Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

La pierre à sel du Gros Sapey (Lélex, Ain)

 

En cette année 2022, une quatrième "pierre à sel" est à porter à l'actif du patrimoine du territoire de Lélex. Elle se situe dans les alpages qui sont en possession de la famille Rolandez depuis plusieurs générations, au lieu-dit Le Gros Sapey.

Pierre à sel Pierre à sel Corbeau visage Corbeau visage

La pierre se trouve actuellement au milieu de la base de la grande façade nord de la maison, au bas d'un chaînage d'angle qui semble bien signaler que la maison fut agrandie sur le devant, postérieurement à la pose de la pierre. Cette pierre à sel se trouvait donc initialement en bas à gauche de la façade nord de la petite habitation primitive. Signalons qu'au même niveau, mais cette fois du côté sud et au plus haut du mur, figure un étonnant corbeau sculpté, dont la partie centrale représenterait un visage (dégradé), avec des cheveux courts (un moine bâtisseur ?) Ce bâtiment est au centre d'un ensemble de trois bâtisses rapprochées (mais sans autres constructions à proximité).

Guy Rolandez, 94 ans, nous transmet la tradition orale selon laquelle le bâtiment de gauche (actuelle laiterie) était dit le bâtiment des moines. En cette partie du territoire de Lélex, il s'agirait de moines de Saint-Claude (et non de Chézery), laquelle abbaye aurait possédé là une grange. Peut-on penser que l'une des habitations construites par les moines, étant en ruine, aurait été reconstruite pour loger là des gabelous, et que le corbeau aurait été replacé en souvenir moine bâtisseur ?

Pour la petite histoire précisions qu'il y a quelques décennies c'était une écurie et que figuraient encore au sol des planches délimitant un lit dont une épaisseur de fougères tenait lieu de matelas...

Le troisième bâtiment, qui semble plus récent et comporte un four détaché de la maison, serait la dernière des habitations isolées de ce groupement. Jadis, il n'y avait que des sentiers accédant à ces lieux. Dans les années 1960/70, Guy à construit lui-même la route privée actuelle, à usage des 4x4, afin de donner accès à l'exploitation (alpages).

Notons que le fait de trouver 4 pierres à sel sur une même ancienne paroisse commence à susciter des questions. Elles sont gravées sur d'énormes pierres de taille toujours situées à la base des maisons, et donc placées là avec l'idée qu'elles seront significatives tout au long de l'existence de la maison, disons, pour donner un ordre de grandeur, pour un siècle ! Or les regratiers (revendeurs de sel) étaient renouvelés chaque année par des enchères descendantes... Par ailleurs certaines sont situées dans des endroits peu accessibles, et sur des maisons relativement isolées. Même si jadis les gens marchaient beaucoup, et sans se soucier des pentes, il est assez illogique d'implanter un dépôt de sel à proximité du fond d'une profonde vallée ou dans des alpages, les quantités de sel à rapporter chaque année depuis l'entrepôt royal étant importantes, et les assujettis à la gabelle très peu présents dans les environs. Ces pierres ne seraient-elles donc pas plutôt des marques de casernements stables de douaniers, dont la principale activité était d'être des gabelous chargés de traquer les contrebandiers du sel...

 

Remerciements : Guy et Marie-Pierre Rolandez.

Publication Ghislain Lancel. Crédit photographique : G. Lancel.

Première publication, le 5 octobre 2022. Dernière modification, idem.

 

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