entrée de Conjocle. Il fallait franchir le deuxième ruisseau lorsque l'on voulait escalader l'ancestral chemin arrivant sur les hauteurs des "Avalanches" dominant la maison, par le sentier qui de nos jours est connu sous le nom de Chemin du Facteur. Le troisième ruisseau se jetait dans la Volferine au niveau de Moulin-Dernier, jadis un lieu de forte activité liée à l'usage de la force hydraulique de la rivière. Le quatrième ruisseau s'écoulait entre les maisons Piovano et Monthoux. Et quant au chemin de Conjocle, il tournait à angle droit après la dernière maison à gauche (Marizi), pour ensuite longer la Volferine et s'arrêter sans franchir le quatrième ruisseau. Disons encore qu'il y avait même un cinquième ruisseau parallèle aux autres, et qu'une grosse maison-grange (n° 28-30) se trouvait entre les deux derniers ruisseaux. De cette ancienne bâtisse il n'en reste plus de nos jours que quelques ruines (ancien jardin Monthoux). Elle aussi était sans chemin d'accès depuis Conjocle, mais avec un chemin la longeant et venant du nord !
La maison "Monthoux" n'apparait, de même que la nouvelle route qui y mène, que sur les plans rénovés, dressés au début du XXe siècle. De fait les recensements de population semblent n'y trouver des occupants qu'à partir de 1901. Le chef de famille est alors une femme, Jeanne Gonod, veuve Taborin, une fille de la charité, présumée native de Lyon. Elevée à Champfromier, en l'année 1861 elle était recensée bergère âgée de 12 ans demeurant chez les Tournier de la Malacombe (au Bordaz), avec leurs propres enfants dont elle aurait pu être l'aînée. Elle avait survécu puis, domestique, s'était mariée en 1872 à Champfromier avec Paul Taborin. Désormais, âgée de 52 ans, elle était cultivatrice, ainsi que ses trois enfants, deux fils et sa plus jeune fille Marie de 17 ans. Elle décédera dans cette maison en 1934, âgée de 85 ans environ.
Sa fille Marie avait épousé un "Joannès" Ducret en 1910. Ce Jean, dit Joannès, était né dans la maison voisine (celle des ruines du jardin), avait été garçon de ferme au Potachet en 1901, de retour à Conjocle en 1911, puis voiturier au Pont d'Enfer en 1911. Ses classes achevées, il avait été mobilisé en août 1914 mais, pour cause de surdité des deux oreilles, il fut affecté comme main d'œuvre à la scierie Ducret jusqu’à l’achèvement des travaux intéressant la Défense Nationale [Reg. Matricule 1152]. Un peu avant 1921 il avait déménagé de sa maison natale pour venir habiter la maison voisine à Conjocle, celle de son épouse, et là ils y vieilliront ensemble, sans enfants. Il meurt en 1953 (et son épouse mourra à Nantua en 1972). Mado Monthoux se souvient : c'est lui qui a "donné à la maison son aspect actuel, en la rehaussant pour y adjoindre une étable et une grange et pour la relier aussi à l'étable de l'autre côté de la cour, en la rehaussant de même que l'actuel garage. Avant de faire crépir les façades, on voyait clairement ce qui avait été rajouté, car les pierres étaient apparentes. Il y avait alors davantage d'espace pour les animaux que pour le couple ! Qu'importe, ils étaient déjà âgés mais très accueillants et organisaient des bals chez eux en cachette pendant la guerre et devaient étayer auparavant le sol.... Carmen Coutier, mère d'Alain, m'en a souvent parlé et Madame Grenard qui est décédée, en face de la maison Perrelet, m'a dit y avoir dansé souvent lorsqu'elle avait 20 ans. C'est un accordéoniste qui faisait valser tout ce petit monde."
En 1954, le recensement montre qu'une nouvelle famille habite désormais cette maison. Elle est composée de Gustave Robert, 60 ans, né dans la Sarthe (mort en 1976), de Yvonne Grassin, son épouse aussi née dans la Sarthe, et de Claude leur fils, alors âgé de 17 ans. Mado reprend : "Nous avons connu une fille du pépé Robert qui est venue très souvent nous voir et a suivi avec un grand intérêt les travaux de la maison. Nous avons aussi connu sa petite fille qui nous raconté de savoureuses anecdotes sur son grand-père. Le petit-fils était très attaché à la maison de Conjocle où il a passé sa petite enfance avec ses grands-parents. Il en avait fait un dessin (perdu), et même une maquette, telle que cette maison était du temps du pépé. Lors de sa première visite avec ses enfants, son fils qui courait dans tous les sens pour visiter la maison lui a dit : « Papa, je reconnais tout, c'est exactement comme la maquette que tu as faite ». Ça m'a beaucoup touchée. Cette famille était apparentée à celle de Gérard Nicollet."
Le Pépé Robert fut un bon vivant, aimant la bouteille, et faire rire en racontant lui-même ses mésaventures ! En voici quelques-unes dont les anciens du village garde de joyeux souvenirs :
De sa femme, la Titine (Yvonne Grassin), à ceux qui s’inquiétaient, il répondait : « Toujours malade, jamais mourir ! »
Aimant à se distraire, il venait chaque matin faire les courses au village, avec sa vieille voiture. La Titine lui faisait une liste des ingrédients nécessaires aux repas. Mais, rusé, arrivé chez les Alcaraz, il ne prenait que les produits d’une ligne sur deux de la liste, et, de retour à la maison, il faisait l’innocent sur les produits qui manquaient ! Quelques temps après, il demandait à la Titine si elle en avait vraiment besoin… Et, à sa réponse affirmative, il revenait faire un tour au village !
Un soir, rentré chez lui, éméché comme souvent, la Titine lui avait fait sa soupe et il l'ingurgite machinalement. Puis, il se couche, sans faire de bruit pour ne pas réveiller sa femme. Mais sentant sans présence, elle le cherche dans le lit, sans le trouver. Où es-tu ? Je suis là ! C’est au matin que tout s’expliquera : il s’était couché entre le sommier et le matelas !
Une autre fois encore (mais là, il avait déménagé dans l'ancienne maison Garin), le Pépé Robert était rentré du bistro le soir, pas très frais, et avait glissé une nouvelle fois sur la descente de lit, était tombé et avait réveillé la Titine, laquelle l'avait prit fort mal. C'était la fois de trop, aussi il cloua la descente de lit sur le plancher !
Un âne têtu pour de bon ! Le pépé avait un bourricot, appelé Coco. Chaque jour il allait lui couper de l'herbe à la faux, dans la pente vers la Volferine, sous la maison. Puis il devait lui remonter, ce qui, avec l'âge, devenait fatiguant. Bon bricoleur, il se mit alors en tête de construire un chariot pour remonter l'herbe, et qui serait attelé audit Coco lui-même. Aussi, en très bons termes avec Riri Marquis de Communal (futur acheteur de sa maison), qui avait alors pour amie une Nicollet habitant à Conjocle (ancienne maison Tornare), lequel détenait plusieurs anciennes roues de char dans la remise, il lui demanda d'en acheter deux. Riri accepta et même lui offrit, et le chariot fut vite construit. Vint donc le jour où le bourricot fut attelé, et ils descendirent la pente jusqu'au bon endroit pour couper l'herbe et la charger dans le chariot pour que ledit Coco la mange ensuite. Mais cet âne fit honneur à sa réputation : il refusa de bouger et de remonter la pente ! Pépé le connaissait bien, il attendit un moment, mais rien n'y fit. Il attendit la nuit, mais sans plus de succès. Coco dormit sur place, debout, attelé à son chargement. Et ensuite ? On ne se souvient plus du dénouement de l'histoire, mais ce qui est certain c'est que Coco resta au moins 4 ou 5 jours et nuits, sans bouger ! Il y eut bien d'autres aventures avec Coco, comme celle du jour où il était en rut et qu'un couple de touristes voulurent le voir de près, mais celle-là, on ne vous la racontera pas !
Au troquet du village, Pépé prenait souvent un Pastis, un... et même deux. La dose était la "momie" (un centilitre), délivrée avec la caractéristique dosette verseuse. En fait, au premier tour, il laissait le Pastis dans son verre, et attendait la deuxième tournée, pour en avoir le double. Alors, quelques gouttes d'eau, et le breuvage était ingurgité !
Finissons avec l'anecdote de l'OVNI. Le pépé en avait vu un, pour de vrai ! Arrivé au sommet de la Tape (lieu-dit à droite de l'entrée de Conjocle) il avait été ébloui par une vive lumière et avait vu une boule de feu tomber devant lui. Rentré chez lui, il s'était couché immédiatement car il était complètement à plat. Le lendemain, il raconta donc qu'il avait vu une grosse boule de feu tomber devant lui, qui était à coup sûr un OVNI. Et c'est là que ça se corse : sa femme avait trouvé dans son lit la peau qui s'était détachée entièrement de la plante de ses pieds et elle en avait gardé des lambeaux dans un carton pour les montrer. On aurait dit des semelles de cuir, tout simplement. Bon, il l'a échappé belle puisque la foudre l'a évité !
En 1975, la maison est inscrite au recensement comme la "résidence secondaire" d'Henry Marquis, en fait un bâtiment à usage agricole pour le "Riri" de Communal, qui envisageait d'y prendre sa retraite. Mais à la fin de sa vie ce Riri, ancien conseiller municipal, fut coupable d'une négligence impardonnable à l'entretien des litières de ses bestiaux. Il agît de même à Conjocle, où il laissa la maison ni habitée ni entretenue pendant des années.
Riri Marquis est mort en mars 1987. Olivier et Mado Monthoux, d'origine Suisse, achètent la maison dès le mois de novembre au propriétaire de cette maison (et de celle voisine) : "Carlo et Liliane Piovano avaient acheté la leur au printemps et c'est en venant les voir que nous avons découvert celle qui est devenue la nôtre. On a pris la décision de l'acquérir assez rapidement, alors qu'on ne cherchait pas du tout une maison ! Surtout, cet endroit était absolument lugubre ! Quand j'y pense, cette pauvre baraque semblait demander qu'on l'aide". Au début, nous "campions" dans une chambre ayant pour voisin, à la cuisine, un sympathique rat. Il ne nous dérangeait pas, à condition de garder la porte de la chambre fermée. Mais il s'est lassé de nos allées et venues et nous a faussé compagnie au bout de quelques semaines.
Sur la gauche de la façade de la maison il y avait probablement eu l'entrée d'une ancienne grange, car on y voyait encore un ancien porche muré, lui-même comportant une ancienne porte murée. Cette petite porte fut alors certainement celle d'entrée dans la maison, ce que confirmaient les dires des anciens. La porte actuelle, et la fenêtre voisine, lesquelles n'ont aucun encadrement en pierre de taille, furent donc ouvertes plus tard, probablement du temps de l'amenée d'une primitive canalisation d'eau provenant d'un réservoir privé se trouvant dans la pente, derrière la maison (et alors l'ancienne petite porte fut condamnée pour y placer un lavabo qui, bien que non alimenté, était encore en place en 1987). Signalons qu'encore de nos jours, les quatre dernières maisons de Conjocle, ne sont pas raccordées au réseau d'eau municipal, mais deux par deux à des sources voisines (les deux dernières ayant désormais un réservoir commun de 10.000 litres d'eau).
Mado et Olivier se sont beaucoup investis dans la restauration de cette maison, parallèlement et en coopération amicale avec leurs voisins, Liliane et Carlo Piovano.
Désormais, Mado et Olivier sont retournés en Suisse, sans jamais oublier Champfromier. Bruno et Barbara Salles occupent désormais la maison.
Publication : Ghislain Lancel, sur une idée de Mado Monthoux. Photos : Assemblage de 2 clichés (hiver 1987/88) par Olivier Monthoux ; Sacha Bourmeyster (05/10/2008). Remerciements pour les souvenirs contés par les anciens du village.
Première publication le 8 novembre 2017. Dernière mise à jour de cette page, idem.