Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Recensements de 1774 et 1781
et Fichiers complets inédits

 

On doit à la providence de Guy Brunet, la sauvegarde (par des photocopies NB) du contenu des recensements de Champfromier de 1774 et 1781, photocopies à partir desquelles a été rédigé cette page. Depuis le 6 juin 2014, l'original du manuscrit (ainsi que la totalité du fond de la cure de Champfromier) est à nouveau consultable (aux AD de l'Ain, à Bourg).

 

 
Les précieuses photocopies NB de M. Brunet, et l'original à nouveau consultable depuis 2014

Première mention imprimée, dans l'Histoire de Champfromier, 1918

C'est par l'Histoire de Champfromier, première édition publiée par l'abbé Génolin et le chanoine Alloing en 1918, maintes fois rééditée, que le grand public a eu connaissance de ces recensements exceptionnels (Pages 117-119). Curieusement les auteurs semblent y ajouter des notes provenant d'un autre manuscrit, mentionnant que ce livre commence par les "recettes des prémices", (calculs qui n'apparaissent pas sur les photocopies), puis témoignent que l'on "retrouve là le nom de toutes les familles du pays désignées souvent par un sobriquet, parfois des plus singuliers". Puis vient le "Dénombrement des âmes de la paroisse de Champfromier, pris en novembre 1774", comportant des exergues en latin. Après la cure, il passe en revue toutes les maisons et en mentionne les habitants. Les maisons sont au nombre de 223. Naturellement ce résumé en à peine plus d'une page pleine d'un document de 77 pages est bien imparfait : aucune allusion au fait que le manuscrit se compose en réalité de deux recensements séparés d'une petite dizaine d'années, le second surchargeant le premier ; aucun détail non plus sur les fameux sobriquets ni prénoms ; la population totale n'est pas retenue alors qu'il suffit de lire le total de la dernière addition (1269 habitants). Même les commentaires sont approximatifs. On cite en tête la présence du curé, du vicaire et de la domestique, que l'on qualifie d'Ames de Dieu, mais l'on oublie de dire qu'au presbytère était aussi logé toute la famille du curé..., il manque des lieux-dits (Sur la Serre, intercalé n° 97-98, le Tamiset en dernière page), d'autres sont mal imprimés (Rérey, et non Revey), etc.

La publication de Guy Brunet, 1986

En 1986, dans les Nouvelles Annales de l'Ain (pages 78-86), Guy Brunet publie "Un curé et sa paroisse au XVIIIe siècle". Son étude replace d'abord le premier recensement dans le contexte de ce siècle où "la population est la principale richesse des nations" et où les recensements locaux ou généraux commencent à être réalisés, en particulier à la suite de la circulaire du Ministre Turgot en 1774. Celui de l'abbé Genolin pour Champfromier, reste cependant exceptionnel pour être nominatif, complet, et actualisé un peu plus tard. Guy Brunet développe ensuite plusieurs thèmes sociologiques, comme celui des familles au comportement "clanique" (les Tournier au bourg, les Ducret à Monnetier, etc.), la détermination des feux (5,4 par famille), la datation des deux recensements, la liste des lieux-dits, les rotations rapides à Evuaz, etc., laissant la porte ouverte à qui "voudrait faire une analyse démographique plus technique".

J'ai tenté dans ce site d'apporter quelques compléments, à commencer par le relevé intégral des quelques 2500 noms et compléments figurant pour l'ensemble des deux recensements.

Description du manuscrit

Le cahier, qui n'est plus connu que par des photocopies, se compose de 74 pages (de format 23 x 18 cm), toutes écrites y compris celle du verso de couverture, souvent surchargées, comportant parfois des opérations dans les parties blanches. La page de couverture est titrée "Dénombrement des Ames de la paroisse de Champhromier [sic], pris en novembre 1774", et de versets en latin de la Bible (de deux écritures différentes). Le bas de page 72 porte cette fois sans faute "Fin du dénombrement des Ames de la paroisse de Champfromier" et les totaux récapitulatifs (mais le second recensement se poursuit sur la page suivante et le dos de couverture.

Les totaux mentionnent, pour novembre 1774, une population totale 1269 habitants répartis en 245 hommes mariés ou veufs, 266 femmes, 435 enfants n’ayant pas encore communié (en général moins de 14 ans, sans distinction de sexe), et respectivement 171 et 152 garçons et filles ne se trouvant pas dans les cas précédents (célibataires ayant reçu la communion solennelle). Mais rien que pour la dernière page le sous-total pris en compte est faux, 437 surchargeant avec raison le 435 La population totale doit donc être corrigée avec 1271 habitants.

Chaque page est divisée en deux. A gauche sont portées les familles, classées par maison (ou par maisonnée, ou feu fiscal), chacune ayant un numéro croissant (parfois avec erreur). Le nom du hameau ou du lieu-dit n'est cité qu'une seule fois, en tête de la première famille s'y trouvant. Le chef de famille est évidemment en tête de sa maisonnée. Des accolades relient les couples mariés (jusqu'à trois dans une même maisonnée, assez souvent deux), les enfants de ces couples venant à leur suite, et souvent, après un espace vide, viennent les autres enfants encore célibataires du chef de maisonnée, parfois d'autres membres de la famille ou une servante ou un valet (ces derniers généralement non dénommés).

La moitié de droite des pages comporte 5 lignes crayonnées verticales titrées en haut de page par H, Fem, G, F et NC, abréviations pour Homme (marié ou veuf), Femme (idem), Garçons (ayant communié), Fille (idem) et Non-Communié (enfants de sexe indifférencié n'ayant pas encore communié). Les hauts et bas de pages reportent les effectifs cumulés pour chacun des cinq groupes, page par page.

Comme pour les lieux-dits, le nom de famille, et le pseudonyme s'il y a lieu, ne sont cités qu'une seule fois, à la première ligne. Seul le prénom est ensuite mentionné, exception faite pour une épouse. Chaque prénom (ou nom) est suivi de points de suspensions très écartés qui s'arrêtent dans l'une des colonnes précédentes avec un puissant trait coché, indiquant ainsi l'état religieux de chaque personne (voir photo ci-contre). Déterminer où se trouve le trait coché n'est toutefois pas toujours très simple car la partie de droite a souvent été utilisée en surcharge pour le second recensement, le curé avait une très fâcheuse tendance à écrire des lignes très obliques descendant fortement à droite, sans compter parfois les traits doubles pour une ligne unique servante et valet. Ajoutons que vers la fin du cahier la photocopie n'a pas pris en compte le centre de la reliure et que pour les pages de droite le début de chaque ligne est parfois à reconstituer...

Le second recensement se devine et se reconstitue, en observant les noms barrés des personnes décédées (ou jeunes mariées et parties vivre ailleurs), et les ajouts insérés dans les parties laissées vides, pour les nouvelles épouses et leurs enfants... Parfois une croix générale barre l'ensemble de la famille, et la nouvelle maisonnée est alors mentionnée dans la partie droite, recouvrant les traits cochés du premier recensement, parfois même la nouvelle famille se trouve à une autre page, où il y avait de la place... Pour ce second recensement l'âge des enfants n'ayant pas encore communié est généralement indiqué, à la suite leur prénom (généralement avec une bonne précision). Si une ligne sépare nettement les familles de 1774 dans les moitiés gauche des pages, il n'est pas toujours évident de lier une mention de droite à une maisonnée de gauche...

D'une manière générale les recensements sont effectués avec une grande exactitude. Ils commencent par le presbytère et le bourg, se poursuivent par les hameaux du Bordaz, du Pont d'Enfer, de Communal, du Collet, de Monnetier, de Conjocle, des fermes isolées au-dessus de Monnetier et enfin par Evuaz. Toutefois, à partir des fermes isolées de Monnetier, la rigueur diminue. Le nombre tout juste suffisant de feuilles du cahier est à l'origine de certaines maisonnées commençant en bas de page (à partir de la page 60) et se continuant sur une autre, parfois même recto et verso, ce qui ne s'observait jamais au début du cahier (Maisonnées 186, 191, 214, etc.) Mais la gêne vient surtout de l'information qui commence parfois à manquer, par exemple les âges des enfants n’ayant pas encore communié ne sont plus toujours indiqués. Pour la famille de En Loches (Maisonnée 200 de 1774), les données deviennent parfois minimales "Le charbonnier Tonairon, sa femme, un fils, une fille" ! Et avec une même incertitude, on relève "Un fils de Rolland marié à …" (Maisonnée 217 de 1781). De même, mais partout, les servantes et valets ne sont presque jamais dénommés.

Le fichier Excel

On s'en doute, transcrire ces deux recensements n'a pas été aisé et a demandé plus de deux mois de relevés. De plus, un temps égal avait été consacré au préalable à la reprise des fichiers généalogiques de Champfromier pour presque toute l'étendue de la période des naissances pouvant être concernées par ces recensements (BMS 1697- 1785). Rappelons à ce sujet que deux fichiers généalogiques avaient été généreusement offerts pour usage dans ce site mais qu'ils méritaient d'être relus et complétés pour l'un, écrémés des reconstitutions, souvent bénéfiques mais apportant une grande confusion entre réalité et présomption, pour l'autre. Il a été choisi le format Excel pour les fichiers informatiques. Le croisement des deux types de fichiers, généalogique et recensement, a permis des enrichissements réciproques inédits (par exemple pour des enfants sans trace que l'on pouvait croire morts en bas-âge et qui ne l'étaient pas, ou pour vérifier les prénoms composés dans les dernières pages de droite du cahier où la reliure avait empêché une photocopie complète), les enfants de plusieurs lits, etc.

Dans le fichier informatisé, on a remplacé les traits cochés des colonnes Homme, Femme, Garçon, fille et NC, peu lisibles, par une colonne unique Parenté, avec les mentions Chef (premier mentionné de la maisonnée), Epouse (si une accolade la relie au précédent), fils, fille (avec ou sans NC suivant la colonne, et C pour célibataire s'il y avait un doute).

Plusieurs colonnes ont été ajoutées en complément du cahier, d'abord la colonne du CI (Code d'identité que j'ai attribué à chaque personne née à Champfromier, valable pour tous mes fichiers de Champfromier, et qui permet de s'y retrouver, par exemple entre les innombrables Joseph ou Marie-Françoise d'un même nom...). Les CI ont aussi permis de découvrir avec certitude au moins 15 doublons du second recensement (souvent à la suite d'un mariage). Est aussi en complément la colonne de l'année de naissance (généralement retrouvée d'après le CI, ou estimée d'après le décès, s'il est connu), et enfin celle de l'âge à l'année du recensement (obtenu par une vulgaire soustraction automatisée, et donc ayant une erreur pouvant être d'une année, même avec des données rigoureuses, les mois n'étant pas pris en compte). Rappelons toutefois que les concordances des CI ne sont que des propositions, comme pour tous les autres fichiers, avec toutefois un très bon pourcentage d'exactitude (estimé à plus de 95 %). La colonne Standardisation, comme pour tous mes fichiers, retient une seule graphie par patronyme (par exemple Ducret, pour tous les Ducré, ducret et autres Ducrest), ce qui permet ensuite des tris réellement alphabétiques, par exemple par prénoms. La colonne des "Remarques GL" intègre des compléments connus par ailleurs (comme la mention des précédentes épouses en cas d'enfants de plusieurs lits, etc.) ou des mentions lues comme "ont 0" (pour n'ont pas d'enfants !)

Les rédacteurs et la datation des recensements en 1774/5 et 1781

Le rédacteur du premier recensement est bien connu, c'est le curé lui-même, Jean-Antoine Genolin, fils de Joseph et d'Andréanne Berrot, né et baptisé le 24 juillet 1732 au village voisin de Montanges (à la ferme des Sanges). Plongé dans la religion dès sa naissance, son parrain est Jean Genolin, prêtre de Champfromier... Jean-Antoine Genolin sera curé de Champfromier de 1764 à 1792 (succédant ainsi à son parrain à Champfromier qui n'avait connu entre temps qu'un seul autre prêtre, le curé François Humbert). Du pays, en charge de la cure depuis dix ans, le curé connait donc parfaitement sa paroisse quand il effectue son recensement, en novembre 1774, et est donc âgé de 42 ans. Une vérification de la date mentionnée en première page "pris en novembre 1774", en comparant avec les baptêmes pris dans l'ordre chronologique, montre que le mois indiqué est celui du début de son fastidieux travail. En effet, toutes les naissances de novembre sont recensées, et il n'en manque même aucune jusqu'au 5 décembre (Jacques-Philippe Ducret, Maison 152, CI-3140). Trois puis d'autres baptêmes manquent ensuite, le plus tardif baptême étant incontestablement celui de Julienne Julliand (Maison 75, CI-3154), le 24 mars 1775. On peut donc en conclure que l'abbé Genolin a mis trois à quatre mois pour réaliser le recensement de ses 1271 paroissiens, commencé en novembre/décembre 1774 et achevé en mars 1775. Pour le calcul des âges, l'année retenue étant 1774, on ne sera donc pas surpris de trouver 5 enfants âgés de "moins un an" !

L'écriture du second recensement est visiblement différente, plus énergique, semblant d'un homme plus jeune, probablement celle du vicaire du moment. On remarquera aussi que les prénoms sont désormais orthographiés correctement (Julien et non Jullien, etc.) L'enfant dont le baptême attesté est le plus tardif (en dehors du cas confus de Françoise ou Sylvestre Bornet, dont le baptême serait du 9 mai 1782 [CI-3533]) est François-Joseph Genolin, baptisé le 27 septembre 1781 [CI-3516]. Au préalable, on relève bien quelques lacunes, mais dans l'ensemble tous les enfants baptisés avant cette date sont recensés. Si l'on considère les décès, le 31 juillet 1781, Marie Evrard était portée en terre, et bien logiquement, elle n'est pas recensée. En août il n'y avait pas eu de décès. Martin Truche [CI-3448], le seul décédé au mois d'octobre de 1781, et Marie-Joséphine Durafour, la seule de septembre n'y sont pas non plus, ce qui est logique. Les âges des enfants n'ayant pas encore communié, lorsqu'ils sont indiqués, confirment statistiquement un recensement en l'année 1781. Les écarts les plus importants sont de plus ou moins 3 ans, uniquement pour les enfants les plus âgés (de 10 à 15 ans), enfants dont le nouveau vicaire était bien excusable de ne pas avoir en tête l'année réelle de naissance de ces enfants nés avant son arrivée à Champfromier. Le second recensement a donc été réalisé fin septembre 1781, en un temps bien plus bref que pour le premier. A cette époque, le vicaire était Pierre Collomb (nommé à Champfromier vers octobre 1780), on lui doit donc la reconnaissance pour s'être honorablement acquitté de ce second recensement.

On ne dira pas qu’il y eut un troisième recensement, toutefois certaines annotations semblent postérieures au second recensement, ainsi pour la maisonnée 106, qui est entièrement barrée d'une grande croix mais qui comporte des ajouts intercalés spécifiques du second recensement… Pour cette maisonnée la mention "En Chatex" rajoutée dans le haut des colonnes de droite semble indiquer le déménagement de toute la maisonnée du Collet à la bien connue Grange de Chatey, probablement après 1781.

Lieux-dits

L'un des attraits non négligeables de ces recensements est la désignation des lieux-dits. Et au premier abord, surprise, plusieurs ne sont plus du tout connus ! Qui sait encore de nos jours où se trouvent Au-Cruz, Au-Croisony ou A-la-Tannery ? Heureusement la visible logique des recensements permet de les situer, du moins approximativement. Dans la mesure où le lieu-dit n'est jamais répété (mais seulement indiqué à la première maisonnée du lieu), il est impossible de savoir si certains furent oubliés.

Pour 1774, on relève 36 lieux-dits ou hameaux différents, sans compter le bourg lui-même qui n'est pas mentionné (et qui comprenait les actuelles rues de l'Eglise et de la Fromagerie]. En voici la liste initiale, avec les numéros extrêmes des maisonnées qui semblent au même lieu, dans l'ordre et avec la graphie du cahier : le bourg [N° 1-47], Borda (Au) [N° 48-58 (Bordaz)], Combe-Jean (En la) [N° 59], Sous-les-Rochers [N° 60 (à droite avant Malacombe, en venant du Bordaz)], Mala-Combaz (En la) [N° 61-62 (Malacombe)], Chomau (Au) [N° 63], Chandellette (En la) [N° 64], Diers (Au) [N° 65 (Au Dière)], L'es-Cullaz (En) [N° 66-67 (Les Cullaz)], La-Joux (En) [N° 67bis (Sous-les-Foux, lieu-dit entre le Bordaz et Moulin-Dernier)], Berny (En) [N°  68], Tannery (A la) [N° 69-70 (Semble rive gauche de la Volferine, juste avant le Pont-d'Enfer)], Pont-d'Enfer (Au) [N° 71-73], Communal [N° 74-100], Cruz (Au) [N° 101 (non identifié)], Pras-Greveis (Au) [N° 102-105 (Pré-Grevet)], Collet (Au) [N° 106-107], Loullaz (En) [N° 108 (lieu-dit du Collet)], Monnetier [N° 109-162], Moulin-Dernier (Au) [N° 163-163], Croisony (Au) [N° 164-165 (entre Moulin-Dernier et Conjocle)], Conjocle (En) [N° 166-173], Tappa (En la) [N° 174 (présumé à Conjocle, près du ruisseau central)], Poutachet (Au) [N° 175-181], Drujay (Au) [N° 182 (Druger)], Grand-Poutay (Au) [N° 183], Mont (Sur le) [N° 184 (à droite, avant d'arriver par la route aux Avalanches)], Provencheire (En la) [N° 185], Rerey (Au) [N° 186-188 (Riret)], Prabron (Au) [N° 189-191 (non identifié avec précision, entre Riret et Charrières)], Charières (Au) [N° 192-193], Poisset (Au) [N° 194-197 (Poisey)], Chodana (En la) [N° 198 (Chaudanne)], Iles (Au) [N° 199], Loches (En) [N° 200-201 (L'Ouche)], Evuaz [N° 202-222], Chalame [N° 223].

Furent oubliés plusieurs autres lieux-dits, intercalés ou du second recensement. La maisonnée 15 de 1774 est celle des "Tournier du Péland", qui est indique bien le toponyme du barrage de la Volferine et non une branche familiale. La maisonnée 106 est barrée, avec mention "En Chatex" [Chatey, à la limite de Montanges]. Le recensement de 1781 mentionne de plus Sur la Serre [N°  97], Tamiset (En) [N°  224-225], Bief-Brun [N°  226 (Lieu d'Evuaz)] et Croteley (Au) [N°  227 (Crétatête ?)].

Populations, feux, répartition, fin 1774

Compte tenu de la correction de la dernière page, la population de la paroisse de Champfromier pour le recensement 1774/75 est dite de 1271 habitants (1272 sur mon fichier). On remarquera que les paroissiens de Giron-Devant en sont exclus, ce qui est normal puisque Giron-Devant avait été séparé de Champfromier depuis le 6 novembre 1669, et érigé en une paroisse unique avec Giron-Derrière. Ce dénombrement comprend les servantes et valets, mais semble avoir oublié les occupants de quelques fermes comme celles du Tamiset et du Croteley (Crétatête ?), probablement aussi du Bief-Brun à Evuaz (à moins que ces fermes ne fussent construites entre des deux recensements).

Il n'est pas précisé à quoi correspond la numérotation précédant chaque maisonnée, mais on peut penser qu'elle dénombre les feux (fiscaux), nombre qui au moins approximativement doit correspondre aussi à celui du nombre de familles (au sens des recensements récents) et aussi au nombre de maisons. Ce nombre s'échelonne jusqu'à 223, nombre final exact compte tenu du fait que les 67 et 121 sont comptés deux fois, mais que les 73 et 148 manquent ! On dira donc bien qu'il y avait 223 maisonnées ou feux. Par une simple division, on en déduit donc qu'en moyenne chaque feu se composait en moyenne de 5,7 habitants.

Comparer cette population de 1271 habitants fin 1774 avec celles des rares chiffres connus pour des années antérieures est peu aisé, tant les sources sont peu fiables. L'abbé Genolin, dans son Histore de Champfromier, cite 1100 à 1200 âmes en 1705. Entre ces deux dates, l'Histoire des communes donne des chiffres plus bas, mais sans justificatifs des sources... A signaler que Mgr Biord, lors de sa visite pastorale du 12 juin 1766, avait questionné le curé sur les effectifs et n'avait obtenu que des réponses vagues : environ 200 feux, 1200 âmes dont 800 communiants. Ces chiffres ronds imprécis contribuèrent peut-être aussi à la volonté d'un projet de recensement nominatif rigoureux ?

Concernant la répartition de ces populations sur le territoire paroissial (le même que le territoire communal actuel), on pourra comparer dans le tableau récapitulatif de l'accueil des recensements (voir les critères pour le bourg, et chaque hameau, avec les chiffres du fichier numérisé), avec celle de 1851, année où la population était remontée à un nombre équivalent à celui de 1774. Il est évident qu'il faut être très prudent sur le détail des chiffres, une maisonnée mal positionnée en plus ou en moins, comme celle de 15 personnes à Chalame, bouleverserait tout ! Néanmoins deux remarques s'imposent, la première c'est que trois-quart de siècle plus tard, la répartition sur le territoire sera encore étonnement semblable, la seconde remarque étant qu'il y avait autant de monde, et même plus, à Monnetier qu'à "Champfromier" où se trouvait pourtant l'église ! Par "Champfromier" on entend pourtant ici la réunion des rues actuelles de L'Eglise et de la Fruitière, le Pélan, le Pont d'Enfer, et probablement d'autres lieux non désignés comme Sous-Massan, dont certains sont d'ailleurs le plus souvent rattachés à Monnetier... Signalons aussi que les populations locales de Communal et de la Combe d'Evuaz sont comparables, avec plus de 150 habitants. Enfin, mais ce n'est pas une surprise, on relève un très grand nombre d'habitants, de l'ordre de 250, demeurant dans des fermes isolées.

Pour la répartition entre adultes et enfants, rappelons les sous-totaux mentionnés dans le cahier, pour le total légèrement faux de 1269 habitants : 245 hommes mariés ou veufs (19,3 %), 266 femmes (21 %), 435 enfants n’ayant pas encore communié (en général moins de 14 ans, sans distinction de sexe, soit 34,3 %), et respectivement 171 et 152 garçons et filles (13,5 % et 12 %) ne se trouvant pas dans les cas précédents (donc célibataires ayant reçu la communion solennelle). L'individu le plus âgé (de ceux dont l'année de naissance est connue), est Antoine Ducrest, de Moulin-Dernier (meunier), âgé de 84 ans.

Les foyers recomposés ne sont pas rares, comprenant alors les enfants des lits précédents, ceux de l'homme ou de la femme, qui ne sont pas encore mariés. En 1774, la maisonnée N° 30 de Antoine Bornet (59 ans, blanchisseur), comprend des enfants de quatre lits différents, trois de l'homme et un de la femme. Ils n'ont pas, pas encore, d'enfants en commun !

On dénombre 12 maisonnées de plus de 10 personnes (11 à 17), dont la moitié sont à Evuaz, les autres étant un peu partout et pas seulement dans des fermes isolées. Les effectifs de maisonnées les plus importants sont aux noms des familles Collet (12 personnes, maison 215, Evuaz), Bonneville (15, 214, Evuaz), Durafour (15, 223, Chalame), Grenard (16, 213, Evuaz), Dallod et Pillard (17, 205, Evuaz).

Il est présumé que tous les recensés étaient catholiques. Le nombre de NC (N'ayant pas encore Communié, donc généralement âgés de moins de 15 ans) est de 440 environ, mais au moins une bonne dizaine sont cochés par erreur (ils auraient de 15 à 33 ans...) et d'autres ayant été visiblement oubliés, on peut donc estimer que la population de 1271 habitants comportait environ 430 enfants (34 %) et 841 adultes ou adolescents de plus de 15 ans et plus (66 %), une population qui était étonamment pleine de jeunesse ! A titre de comparaisons, ces nombres d'enfants de 14 ans et moins, baissaient à 373 sur 1245 en 1851 (soit 30 % de la population) et à 63 sur 326 en 1975 (19 %) ! On s'en doute, en 1774, l'âge moyen (restreint aux 1080 seules personnes pour lesquelles l'âge a pu être calculé) est d'à peine plus de 25 ans !

Populations, feux, répartition, fin 1781

Pour le second recensement, il a d'abord été procédé à la recherche des doublons. Les codes CI ont permis d'en trouver sans conteste possible 15 (mais il peut y en avoir davantage, avec en particulier de jeunes servantes non identifiées, ou des individus non natifs de Champfromier), les doublons établis correspondant généralement à un départ suite à un mariage. La population réelle est donc de 1325 recensés, nombre diminué de au moins 15 doublons, soit 1310 habitants. Cet effectif est en légère hausse, mais le nombre de maisonnées, de 211 environ (230 dont 19 vides ou réécrites ailleurs), légèrement en baisse, le second recensement étant toutefois plus confus avec des traits de séparation peu précis. Le nombre d'habitants par feu pourrait monter à 6,2 mais prudence... Pour les autres commentaires, on peu reprendre ceux de 1774. Antoine Ducret, doyen, est maintenant âgé de 91 ans.

Patronymes

Pour le recensement de 1774, sur une population presque complète de 1246 personnes de nom connu (étant exclus 26 cas de servantes, valets ou épouses sans nom) on ne relève que 77 patronymes différents (et 87 pour celui de 1781) ! C'est dire que chaque nom est en moyenne porté par 16 personnes. Mais cette moyenne cache des écarts très importants. Il n'y a qu'une Ballet et qu'une Barbe, 2 Bonneville et 5 Blanc, mais 34 Marquis, 34 Pillard, 51 Tavernier, 63 Coutier, 64 Genolin, 85 Bornet, 109 Julian (Julliand, Juilland, Julliard, etc.), 133 Tournier et 177 Ducret. Si l'on ajoute quelques Berrod, Collet, Coudurier, Durafour, Evrard, Fami, Grenard, Grisard, Gros, Humbert, Martin, Mathieu, Mermet, Mermillon, Michy, Nicollet, Seigne, Truche et Vuaillat, l'on a presque fait le tour des noms de famille !

Les grandes familles, si tant est qu'elles aient réellement un unique ancêtre à leur nom, sont de plus très souvent regroupées dans une zone territoriale réduite. On relève que 54 % des Tournier de la première partie du recensement (72 des 133), habitent donc dans le village, le bourg lui-même (on disait autrefois au chef-lieu). Les Pillard, sauf cinq exceptions et huit au Réret, sont tous à Evuaz. Les Juilland sont à 72 % à Communal (79 sur 109). Sauf deux épouses, tous les Humbert sont au Collet ou à Evuaz, et sauf 3 épouses, tous les Grenard sont aussi à Evuaz. Contrairement à une idée reçue, les Genolin sont répartis dans de nombreuses fermes isolées, ils ne sont que 18 % (12 sur 74) à demeurer dans le hameau de Monnetier, et ils sont déjà nantis de pseudonymes différents. Par contre les Ducret sont bien majoritairement de Monnetier (120 sur 177, soit 68 %), et il en est de même pour les Coutier qui sont aussi à Monnetier, mais dans une moindre mesure (41 sur 63, soit 55 %). Enfin les Bornet, en dehors de quelques exceptions demeurent au Bordaz (36 sur 85), au chef-lieu (33) et à Communal (9).

A partir du moment où un grand nombre d'adultes portaient le même nom, souvent aussi le même prénom parmi un éventail de saints très restrictif à l'époque, et habitaient en un lieu très confiné, il n'est pas étonnant que des sobriquets familiaux aient vu le jour pour les distinguer. Certains n'ont vécu que le temps d'une ou deux générations, d'autres ont perduré en branches familiales.

Parmi les Joseph Genolin de Monnetier se trouvaient donc un "Luron" et un "Corré". Blaise n'était donc pas un Joseph mais on l'appelait "Félix", probablement depuis que les parents de l'un des ancêtres de ce Blaise avaient eu l'idée originale de baptiser leur fils Félix au lieu de Joseph  !

Chez les Julliand, par contre, on aime bien les François ! Ils ne sont donc pas moins de six François Julliand, tous chef de famille, tous cultivateurs (ou presque) et tous habitant Communal ! Si vous connaissez ce hameau, vous savez qu'il n'est pourtant pas bien grand ! Alors, si vous voulez en 1774 vous adresser à un François Julliand, demandez donc l'Humbert, le Prince, L'Evêque, le Renard ou celui de Chatel. Il en manque un ? Oui, mais lui il se distingue autrement, il n'est pas cultivateur, mais tailleur d'habit ; il suffira donc de préciser la profession, pour savoir qui il est ! Précisons qu'au même lieu on peut aussi rencontrer un Grisard ou un Baron !

Les familles Bornet se distinguent les unes des autres par les pseudonymes Petet, Feigeat ou Gros-Louis. Chez les Coutier on trouve La-Jaline, Henry et Rey, ce dernier étant le seul encore connu de nos jours. Les Ducret, en tant que patronyme dominant, ont naturellement le plus large éventail : Chevron, Pochy, Pèlerin, La-Mère, Billion, Bechon (Besson), des Lentilles, Blochet, Combet et Prince !

Les Marquis ont pour pseudonymes Burdin, La Satras (voir ci-dessous) et Perret. Les Mermet, ceux ayant un pseudo sont alors tous des Gui (Guy). On relève des Tavernier Perret et Bourguignon. Enfin les Tournier se distinguent aussi par divers compléments : à la Reine, Benait (Bénet), Régent, Longuet, Many, Thiven et Mermillon. Précisons toutefois que parmi ces familles nombre d'individus n'ont pas de pseudonyme dans ce recensement, soit que le curé n'a pas pris soin de l'ajouter, où qu'ils n'en avaient pas, ou que l'identification de la ferme suffisait.

Signalons enfin le cas particulier de quelques épouses qui, devenues veuves, non seulement sont alors affublées du pseudo de leur mari, mais féminisé. C'est le cas de Françoise Marquis, veuve de Claude-Joseph Ducret, connu pour être de la branche des Satre, qui devient une "Marquis, La Satras" ! (Maisonnnée 150 de 1774).

Ces pseudonymes, si utiles aux temps où ils étaient connus de tous, sont aujourd’hui une calamité pour les généalogistes non avertis, car ils sont parfois les seuls à être notés, le vrai nom de famille étant sous-entendu : facile de s’y retrouver à l’époque, mais bien plus délicat quelques siècles plus tard! Rappelons, que dans tous les fichiers de ce site, dans ces cas là, j’ajoute le vrai nom avant celui qui est écrit (si je ne suis pas piégé moi-même…), avec un signe = entre ma proposition (espérant qu’elle est bonne et utile…) et ce qui a été lu. Voici pour exemples quelques pistes relevées dans ce cahier des recensements : un Burdet a été trouvé dans les Gros-Burdet, une Burdin était bien sûr une Marquis-Burdin, et un Michy n’était autre qu’un Goy-Michy. Il ne serait d’ailleurs pas impossible que certains patronymes, au cours des siècles, aient ainsi fini par basculer de manière irréversible… Dans la rubrique des fausses pistes, n’oublions pas non plus, dans ce cahier comme ailleurs, que certains Collet meurent Nicollet, et inversement…

Les métiers

Il n'entre évidemment pas dans les préoccupations d'un curé de noter les métiers de ses paroissiens. Il en nota néanmoins quelques-uns, un peu à la manière des branches familiales, quand c'est le métier qui permet d'identifier les individus. On aura ainsi l'étudiant, le tailleur, l'horloger ou le charbonnier. Parfois, la fonction remplace même complètement le nom, quand elle est honorifique (curé, vicaire), ou qu'il n'en savait pas plus (servante, valet). En complément, d'après les mentions lues dans les registres paroissiaux, on en a ajouté ici quelques-uns, afin de ne pas s'imaginer que tous les paroissiens étaient des agriculteurs !

Il y a bien sûr d'abord le curé. En 1774, c'est donc Jean-Antoine Génolin qui habite le presbytère. Mais outre son vicaire, demeurent aussi en ces lieux, son père veuf dit "Sieur Joseph Genolin", sa sœur, veuve aussi (Savarin) et ses deux enfants, ainsi qu'un valet. En 1781, son père semble décédé, sa sœur et une fille, et deux "âmes de Dieu" sont au presbytère.

Canuses à Lyon. S'il n'y a aucune certitude de fille partant chercher du travail chez les canuts de Lyon, c'est néanmoins une vraisemblance. Douze filles, qui étaient âgées de 14 à 27 ans en 1774, souvent de parents habitant l'un des hameaux de Champfromier, ont leur nom barré pour le second recensement, avec la mention "A Lyon" (Deux autres sont dites "A Nantua", mais plus probablement par mariage). Ces mentions lyonnaises attestent en tous cas que, même pour une fille avant la Révolution et en l'absence de grand chemin passant par Champfromier, la grande ville n'étaient pas si loin, et que le voyage était envisageable. On peut penser aussi qu'à l'inverse des enfants des hospices de Lyon pouvaient effectuer le trajet en sens inverse, et alors qui commença ? Voir à Nourrice.

Charbonnier. La mémoire orale témoigne encore de petites aires brûlées en forêts, ayant la rondeur des endroits où était produit le charbon de bois (vers le Pré Grevet et le Truchet). Ces recensements témoignent de cette profession totalement disparue. Signe que cette activité était très spécialisée et que probablement l'on venait de loin pour l'exercer, le charbonnier de L'Ouche s'appelait Tonairon, mais le curé n'en savait guère plus : "Le charbonnier Tonairon, sa femme, un fils, une fille" !

Etudiant. On relève deux étudiants en 1774, dont les parents demeuraient en des endroits que l'on n'aurait pas cités au premier abord ! Joseph Genolin (Maisonnée 182), 19 ans, natif de Montanges, demeure à la ferme du Druger, une ferme isolée comme tant d'autres au-dessus de Monnetier. Pierre Collet (Maisonnée 220), 18 ans, est bien natif de Champfromier, mais habite Evuaz, secteur coupé du monde durant les temps de neige des longs hivers. Ce dernier, agé de 25 ans en 1781, n'est pas barré (mais l'on perd ensuite sa trace).

Horloger. La mention en 1781 que Etienne Tournier (Maisonnée 11), 68 ans, soit horloger au village, lui tenait lieu de pseudonyme parmi les nombreux Tournier. Les registres paroissiaux témoignent qu'il n'est pas le seul à exercer cette profession, mais il est l'unique à être cité. Pour information, par recoupement des divers fichiers, on peut apprendre qu'étaient aussi horlogers, Martin Ducret de Monnetier (Maître horloger), Joseph Mathieu et Jean-François Ducret au village, Jean-François Bornet au Bordaz, et Claude-François Grisard à Monnetier, parmi ceux connus... Les mêmes exerçaient déjà en 1774.

Meunier. Pour deux recensements, l'on ne relève qu'une unique mention de meunier, énigmatique en plus, pour un certain Etienne Ducré demeurant à la Malacombe, où il n'y a évidemment jamais eu de moulin (où alors un moulin à vent inédit sur la butte voisine ?) Les moulins hydrauliques les plus connus étaient ceux du Pont-d'Enfer, mais d'autres tournaient au bien nommé Moulin-Dernier, aussi sur la Volferine, et à Evuaz (sur le cours de la Semine).

Nourrice. Si cette activité de femme allaitante n'est aucunement mentionnée, et si l'on ne trouve ici aucune mention d'enfant en nourrice, il semble toutefois bien que des enfants de Lyon (et de Genève) était mis "à nourrir" en même temps que des enfants de jeunes couples. Ainsi, quelques années seulement après ces recensements, en 1787, on relève dans les registre paroissiaux, le décès d'un enfant de Lyon, dont le curé ignore le prénom, mis en nourrice dans une famille de nos recensements : "un enfant mâle que Anselme TRUCHET mon paroissien m'a déclaré appartenir à André Gilloi, cartonnier, demeurant dans la rue Bonnevan, maison Montelier, au cinquième étage sur le derrière à Lyon, lequel enfant ledit Anselme Truchet s'étoit chargé de faire nourir par sa femme, mais la mort l'ayant enlevé le jour d'hier, je l'ai inhumé aujourd'hui ne sachant point son nom de baptême, et personne ne pouvant me l'apprendre". L'année précédente on relevait un autre décès d'enfant de Lyon et un autre de Genève, dont le père était le "Sieur Rochet, marchand orfèvre joalier demeurant à Genève". Ces enfants ne semblant pas mentionnés dans les recensements, et les décès de ce genre étant quand même rares, on peut penser qu'assez nombreux étaient les enfants de Lyon que les parents reprenaient en bonne santé, ayant bien profité de l'air pur de nos montagnes et du lait nourricier des généreuses champfromérandes...

Receveur et employés des fermes du Roi. Ces hommes, au service du Roi, avaient pour principale fonction de gérer le sel, ce sel que chaque foyer fiscal avait obligation d'acheter, et au prix fixé par le Roi ! Les employés des fermes avaient donc pour activité essentielle de tenter d'empêcher la contrebande, d'où leur surnom de gabeloux (employés à la gabelle). Peut-être s'occupaient-ils aussi du transport du sel, et de sa conservation, ainsi qu'en témoignerait la "pierre à sel" encore visible au village. En 1774, il n'est fait mention que du receveur ("receveur du bureau d'Evuaz", suivant d'autres sources), un certain "Verjux", qui demeurait en L'Auche, là haut dans la forêt de Champfromier ! Curieusement, il n'y était pas le chef de famille, y vivant sous le toit d'une certaine Anne Trouin (Tournier-Trouain ?), mendiante, seuls occupants du lieu ! Pour 1774, on ne devine aucun autre employé des fermes du roi mais, peut-être, n'ont-ils pas été recensés par le curé. Par contre ils apparaissent, indirectement, dans le recensement du vicaire, en 1781. On en compte cinq, dont la profession n'est pas indiquée au recensement, mais qui étaient mariés et eurent même des enfants à Champfromier. Certains épousèrent des filles du pays et firent souche. Et les actes des baptêmes témoignent bien qu'ils étaient employés des fermes du roi. Tous vivaient chez l'habitant, Jean-Baptiste Regard à la Provenchère, Pierre Mermoz, Claude-Etienne David et M. Michaud à Monnetier, Louis Driset, natif d'Echallon, à Conjocle. Il n'est pas exclu qu'ils fussent plus nombreux, mais on manque d'informations.

Les servantes sont souvent réellement désignées (serv.), mais d'autres fois elles ne se devinent que par leur position en bas de maisonnée, après un espace vide (mais parfois la confusion est possible avec une sœur non encore mariée, aussi reléguée en fin de maisonnée, néanmoins peut-être avec aussi une activité identique...). Elles sont environ vingt-cinq en 1774, surtout placées à Evuaz ou dans des fermes isolées. Dans la moitié des cas, il n'y a aucun nom ni prénom, ni lieu d'origine (sauf une exception, Giron). Seule une mention du type "Une serv." les signale ! Il est donc à présumer qu'une dizaine de ces servantes inconnues du curé étaient des enfants placées provenant des hospices de Lyon (comme il le sera attesté pour celles du siècle suivant), sans que l'on sache ce qu'elles deviennent ensuite, à ces dates les registres des sépultures ne signalent aucun décès laissant deviner une origine lyonnaise... Peut-être ne sont-elles finalement que des filles de fermes voisines, certaines n'ayant pas encore communié, mais restant trop peu longtemps et changeant trop souvent pour que leur nom soit mémorisé... Au second recensement, celui de 1781, on en compte un nombre semblable, avec encore moins de certitudes... Voir aussi Valets.

Soldat. Soldat de métier, et non au service militaire, au moins pour l'un des deux soldats signalés en 1774, puisque François Ducret-Pèlerin, frère du chef de famille à Monnetier, était alors âgé de 50 ans. François Tavernier, 23 ans, était de la Tannery.

Tailleur d'habits. Les registres paroissiaux mentionnent très souvent des tailleurs d'habits. Dans le recensement de 1774, seul François Julliand de Communal (Maisonnée 88), est dit tailleur, mais ce n'est que pour le distinguer des autres cinq autres François du même nom dans le hameau !

Tanneur. L'activité de tanneur est très peu connue à Champfromier. Pourtant ces recensements témoignent d'une tradition certainement assez longue puisque cette activité était associée à un lieu-dit, Tannery, qui était alors encore connu. Ces tanneurs étaient membres des familles Tavernier, et le lieu se trouvait certainement non loin en amont du Pont-d'Enfer, rive gauche de la Volferine. Les battoirs relevés près des moulins dans l'état de 1833 semblent confirmer le broyage des écorces de chênes, dont les tanins étaient utilisés pour teindre les peaux (mais ils ont pu être aussi ou seulement exploités pour le broyage des fibres de chanvre...)

Les valets sont moins nombreux que les servantes, on en compte sept ou huit en 1774 et 1781. Trois seulement sont dénommés. Ils aident à la tâche, à Evuaz ou à Chalam. Un cas particulier est le valet du curé, demeurant au presbytère. Voir aussi Servantes.

On remarquera qu'il était si évident d'être travailleur agricole que cette activité professionnelle n'est citée aucune fois dans aucun des deux inventaires. Evuaz était un cas particulier, avec des grangers bien connus, au service d'importants propriétaires demeurant hors Champfromier. Le Collet, du moins en partie, relevait du même type d'exploitation, ainsi avec les Humbert, grangers des Chevron de Nantua, lesquels Humbert s'affranchirent de cette soumission en achetant la grange du Chatey dans l'intervalle de ces deux recensements. Les registres paroissiaux témoignent aussi, dans les années de ces recensements, de Tournier et Bornet blanchisseurs, du boulanger Mathieu, du chirurgien Famy, du cordonnier Seigne-Martin, des maréchaux Juilland et Coutier, du tisserand Juilland, et même du vagabond Mermet-Gui !

Actualisation des lieux d'habitation

Une tentative d'actualisation (avec les adresses postales actuelles) des rues et numéros des lieux d'habitation des recensés de 1841 à 1975, période de plus d'un siècle où aucun nom de rue n'a jamais existé à Champfromier, a été l'objet d'un très lourd travail de recherche, d'une part en remontant à partir des habitations actuelles et d'autre part en descendant depuis l'état des section de 1833 et les plans napoléoniens associé (après avoir recherché systématiquement tous les occupants propriétaires de leur habitation). Il va sans dire que c'est encore plus difficile pour ce recensement de 1774, sauf exceptions où le lieu-dit est explicitement précisé et que l'on aurait eu très peu de chance de localiser puisque de nos jours il ne reste bien souvent plus une trace de ruine de ces lieux (L'Auche, le Crotelet, le Pélan, etc.) Certains quartiers, linéaires, ont néanmoins donné de bon résultats avec une forte probablité de localisation exacte (même si parfois c'est à une ou deux maisons près) Citons le Bordaz, Monnetier-Rue et l'impasse Genolin. Par contre les nombreux déplacements en seulement deux ou trois générations (de 1774 à 1841), souvent des granges isolées des hauteurs du plateau vers les hameaux, et de même des hameaux vers le bourg, mais parfois aussi dans l'autre sens (de Communal ou du bourg vers Monnetier), ont rendu peu lisibles les traces des familles à Communal, au quartier du Potachet ou même rue de la Fruitière. Quant à la Combe d'Evuaz, tant les fermiers étaient mobiles, elle reste hermétique à toute tentative de localisation précise de ceux-ci.

Origine géographique, déplacements

Le très petit nombre de toponymes différents relevés dans ces recensements pourrait laisser croire que les paroissiens de Champfromier vécurent ici en circuit fermé durant des siècles. Si c'est en partie vrai, en témoignent les très nombreuses demandes de dispenses pour les mariages à divers degrés de consanguinité, l'on sait maintenant qu'au XVIIsiècle les mariages au Grand Abergement, à Ochiaz, à Lélex, à Nantua et autres Neyrolles ne furent pas rares et attestent au contraire de déplacements de familles. En ce même siècle, la famille du célèbre notaire Genolin de Monnetier, avait quitté ces lieux pour vivre à l'écart des ravageuses guerres locales en un lieu plus sûr à Aillon en Bauges.

Au XVIIIsiècle des départs et arrivées par mariage ou profession sont aussi confirmés. Des employés des fermes du roi, au service de la gabelle, apportèrent un peu de sang neuf au pays. Inversement des filles n'hésitèrent pas à aller jusqu'à Lyon pour y trouver du travail, sans parfois jamais en revenir.

En complément des recensements, la recherche des codes d'identité (CI), pour les natifs de Champfromier, a déjà été très instructive sur la structure des familles, l'âge des individus, la tendance clanique des familles et bien d'autres thèmes. Pour les autres individus, l'on s'est contenté d'indiquer le village d'origine (et l'âge d'après celui indiqué au décès). Pour le recensement de 1774 (1272 noms au fichier Excel), ce sont 911 personnes qui ont été identifiées (presque avec certitude) comme étant natives de Champfromier, soit 72 % des recensés. Et pour 266 autres individus, le doute subsiste. Venant de l'actuel département de l'Ain, il n'a été dénombré que 64 personnes (5 %), dont 26 du village voisin de Montanges, 14 de Chézery, 6 de Belleydoux, les autres de Giron, Lélex, Bellegarde, Echallon, Lancrans, Saint-Germain-de-Joux, Nantua ou Mussel (Bellegarde). Pour les autres départements, il n'y en a qu'un seul qui soit concerné, le Jura voisin, avec 31 personnes identifiées (2,5 %), lesquelles sont natives des Bouchoux ou villages voisins dans une très forte proportion.

La Combe d'Evuaz est le secteur qui présente le plus de zones d'ombres. Un peu plus de la moitié des recensés natifs du Jura demeurent à Evuaz, mais on ne peut pas en déduire que les jurassiens sont les seuls à oser s'aventuer dans ces contrées coupées de tout durant les longs mois d'hiver. Sur 172 habitants à Evuaz, 24 seulement ne sont pas natifs de Champfromier, et 80 sont des vrais champfromérands (toutefois 68 sont d'origine indéterminée).

Les départs semblent peu nombreux, quelques filles à Lyon, deux à Nantua. Reste que des maisonnées entières sont barrées.

Les déménagements dans la paroisse ont des causes qui semble le plus souvent évidentes, mariage ou veuvage, autant que l'on puisse l'observer entre les deux recensements.

Conclusion

En cette fin du XVIIIsiècle, même si les conditions météorologiques hivernales sont difficiles à Champfromier, et en particulier à la Combe d'Evuaz, on est encore heureux de vivre à Champfromier, en tous cas davantage qu'au siècle précédent où les picorées guerrières réduisaient en cendre les maisons de Monnetier, et pire encore aux siècles précédents où la peste devait être un lourd fléau à Champfromier comme ailleurs. On est plein d'espoir entre les deux recensements, des grangers investissent pour acquérir leur propre exploitation, la population s'accroit légèrement, les couples et surtout les enfants sont très nombreux, signe de bien-être ou du moins de période calme dans les années passées, et de confiance en l'avenir. La Révolution n'est pas en marche à Champfromier. A peine par quelques filles allant chercher travail et espoir d'une vie nouvelle chez les canuts de Lyon, commence-t-on à deviner les profonds bouleversements qui se produiront ensuite à Champfromier, et qui ferront passer la population de plus de 1300 habitants à 326 en 1975.

Les apports de la sauvegarde du contenu de ce manuscrit et les espoirs

La sauvegarde heureuse par des photocopies de ces recensements, juste avant qu'ils ne partent en fumée, a permis une connaissance approfondie du patrimoine de Champfromier. L'on sait maintenant quelles étaient les exactes populations en 1774 et en 1781, l'on découvre d'anciens métiers, d'anciens lieux-dits de Champfromier, et l'on dispose d'une connaissance étendue de la population, allant des chefs de famille aux servantes, en passant par les enfants des lits précédents.

Une base généalogique inédite de première importance (2616 fiches), permet d'étudier chaque famille avec précision, en éliminant bien des confusions passées. N'oublions pas que 419 individus ne sortaient pas de trois patronymes en 1771, les Ducret, les Tournier et les Julian, et que les prénoms variaient peu en dehors des Marie, Françoise ou Marie-Françoise, des Joseph ou François. Ces recensements où chaque famille est décrite en détail permettent enfin de distinguer un François Juliand-Prince d'un François Julliand-L'Evêque, un Joseph Ducret-Bechon (Besson) d'un Joseph Ducret des Lentilles !

 

Publication et fichiers Ghislain Lancel, inédits       

 

Remerciements à Guy Brunet (actuellement professeur à l'Université Lyon 2) pour sa sauvegarde des recensements (photocopies) et sa générosité. Photo couleur : Ghislain Lancel (8/11/12).

Première édition de cette page, le 29 mars 2010. Dernière modification le 12 juin 2014.

 

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