Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL |
Que ce soit à Chézery, à Confort, à la Mulaz ou à Menthières, certaines maisons ont la particularité d'avoir un numéro peint en gros chiffres noirs, ce numéro étant souvent encadré par un rectangle de la même couleur noire, l'ensemble étant apposé sur le linteau de leur porte d'entrée ou d'une fenêtre. C'est une énigme ! Souvent de couleur atténuée par deux siècles d'exposition à la lumière, ces chiffres sont parfois repeints et remis en valeur pour le plus bel effet de certaines façades, comme pour la maison Moine à La Mulaz (photo ci-dessous).
D'une manière générale (et en particulier pour les numéros 155, 166 et 174) on observe qu'un grand rectangle noir sert de cadre à la numérotation, ce rectangle ayant des dimensions extérieures allant de 36 à 38 cm pour la longueur, et de 16 à 19 cm pour la hauteur. Ce cadre est d'une épaisseur de moins d'un centimètre (0,4 à 0,8 cm), parfois variable pour un même cadre. Les numéros sont composés de gros chiffres, du même noir, hauts de 12 à 15 cm. Les parties les plus développées des chiffres peuvent atteindre 2,5 cm d'épaisseur. Parfois un léger trait noir encore visible avait été tracé pour bien aligner les chiffres. Une évidence est que ces numéros devaient être lisibles d'assez loin !
Ces numéros ont la particularité de se terminer en certains lieux par un gros point (2,5 cm de diamètre), apposé sur la ligne d'écriture (voir les n° 174 et n° 222). Peut-être ce point, qui semble absurde, était-il destiné à se compléter au-dessus d'autres points ou marques, en diverses circonstances. A Menthières, le numéro est précédé de N° (numéro). A première vue, les chiffres, lettres et points, et les cadres semblent avoir été peints de manière standardisés en utilsant un pochoir. Toutefois leurs dimensions et formes n'étant pas rigoureusement identiques, on peut en douter, à moins que plusieurs équipes aient apposé ces numéros, ou qu'ils furent repeints à quelques années d'intervalle sur de nouveaux linteaux.
Ces numéros nous sont parfois conservés sous une forme totalement différente. Ainsi à Bellaigue, écart de Chézery, lors de réfections au XIXe siècle de deux habitats contigus, deux anciens numéros furent repris, gravés et incorporés dans de nouveaux linteaux, avec les numéros 72 (en 1846) et 73 (en 1853).
Qui en avait décidé ainsi ? Pour quelle raison ? A Paris, c'est à la suite d'un projet de numérotation datant de 1779 que les maisons commencèrent bientôt à porter des numéros, une manière de les distinguer bien plus facilement que par des mentions du genre "la troisième maison à gauche après l'enseigne du forgeron" ! Mais dans les petits villages de province, il faudra attendre bien plus longtemps, et même jusqu'aux années 2000 pour voir chaque rue porter un nom, et les maisons un numéro !
Concernant ces grands numéros noirs, diverses explications ont été proposées, comme par ces anciens de Confort et de Lancrans qui croyaient à un recensement des maisons au XIXe siècle afin de déterminer l'hébergement possible de soldats et de chevaux de l'armée. Ce serait peu crédible, si on ne se réfèrait qu'aux allusions des anciens citant le passage de troupes autrichiennes (1814), puisque que les faits ne sont pas contemporains. Toutefois nous disposons bien de témoignages sur la hantise d'une attaque autrichienne, violant la neutralisé de la Suisse, laquelle perdura vivement de 1814 jusqu'en 1914.
Ce que l'on peut retenir des quelques numéros subsistants, c'est que de nos jours peu de maisons ont des numéros encore visibles ; des numéros noirs sont certainement nombreux à avoir été détruits lors de travaux, ou recouverts par un crépis moderne. Les numéros s'observent sur un ensemble de villages, tous situés rive gauche de la Valserine, et rive droite du Rhône. Ces numéros ne sont jamais en double, et vont croissant de Chézery à La Mulaz, en passant par Ballon, Lancrans, Confort et Menthières. On en a trouvé aussi à Vanchy et à Grésin. Une petite trentaine de numéros devaient figurer à Confort (numéros allant au moins de 198? à 222), et souvent quelques dizaines aussi pour chaque village voisin. Cette numérotation apparaît comme datant de la première moitié du XIXe siècle, entre 1834 (La Mulaz, avec numéro en surcharge à gauche d'un linteau daté) et 1846 (linteau neuf avec, gravé aussi, le rappel du numéro). Toutes les maisons ne furent pas numérotées. Il est vraisemblable que celles qui l'ont été furent sélectionnées par l'armée, étant suffisamment grandes pour pouvoir loger des officiers, des hommes de troupe et des chevaux en cas d'invasion guerrière.
Aucun de ces numéros n'a été vu à Champfromier, Montanges, Giron ou Bellegarde, ni dans le Pays de Gex.
Voici les photos des autres pierres de maison (linteaux de porte ou de fenêtre) ayant gardé le souvenir de ces anciens numéros (initialement dans un cadre noir), classées par ordre croissant des numéros :
Numéro | Village (dans l'Ain) | Précison |
37 ? | Vanchy | 13 rue de Vanchy (très ancienne maison d'un ancien forgeron, de nos jours au pignon peint d'une animation évoquant un relais de Poste au temps des Messageries royales). Cliché du photographe Allais (Groupe Mémoire de Bellegarde), prise dans les années 1850. |
72 | Chézery-Forens | Ecart de Bellaigue (repris en gravure dans un linteau de 1846) |
73 | Chézery-Forens | Ecart de Bellaigue (repris en gravure dans un llinteau de 1853) |
13_ ? (ou 15_ ?) | Grésin | 8 chemin du Pont (surcharge à droite d'un linteau gravé en l'année 1824). |
137 | Ballon | 6-10 rue de la Foire. Photo ancienne Hélène Tossan, prise pour l'ouvrage de M. Burdeyron, n° 63 de 1983, portant au dos la mentions : "un des numéros qui intriguent tant M. Sonney". Les traces de cette numérotation ne sont plus visibles, le linteau ayant été décapé. |
__0 ? (ou __8) ? | Ballon | 1 rue de la Vrillette (numéro situé rue du Château) |
155 | Lancrans | 48 La Grande rue. Les numéro, cadre et point sont peints sur la gauche d'un linteau portant au centre l'année 1842. |
166 | Lancrans | 17 rue du Quart d'en Haut (à droite, sur la partie ancienne de la grange). |
174 | Lancrans | 10 rue de la Cambochette |
175 ? (ou 173 ?) | Lancrans | 10 rue de la Cambochette. Le cadre (qui se devine assez boen), et le numéro (presque illisible), avaient été peints sur un enduit blanc qui recouvrait probablement entièrement la date de 1760, la croix et d'autres petites marques aux estrémités du linteau. Le rectangle avait pris place entre le 7 et le 6 de l'année. Le numéro proposé tient compte du fait que cette maison est voisine de la précédente. |
193 | Chézery-Forens/Les Granges | Grange Moine. |
195 | Chézery-Forens/Les Granges | Grange de la Renarde. |
197 | Chézery-Forens/Les Granges | Grange de Chez Jean Blanc. |
198 | Confort | 131 rue du Crêt d'eau (fenêtre de gauche, au 1er étage) |
205 surchargé 204 | Confort | 75 rue du Crêt d'eau (sur un linteau de 1839) |
210 | Confort | 37 Place Sœur Rosalie Rendu |
222 | Confort | 70 rue Saint Vincent |
(Seul le 2 se devine dans le cadre noir) 238 ? | Confort | 43 rue des Trois Rochers |
240 ?? | Confort/Menthières | 188 Bouant. Seul le cadre est nettement dessiné. Le numéro est illisible (devrait être environ 240 !) |
243 ? | Chézery-Forens/Menthières | Le Verney (la Doloise) |
244 ? | Chézery-Forens/Menthières | 132 Chemin forestier du Crédo (la maison est sur Chézery, à la limite de Confort) |
267 ? | Chézery-Forens | 1435 Route de Menthières (Aux Replats). Le numéro semble se lire 207 (mais 267 serait plus logique). |
278 | La Mulaz | 111 Route de Confort. Numérotation rajoutée sur la gauche du linteau "18*34 J.M.B.", et donc de datation postérieure à 1834. |
288 | La Mulaz | 270 Route de Chézery (Maison Moine) |
289 | La Mulaz | 270 Route de Chézery (Maison Moine) |
1933 ?! | La Rivière (Chézery) | Grange donnant sur la D 991. Ce numéro atypique, pour être positionné à gauche à mi-hauteur d'un portail est pourtant bien peint de couleur noire, est terminé par un point et est souligné d'un trait (mais non encadré). Toutefois on y observe aussi de longues bavures noires, et les chiffres du numéro sont bien trop maigres et peu lisibles (1933 ?). On a le sentiment qu'a la suite de la reconstruction à neuf de tout le portail, les propriétaires n'ont pas voulu être pris en faute, et on redessiné à la va-vite le numéro dont ils ne se souvenaient même plus lequel il était, allant jusqu'à lui donner 4 chiffres ! |
Total : 23
Si vous connaissez d'autres maisons ne figurant pas dans cette liste de gros numéros noirs sauvegardés, ou si vous connaissez l'histoire de cette numérotation, merci de nous le signaler (Tel. 06 31 57 63 15).
Remerciements : Famille Guillon (La Mulaz) ; Michel Blanc, Daniel Gindre, Michel Jerdelet (Confort), Hubert Bonnin.
Première publication, le 9 février 2022. Dernière mise à jour de cette page, le 16 février 2022.