Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Notes météorologiques (et agricoles) lues dans les registres de Champfromier (1709-1817)

 

Les registres de Champfromier, comportent parfois des notes météorologiques, concernant de mauvaises années où les récoltes furent médiocres.

Voici venir le "grand hyver" de 1709, les sécheresses du XVIIIe siècle, et enfin l'énigme du ciel assombri sur une bonne partie de l'Europe, peu avant la Révolution...

Le grand hiver de 1709 (à Montanges)

Chacun connaît le Grand Hyver de 1709 en France. Il est par exemple responsable de la disparition de la vigne en Picardie (j'habitais jadis rue des Vignes à Beauvais), ceps détruits par le gel, et d'un pays trop défavorable pour en replanter d'autres ensuite. Pour Champfromier, on ne dispose d'aucune note, mais le curé du village voisin, Montanges, nous en a laissé (ainsi que celui de Brénod).

On y apprend que dans nos pays la neige a commencé à tomber le 5 janvier 1709, pour atteindre une hauteur de neuf pieds de pleine chute à Montanges. Sachant qu'une toise, la hauteur d'un homme, ne valait que six pieds (d'environ 33 cm), on imagine quelle hauteur faisait neuf pieds (3 mètres) ! Du côté de Brénod, les vignes de Cerdon, Jujurieux et autres furent gelées. A Montanges aussi les vignes furent perdues, de même que les noyers et chênes gelés, tandis que les blés d'hiver, froment et seigle qui furent semés en pure perte dans toute la France. La mesure de froment se vendit 7 livres 10 sols. Toutefois à Montanges les froments furent conservés sous la neige au Finage Derrière, tandis qu'au Finage d'Amont, exposé au vent dominant, ils furent perdus, la bise ayant emporté la neige... Les pauvres allaient ramasser des herbes dans les prés, et pour faire la soupe, ils y mettaient un peu de farine et du lait. Toutefois la Providence Divine se manifesta et les secondes semaisons d'orge produisirent au centuple. Et il n'y a pas eu de maladies.

Sécheresse et chenilles au milieu du XVIIIsiècle

"En 1746, il demeura trois mois sans pleuvoir à pouvoir mouiller la terre d’un travers de doigt. Le vin fut excellent ; au mois de juin et juillet le froment se vendit 5 livres 5 sols. Le seigle pour 4 livres 10 sols, l’orge 3 livres 5 sols. La misère fut extrême. Horresco referens ! (Quand je le raconte, les cheveux m'en dressent sur la tête !)" [Web BMS 1742/46, p. 27d (Humbert, curé) – Hist. de Champfromier, pages 103].

"L’an 1751, les chenilles ont entièrement rongées les choux à plus de 50 lieues, et cette année [1752] il n’y en a point eu" [Web BMS 1747/51, p. 21g].

Sécheresses de 1762

"Cette année 1762, il y a eu deux sécheresses, si fortes coup sur coup qu’il ne se moissonna aucun légume, ni pois, ni lentilles, pas même des pezettes [pesettes, vesces] à dix lieues.

Les fourrages ont été si rares que l’on a hiverné que le tiers des bêtes, et avec plus de feuilles [feuilles de frênes et autres] que de fourrage. La Bresse a donné force de blé qui n’a pas été cher, ni le vin qui a été fort bon.

Au mois de janvier 1763, l’on a labouré en Chalame trois jours pour y semer à Pâque suivant, et au même mois l’on a fournaché [brûler, pour amender les sols] au-dessus de Monnetier. Il n’y eu, au plus, que quatre doigts de neige à Evouaz. Il n’y a point eu d’oignon" [Web BMS 1762/63, p. 08d].

Météo avant la Révolution (1780-1785) et éruption du Laki (Islande)

Il est admis que les mauvaises conditions climatiques, et leurs effets pervers sur les cultures (et incidemment sur les ressources et la santé), ont contribué à créer un état insurrectionnel. Par chance pour la connaissance du climat à Champfromier, le curé à rédigé des notes météorologiques sur six années précédant la Révolution.

"1780. Il y a eu cette année une sécheresse qui grilla tout. Il n’y eu point de fruit, point de blé de Pâques, presque point de fourrage, les choux manquèrent totalement, les pommes de terre furent immangeables à cause de leur amertume. On fit beaucoup de feuilles pour nourrir le bétail pendant l’hiver. Fort heureusement que le vin et le froment ne furent pas chers. Presque tous les vins poussèrent dans tous le Bugey. Il y eut beaucoup de fiévreux dans les pays marécageux et surtout dans le Pays de Gex" [Web BMS 1778/81, p. 28 gauche – Genolin, page 115].

"1781. On a fait dans le mois d’août du pain de blé qui était crû au Chalame, chose rare car il n’y murit que rarement, et cela à la fin de septembre" [Web BMS 1778/81, p. 34 gauche – Genolin, page 115].

"1782. Il y eut cette année une sécheresse pendant tout l’été, qui consuma tout. Il n’y eut que les blés d’hiver qui fournirent une mince récolte ; tous les blés de Pâques furent grillés et ne fournirent pas même leurs semences. Il n’y eut que très peu de fourrage et encore ne valut-il pas grand-chose; il n’y eut pour ainsi dire point de fruit, excepté quelques poires. On n’eut point de choux, les raves furent assez abondantes, mais très petites et de bon goût ; il en resta beaucoup sous la neige qui vint de très bonne heure. Les pommes de terre eurent le même sort et le peu qu’on en tira de terre ne furent point bonnes. Ce fut, au dire des anciens, une des plus mauvaises saisons qu’on n'eut jamais vu passer. La misère fut très grande dans cette paroisse. Le chanvre ayant manqué, comme les autres denrées, les pauvres Champfromérans ne purent gagner au peigne de quoi payer les deniers royaux, ni de quoi acheter du bled qui se vendit très cher" [Web BMS 1782/85 p. 7 – Genolin, p. 115-116].

"1783. La disette de l’année précédente [1782] a fait souffrir bien des gens, mais grâce à Dieu on est parvenu à la moisson sans que personne ait péri par la faim et sans qu’il y ait eu des maladies qu’on avoit lieu de craindre à cause des mauvais aliments dont le plus grand nombre s’étoit nourri."

[Eruptions volcaniques du Laki, en Islande, le 8 juin 1783 (130 cratères, 8 mois d'émission de gaz sulfurique…)] "Câ été dans le courant de l’été de 1783 qu’on a vu dans l’atmosphère une espèce de fumée ressemblant aux brouillards. Les physiciens ont beaucoup raisonné et déraisonné sur cette fumée qui a été généralement répandue sur tout notre continent et sur la mer, et qui ne disparoit même encore entièrement à ce moment quoiqu’elle dure depuis huit mois [et non 18 mois]. Les tonnerres ont été fréquents et effrayants. Ils sont tombés quatre fois dans cette paroisse, sans y avoir causé de dommages considérables. Les tremblements de terre, les ouragans, les inondations ont été fréquents en différents endroits" [Web BMS 1782/85 p. 17droite – Genolin, p. 116-117].

"1784. Il y eut une sécheresse qui réduisit presqu’à rien les blés de Pâques. La récolte des blés d’hiver fut passable" [Web BMS 1782/85 p. 25d– Genolin, p. 117].

"1785. De mémoire d’homme on n’avait jamais vu un hiver aussi long, aussi rude et aussi abondant en neige que l’hiver de mil sept cent quatre-vingt-cinq. Les blés d’hiver périrent presque tous et le peu qu’on en ramassa fut presque tout pourri. En revanche les blés de Pâques furent assez bons et assez abondants. On eut beaucoup de fruit, beaucoup de raves et de choux. On fit partout une récolte abondante de vin, mais il fut vert presque partout" [Web BMS 1782/85 p. 33g – Genolin, p. 117].

Disette de 1816/17

"En 1816, il plut presque toute l’année, la récolte fut très mauvaise et il n’y eut presque point de pommes de terre. La récolte faite à Champfromier eut peine à nourrir le monde jusqu’au mois de mars 1817. Le blé ne manqua pas au marché de Nantua, mais il fut cher, la mesure ou double décalitre de froment se vendit jusqu’à 15 fr., l’orge 10 fr., l’avoine 4 fr., les pommes de terre 10 fr. les 50 kilogrammes, (...?) le vin était à 1 fr. le litre, la livre de pain 50 centimes. La misère et disette fut générale en Europe. Le soussigné, qui avait un peu de froment en avance et qui malgré la mauvaise saison avait eu encore une récolte passable, n’acheta point de blé, au contraire il en vendit. C’était du froment vieux, lorsqu’il se vendait 15 fr. à Nantua, il le donnait pour 11 fr., et comme c’était du blé vieux il valait un tiers de plus que celui qui s’achetait à Nantua. Je nourris trois pauvres dès le printemps jusqu’à la moisson, le vieux Cartouche [p. 60g] aveugle [Probablement un Ducret-Cartouche, mais lequel ?] de Monnetier, la Sater et la Miaz-Françoise de Praploux. Tous les gros un peu aisés prirent des pauvres auxquels ils donnaient un repas par jour, enfin la misère fut extrême, les aliments n’étaient pas succulents et nourrissaient peu, on avait toujours faim" [Web, N 1813-17, f° 59d-60g (feuille intercalée)].

 

Publication : Ghislain Lancel. Remerciements : Jean-Pierre Charvin, Les registres paroissiaux racontent les histoires du Bugey, 2009 (pp. 91-93, pour le grand hiver).

Première publication, le 24 octobre 2018. Dernière mise à jour de cette page, idem.

 

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