Patrimoine et Histoire de Champfromier, par Ghislain LANCEL

Culture et travail du chanvre

Jean Vallet (1915-2006) connaissait bien le chanvre. Son grand père de Giron en confectionnait des draps à la Combe Labran (après la croix, où il y a maintenant un restaurant/chambres d’hôtes, la Grange de l'Errance). A Champfromier des champs de chanvre se trouvait à Sous-Cruchon et la Frache (Communal).

Les actes du passé signalent des chènevières (champs de chanvre) et une dîme sur le chanvre (mais une botte sur 16, et non 10) en 1766 [Hist. de Champfromier, p. 109]. Un inventaire agricole de 1907 signale encore "un peu" de chanvre.

Le chanvre était semé dans des terres qui étaient fortement amandées de fumier. Les tiges pouvaient atteindre 2,5 mètres de hauteur (pour 1 à 2 cm de diamètre). L’été, on arrachait le chanvre puis on l’étalait dans un champ, là où du blé avait été coupé (sur les éteules). Ensuite il fallait tourner les javelles (gerbes) pour bien en exposer toutes les parties. Il semble toutefois que ce rouissage (pourriture partielle facilitant la séparation de l'écorce filamenteuse d'avec la tige fibreuse) ne s'effectuait dans les champs que si l'on ne disposait pas d'un point d'eau. La rosée nocturne se substituait alors à l'effet de la rivière ou d'une mare. Le rouissage était une séquence délicate d'une durée variable d'environ deux semaines (trop courte et les fibres ne se détachent pas, trop longue et la qualité des fibres se détériore...), on sortait parfois le chanvre de l'eau pour affiner ce rouissage dans un champ.

L’hiver, on tillait (teillait) le chanvre. Cette activité consistait à casser le pied puis à "tirer" la fibre de la tige, sans la casser, en prenant appui sur le genou pour tordre légèrement la tige et obtenir que la fibre se détache. Pour chaque tige, on tirait les fibres, deux, trois ou quatre fois. C’était souvent le travail des enfants de 14 ans qui, avant d’aller jouer, devaient faire leur paquet. Ils cassaient donc légèrement la tige avec un genou puis détachaient à l’extérieur de cette tige une bande de fibre, si possible sur toute la longueur. Puis ils tournaient un peu la tige, la cassaient à nouveau et détachaient une nouvelle bande de fibre, et ainsi de suite jusqu’à extraire toutes les fibres de la tige...

L’opération suivante consistait à séparer les fibres. Pour cela on disposait d’un peigne formé de pointes d’acier acérées (15 cm) fixées sur un socle en bois ou en fonte (30 cm sur 10 cm). Ce peigne était bloqué sur un établi avec un valet. On prenait alors une poignée de fibres que l’on tapait vigoureusement sur le peigne puis on tirait ces bandes vers soi pour que les dents séparent les bandes en fibres séparées. Puis on retournait la poignée de fibres pour effectuer la même opération sur les autres bouts, avec 3 ou 4 passes à chaque fois.

Le chanvre était utilisé pour réaliser des draps, des cordes ou même des vêtements. Ce sont les fibres les plus longues qui étaient réservées à la confection des cordes. Le peigne divisait les fibres destinées à faire des cordes dont le diamètre pouvait aller jusqu’à 2cm, et plus. Pour les draps, on recherchait une fibre plus fine, et le nombre de passes était donc plus important. De plus, avant de tisser ces fibres, il fallait les filer avec un rouet, comme pour la laine !

 

Les cordes

Le dernier cordier connu de Champfromier fut Victor DUCRET. Il confectionna d'abord ses cordes à la Malacombe (aujourd’hui en ruine) puis, après le décès prématuré de son épouse de la tuberculose, à la Chandelette, la ferme voisine d'où il était originaire. En fait il n'était cordier que l'hiver, son second métier après celui de cultivateur, comme d'autres étaient aussi lapidaires ou tisseurs. Pour "Le Grand de la Chandelette", ce second métier n'était pas qu'un gagne pain (encore que l'on dédommageait souvent un service par un autre service), il était un cordier émérite : « Victor Ducret de la Chandelette était un cordier reconnu. Il fabriquait des cordes à linge, d’une bonne trentaine de mètres, plus fines que les autres. Ces cordes qui couraient entre les troncs des arbres fruitiers servaient au séchage des grandes lessives. Elles étaient l’objet de grands soins » [Les moissons de la mémoire, p. 49/50].

Il n’y a pas si longtemps que se trouvait encore à la Chandelette, sous le vaste abri du puits, la machine à fabriquer les cordes de Victor DUCRET. Cette machine à corder, malheureusement disparue et dont aucun exemplaire n'est plus connu dans le village, comportait deux roulettes pour la déplacer, un panneau vertical, et à l’arrière un dispositif où des enfants, souvent trois, se tenaient pour faire contrepoids. Un quatrième enfant tournait une manivelle à l’avant, laquelle actionnait à l’arrière du panneau une roue dentée. Par un jeu d’engrenages, elle en faisait tourner quatre autres, plus petites. Ces quatre petites roues dentées situées à l’arrière étaient chacune solidaire d’un crochet situé à l’avant. A chaque crochet était fixé l’un des quatre filins de la corde à réaliser. Ces bruns, pouvant mesurant jusqu'à quelques dizaines plusieurs mètres, se torsadaient ainsi sous le contrôle du cordier et formaient une corde très solide [Georges Richerot].

Maurice Bornet se souvient aussi du "Grand de la Chandelette". Ses parents avaient un courtil (jardin) dans lequel ils faisaient pousser des betteraves (pour les animaux), des choux et du chanvre. Coupé, le chanvre rouissait sur place, et quand il était noir c'était le moment d'extraire les fibres. Ce chanvre était ensuite porté à la Chandelette afin d'obtenir des cordes à usage dans la ferme (maintenir le foin sur les chariots, etc.) Disposant de bœufs, il pouvaient remplacer le paiement par un service.

Remerciements : Jean Vallet (octobre 2005), Georges Richerot et Maurice Bornet (Souvenirs de la Chandelette). Photographie : Ghislain Lancel (Peigne de la Chandelette).

Dernière mise à jour de cette page, le 27 août 2008.

 

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