Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Joanny Rendu (1851-1937)

 

Histoire autour d'une pandémie touchant notre région.

Joanny Rendu

Voici 145 ans, en 1875, le jeune docteur Joanny RENDU, né le 1er septembre 1851 à Chatillon en Michaille, atteint dès ses 24 ans la célébrité pour ses travaux sur le traçage de la contamination lors d'une épidémie de variole. Six ans après, il fait des recherches avancées sur la nécessité de se laver les mains en entrant en salle d'accouchement !

 Descendant de cultivateurs de la Combe d'Evuaz (hameau de Champfromier situé entre Giron et La Pesse), Joanny est fils de François Xavier Rendu(1), son père né à Champfromier en 1809. François Xavier fut négociant à Chatillon en Michaille, où, en 1844, il se fit construire une grande maison dans la rue principale du village, comme le relate son petit-fils Christian RENDU dans une biographie de 1997. Joanny passera son enfance dans le Haut Bugey et, après des études secondaires à Nantua puis à Thoissey, il sera reçu au concours de l'internat de médecine de Lyon en 1874.

Le Docteur Rendu va se distinguer par deux avancées majeures sur la protection sanitaire en temps de pandémie : l'isolement et le lavage des mains.


 Il faut isoler les varioleux

Depuis la guerre de 1870 et par vagues successives la variole fait des ravages meurtriers en France et en Europe. Les médecins croient à l'époque que des « miasmes » circulent dans l'atmosphère et qu'il est inutile d'isoler les malades.

Joanny RENDU tout juste reçu au concours d'internat fait ses débuts en 1875 à l'hôpital de la Croix-Rousse (Lyon). C'est là qu'est soigné le "Soldat Saumade" un militaire provenant de l'hôpital militaire de la Colinette (Ex-Villemenzy), évacué depuis Macon, atteint de variole grave. Dans les jours suivants éclatent dans plusieurs quartiers de Lyon, ville jusque-là indemne, des foyers de variole. Inaugurant les méthodes de traçage des épidémiologistes actuels, Joanny va enquêter sur place en faisant du porte à porte avec « un carnet et un crayon à la main » : il remonte le cheminement de l'infection dans chaque quartier de la ville où l'épidémie s'est déclarée, pour découvrir que dans chacun habite un soignant de l'hôpital de la Croix Rousse. La chaîne de contamination est ainsi trouvée entre le soldat Saumade et les 147 premiers cas lyonnais étudiés ! Il pourra conclure : « la variole est une maladie essentiellement contagieuse puisqu'un cas, un seul cas, peut être, dans une grande ville, à l'origine d'une épidémie ».

Avec ces premiers 147 cas, il relève un taux de décès de 18% et, comme la vaccination jennerienne existait déjà, il compare vaccinés et non-vaccinés.

L'épidémie se développera encore et fera beaucoup de morts.

Il publia alors « De l'isolement des varioleux à l'étranger et en France : à propos de l'épidémie de Lyon, pendant les années 1875-1876-1877 », et il peut affirmer que : « il faut isoler les varioleux ».   

La  science ne progresse que par bonds, avancées et reculades : le débat est inévitable, souvent salutaire. Comme en 2020 [pandémie du Covid 19], il y a, à cette époque, des sceptiques et même des opposants, des « sachants » qui disent que « l'influence que l'on accorde si gratuitement sur ces êtres nouveaux(2), n'est pas démontrée jusque là sans conteste » !

Heureusement ses conclusions, soutenues activement par son patron, le Professeur Soulier, seront adoptées à la quasi-unanimité.

L'indispensable lavage des mains

Mais le jeune médecin devenu médecin accoucheur va s'intéresser ensuite à la manière de lutter contre « l'infection puerpérale », fléau numéro un des salles d'accouchement de l'époque, qui sera l'objet de sa thèse (Paris 1878). L'asepsie, pourtant à l'étude depuis 1861, n'est pas encore appliquée ni durant la guerre franco-prussienne (la plupart des blessés opérés succombent des suites des opérations), ni dans les salles d'accouchement. 

Pour sa thèse il fera durant 2 ans plusieurs voyages d'étude dans les maternités de capitales européennes : Londres, Zurich, Berne, Naples, Venise, Berlin, Leipzig, Halle, Dresde, Prague, Budapest, et surtout Vienne où par exemple il passe 3 nuits à la maternité pour y apprendre l'accouchement « sur le côté », pratiquant lui-même 20 accouchements sous la direction d'une sage-femme autrichienne !

Entre 1879 et 1880, il effectue des voyages expérimentaux dans les principaux centres hospitaliers d'accouchement de Londres, Berne, Zurich, Prague, Naples, Vienne, etc. Il en tire des enseignements pratiques qui font l'objet d'un rapport, « Note de voyage à l'étranger du point de vue de l'obstétrie et de la gynécologie, 1879-1880. »

Il s'entretient de ses recherches avec les spécialistes les plus compétents de l'époque tels que Briesky à Prague ou Eugène Koeberlé à Strasbourg. Il s'intéresse non seulement au lavage de main mais aussi à la manière dont se font les pulvérisations d'eau phéniquée. C'est à Vienne, chez les professeurs Braun, Carl et Speith, qu'il se penche sur les opérations du col de l'utérus et il étudie l'ovariotomie dans le département de gynécologie, ainsi qu'au King's College de Londres avec Thomas Spencer Wells. À son retour à Lyon, Joanny Rendu commence un cours sur les « maladies des femmes » et une carrière en médecine libérale après avoir été affecté à la maternité de la clinique de l'hôpital de la Charité.

 

Les divers travaux de recherche de Joanny Rendu seront honorés par plusieurs prix : lauréat de la Faculté de Médecine de Paris (Prix Monthyon 1877) et de l'Académie de Médecine, lauréat de l'Institut (Prix Bréant, Académie des Sciences), Médaille d'argent de l'Académie de Médecine.

Le Docteur Joanny Rendu, une fois terminée sa période de formation, s'installera dans le second arrondissement à Lyon et deviendra le gynécologue attitré de la bourgeoisie lyonnaise, ce qui lui donnera le privilège d'aider à l'accouchement par sa mère d'un certain Antoine de Saint Exupéry. Il reviendra régulièrement passer ses vacances d'été à Chatillon où il habitait la maison dite « les Sapins », face à celle de son père.

Grand voyageur, c'est vers 1891 qu'il découvre la Tunisie et décide quelques années plus tard d'acheter, près de Sfax, plus de 2 000 hectares de terres incultes pour les mettre en valeur en y plantant des oliviers. Cet investissement lui est inspiré par les rapports de l'administrateur colonial Paul Bourde qui, après avoir découvert que les Romains avaient autrefois cultivé des oliviers avec succès, voulait attirer des exploitants. Au fil des ans, il plante et développe des oliviers sur près de 5 000 hectares et fait construire une huilerie. L'entreprise familiale, baptisée « Domaines oléicoles sfaxiens », sous l'administration locale de son neveu Émile Rendu, prospère jusqu'à son expropriation par le régime de Habib Bourguiba peu après la fin du protectorat français. Un livre intitulé « La saga des pionniers » : Lyon et la Tunisie (1890-1914) relate en détail cette aventure.

 

À sa mort en 1937, il laisse une famille de 44 enfants, petits-enfants et arrières-petits-enfants. Deux de ses trois fils sont médecins à Lyon : André (chirurgien) et Robert (chirurgien ORL).

 

Notes :

(1) François Xavier Rendu (CI-4567 du fichier des NMD de Champfromier). Pour voir l'ensemble de ce fichier, ouvrir la page d'accueil de la Généalogie de Champfromier puis cliquer à la première ligne des liens pour télécharger le fichier des NMD de Champfromier, et enfin le dézipper avant usage. L'ensemble des fonctionnalités n'est disponible qu'avec Excel (voir l'onglet légende pour les explications d'usage et les variantes de tris).

(2) Le terme de microbe n'a pas encore été inventé.

 

Sources :

 

Récit préparé par Gérard Plauchu (médecin) et Bertrand Ducrot, deux arrière-petits-fils du Docteur Joanny Rendu.

Publication : Ghislain Lancel.

Première publication, le 13 mai 2020. Dernière mise à jour de cette page, le 21/09/20.

 

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